Rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) Une grotesque campagne d’affolement

mardi 20 avril 2010.
 

Ils sont de retour ! La meute de 2005, l’année du référendum sur la constitution européenne s’est reformée à propos des retraites. D’un côté tous les biens pensants avec leurs arguments en béton armé en faveur de la « seule politique possible », la stupéfaction à peine feinte en face de qui tient tête, et la raillerie au bord des lèvres pour qui n’est pas d’accord. Le système médiatique, évidemment, s’est aussitôt mis en boucle pour mouliner du sensationnel, au mépris de la vérité, dans un bel exercice de bourrage de crane qui avait déjà fait la gloire de la séquence référendaire. Premier prix de mauvaise foi au journal « Le monde.fr » qui présente une addition de 2600 milliards d’ici 2050 pour le « besoin de financement » supplémentaire pour le système de retraite. « L’info » ainsi prémâchée est aussitôt moulinée à perte de vue chez les collègues qui évoquent « le trou d’environ trois mille milliards ». Il est clair que cette vague de propagande est le lever de rideau du débat sur les retraites. Cette mise en scène catastrophique est un conditionnement politique sans fondement. Il est donc urgent dans ces premières heures de commencer tout de suite à tenir le choc et d’engager la contre argumentation. Je l’ai fait ce matin sur « I télé » du mieux que j’ai pu, à partir de ce que mon équipe a pu repérer dans la journée d’hier alors que nous ne disposions que des échos donnés par « Le Monde » et « Le Figaro ». Je donne juste de quoi répliquer aux premières salves de bourreurs de crane. Je sais que de partout, nos amis, les syndicalistes et les associations notamment Attac et la Fondation Copernic vont maintenant étudier de près le texte et que nous aurons très vite des argumentaires serrés et complets ! Sur ce blog on retrouvera aussi de quoi se battre avec les notes déjà consacrées au sujet.

Le rapport du COR est callé à l’horizon 2050. Il est piquant d’interroger scientifiquement cette prétention à prédire l’avenir économique dans 40 ans. Mais d’abord on ironisera à propos de ceux qui montrent du doigt notre « planification écologique » à l’horizon 2020 mais s’autorisent une planification de la régression sociale pour trente ans de plus ! Engrangeons le résultat et proclamons que l’esprit de planification est plus répandu qu’il y paraissait d’abord. Ensuite ironisons sans complexe ! Dire que l’on calcule pour 2050 c’est comme si on affirmait qu’en 1970 on aurait pu prévoir l’état de la société en 2010. Nous serions donc capables de prédire aujourd’hui des événements comme ceux qui ont eu lieu depuis 1970 : disparition du camp socialiste et réintégration dans l’économie de marché de 100% de la population humaine, la révolution informatique qui a permis des bonds de la productivité, le recours massif à l’énergie nucléaire, l’existence d’une industrie spatiale et des technologies de la communication, la réduction à 2% de la population active paysanne et la montée à 85 % de la population urbaine. Et ainsi de suite… Comme si en 1900 on pouvait prévoir deux guerres mondiales, la massification de l’automobile, la généralisation de l’électrification et ainsi de suite. Bref, nous tournant vers le futur, nous sommes capables de prévoir l’impact sur la production de l’émergence des biotechnologies, de l’épuisement des ressources énergétiques fossiles, du changement climatique et ainsi de suite ! Quelle foutaise ! La prévision économique à 2050 est grotesque ! Elle déshonore ceux qui s’y livrent en faisant croire à une autorité du savoir « objectif » totalement infondée. J’ajoute, pour les connaisseurs, que ce genre de vision linéaire de l’histoire tourne le dos à tout ce que la science contemporaine donne à connaitre à propos des « phénomènes linéaires », qui sont une ultra minorité de phénomènes tandis que les phénomènes discontinus sont la quasi totalité des systèmes dynamiques. La bande de joyeux huluberlus qui prétendent ainsi s’être aussi débarrassés du principe d’incertitude dans l’étude de la dynamique de l’histoire humaine est consternante ! Ils feraient mieux de nous dire ce qui se passera dans six mois ! Mais là, personne ne s’y risque ! Car tout le monde sait que c’est impossible. La preuve avec le débat sur la date de la reprise annoncée de l’économie !

Le rapport du COR comporte des hypothèses démographiques qui posent question. Pourquoi avoir choisi comme taux de fécondité des françaises un chiffre d’ores et déjà démenti. En effet le rapport se réfère au taux de 1,9 enfants par femme ? Ce chiffre était déjà celui des projections de 2007 ! Pourtant, l’évènement, largement signalé et amplement commenté ce fut précisément le passage a un taux de fécondité de 2,1 enfants par femme. Cet indicateur a une importance tout a fait essentielle sur l’évaluation de la population active du futur. En particulier il fixe aussi la façon dont se succèderont les générations creuses et pleines dans le futur. Cette succession est vitale pour évaluer le nombre d’actifs par rapport aux inactifs à chaque séquence de la vie du régime des retraites par répartition.

