Le retour de la pauvreté au grand âge (par le Réseau Unir les Associations pour développer les solidarités)

mercredi 21 avril 2010.
 

On croyait avoir éloigné le spectre de la misère chez les personnes âgées. A la faveur de la baisse du niveau des retraites et de la montée de la dépendance, elle refait son apparition. Les gens seuls, souvent des femmes, issus de milieux populaires ou immigrés, sont aux premières loges.

Jusqu’ici, tout allait bien. D’année en année, la situation financière des personnes âgées s’améliorait, leur permettant de rattraper leur retard par rapport aux actifs. « Depuis 1975, explique Henry Noguès, professeur en économie, nous sommes passés d’un taux de pauvreté (1) de plus de 30% chez les personnes de 60 ans et plus, dont les deux tiers de veuves, à un taux de 8 à 9% ». Chez les plus de 75 ans, l’amélioration est plus spectaculaire, puisque le taux de pauvreté a été divisé par cinq, comme le note une étude de l’INSEE sur la période 1975/2000. Toujours sur cette période, l’écart de revenu entre la moyenne des ménages français et ceux de plus de 65 ans s’est réduit, passant de 11% à 7% (ce différentiel ne tient pas compte du patrimoine).

Ce vrai progrès a plusieurs explications. D’abord, le niveau des pensions s’est beaucoup amélioré, en raison de la montée en puissance des retraites complémentaires et du départ en retraite de personnes qui avaient profité à plein de la période faste des Trente Glorieuses. D’autre part, pour les femmes, le taux d’activité a fortement progressé.

Arrivées à la retraite, elles bénéficient beaucoup plus qu’avant d’une pension, même si elle n’est pas toujours à taux plein. Cette évolution positive se retrouve dans la décrue du nombre d’allocataires du minimum vieillesse (2). Comme le relève Nathalie Augris, pour une étude de la DREES (Ministère des affaires sociales), « depuis 1960, le nombre de titulaires de l’Allocation supplémentaire du minimum vieillesse (ASV) a été divisé par quatre, passant de 2 470 000 à 599 000 fin 2006 ».

Depuis quelques années, pourtant, la tendance semble s’inverser : la pauvreté gagne de nouveaux fragments de la population sénior. « Le rattrapage du niveau de vie moyen des actifs par les retraités s’est interrompu depuis la fin des années 90, note l’Observatoire national de l’exclusion dans son rapport 2006-2007, et le taux de pauvreté des personnes âgées seules a augmenté. » Comme souvent, les associations de solidarité sont les témoins privilégiés de cette dégradation. Dans son rapport 2008, le Secours catholique note un vieillissement du public accueilli. En dix ans, la proportion de personnes suivies âgées de 50 à 59 ans est passée de 6,8% à 8,4%, celle de 60 à 69 ans de 2 à 2,6%.

Des restes à vivre de plus en plus maigres

De leur côté, les petits frères des Pauvres constatent, suite à une enquête interne, une dégradation de la situation sur 5 ans. « Les bénéficiaires de minima sociaux et de petites retraites se retrouvent avec des restes-à-vivre de plus en plus maigres », note le secrétaire général, Jean-François Serres. Le fonds d’aide exceptionnelle mis en place en 2009, pour faire face aux conséquences de la crise, est sollicité incessamment pour des dépenses qui relèvent plus de l’ordinaire que de l’accidentel. Jean-François Serres note « deux âges fragiles » : « Entre 50 et 65 ans, des personnes arrivent à la retraite sans capital et sans avoir mis d’argent de côté, tout en ne bénéficiant pas de l’Aspa (2) car elles n’ont pas 65 ans. A partir de 80 ans, surviennent souvent les pertes du conjoint et de la mobilité. Les anciens se replient chez eux et sollicitent beaucoup moins l’aide de l’entourage. » Il observe aussi une dégradation depuis 2 ou 3 ans de la santé physique des personnes accompagnées. En cause, la réduction du nombre de jours d’hospitalisation et le renoncement à certains soins, en raison notamment de l’impossibilité pour certains de payer une mutuelle.

La question de la pauvreté est complexe, car elle ne se résume pas à de simples critères financiers. Selon Marie-Eve Joël, professeur à Paris-Dauphine, spécialiste en économie du vieillissement, « la