L’évaluation de la population active dans le rapport mérite sévère examen. Pour quelle raison suppose-t-on une population active stable ? Pas d’immigrés à l’horizon ? Pas d’enfants supplémentaires devenant adultes au-delà du seuil de renouvellement de la population ? Evidemment ça ne tient pas debout. Autre chose non moins étrange. Le rapport suppose, sans le dire, que la proportion des femmes présentes au travail salarié restera au niveau actuel, quinze points en dessous de celle des hommes ! Il n’y aura pas davantage de femmes au travail ? L’énorme effort de rattrapage qu’elles ont d’ores et déjà fait dans la formation et la qualification universitaire et professionnelle, au point de les placer en tête pour l’acquisition des diplômes devant les garçons n’aura donc aucun impact sur l’entrée ou non dans la vie active ? Voila une nouvelle qui mérite d’être étudiée de près. Car, quoiqu’en pensent de tels analystes, il se pourrait, même si cette pente était une pente « naturelle », que l’action publique, l’évolution des mœurs et les luttes féministes en plein regain actuellement conduisent à un tout autre résultat. N’est-ce pas là une façon de sous entendre que le problème du chômage se règle en poussant les femmes à rester à la maison, hypothèse économique qui permet aussi de faire baisser les coûts sociaux de garde de la petite enfance, du travail domestique et de la garde des personnes âgées dépendantes, selon le bon vieux modèle archaïque de la répartition sexuée des taches ? Reste que ce paramètre impacte lui aussi la population active finale. Mais surtout la dynamique du système de la répartition sur lequel repose notre système de retraite. Si le pic d’insertion des femmes dans la vie active correspond au pic de la population retraitée le rapport actif inactif est différent. Et l’on voit alors qu’il est de l’intérêt du pays que les femmes puissent travailler et donc que l’accueil des enfants et des personnes âgées soit pris en charge par la collectivité. Cette question ne se résume donc pas un simple raisonnement mathématique. C’est de la politique à l’état pur.

« Le besoin de financement » mis en scène par les affoleurs qui n’hésitent pas à le repeindre en « trou », ou « scénario catastrophe » est grossièrement truqué. Il faut prendre la mesure du trucage que représente le chiffre du titre du « monde.fr » qui proclame : « sans réforme il faudrait 2600 milliards d’euros pour sauver les retraites en 2050 ». Pour arriver a ce chiffre fantastique, « le monde » a additionné le déficit « prévisible » pendant quarante ans comme s’il était possible de ne prendre aucune mesure d’ici là. Ce chiffre n’a donc aucun autre sens que de faire peur. Cette absurdité est confortée par le rapport du COR qui présente ce système des déficits cumulés comme si la répartition ne se faisait pas par années, et même par mois. Si cette stupidité était acceptée il faudrait mettre alors en toute logique mettre en regard les PIB cumulés. En supposant qu’il n’y ait aucune augmentation de celui-ci (ce que le rapport du COR contredit lui-même), le déficit de 2600 milliards serait à comparer aux 80 000 milliards de PIB cumulés sur 40 ans ! Tout cela est ridicule ! Comment les commentateurs font-ils pour ne pas le voir ? « Le Monde.fr » peut-il faire le calcul et constater que ses 2600 milliards rapportés au 80 000 milliards représentent bien seulement 3 % du total !

En fait, à l’instant « t », il s’agit de 72 ou 100 milliards de plus à trouver en 2050, selon les données du rapport du COR lui-même. Cette somme elle-même est présentée dans le vide, sans comparaison qui permette de l’évaluer dans son environnement économique de l’époque. Le ministre du travail a même rapporté cette somme au montant actuel de l’impôt sur le revenu pour montrer qu’elle était impossible à financer par la fiscalité. Une escroquerie intellectuelle que le journaliste n’a pas relevée. Car les 72 ou 100 milliards, c’est en 2050 ! C’est donc à la richesse de l’époque qu’il faut se reporter pour faire des comparaisons. Quelle sera-t-elle ? Personnellement je n’en sais rien. Mais le COR le sait ! Il affirme même que cette somme à trouver représentera au maximum 3% de la production de richesse du moment. Ca mérite qu’on s’y arrête. D’abord pour dire que ce n’est rien, 3 % ! Pas grand chose en tout cas. Quand les puissants ont déplacé en trente ans dix points de richesse produite des poches du travail vers celles du capital, comment peut on dire que la manœuvre inverse, limitée à trois points et étalée sur quarante ans serait impossible ou ruinerait l’économie ? Et comment ne pas observer qu’au jour d’aujourd’hui, la part des retraites sur la richesse produite est de 13,3 %. Mais la population des plus de 60 ans représente 22,6 % de la population. Ce qui veut dire que la population concernée prélève moins que sa part dans la population sur la richesse produite. Trois point de plus ne modifierait pas ce déséquilibre !

J’en reste ici pour cette salve de réplique aux certitudes des docteurs de la foi libérale et de leurs griots ! Il est urgent de ramener sans cesse le débat là où il est en réalité : à la question du partage des richesses. La seule question posée est celle de la part des richesses produites qui ira en salaires et celle qui ira au capital. Le modèle économique dans lequel, en 2050, 115 milliards d’euros seraient prélevés sur 3800 milliards produits est parfaitement viable. Il est même plus performant que celui qui prévoit d’enfoncer dans la pauvreté une part croissante de la population qui alors ne produit ni ne consomme. Pour ceux qui ne suivent pas le calcul et qui se laissent intimider notons que cela laisse 1785 milliard de richesses supplémentaires par rapport à aujourd’hui à partager pour les profits, les salaires et les investissements et les cotisations sociales ! Enfin notons sans relâche l’absurdité du raisonnement sur les économies à faire : ceux qui ne seront pas retraités seront obligatoirement à l’assurance chômage, en préretraite et à tous coups à la maladie. Et rien de tout ça n’est gratuit. Qui paiera ? Retour à la case départ, messieurs les intelligents ! Pour finir méditons sur le monde que nous prévoient pour dans 40 ans les bons esprits de notre temps. Il y règnera un chômage de 7 % de la population active, les femmes n’auront pas amélioré leur situation, les gens de 65 ans seront dans la rue en attendant de liquider des pensions de misère ! Je crois que ça vaut la peine d’essayer la révolution citoyenne que je propose plutôt que de vivre sans broncher pour préparer ce futur à nos enfants !


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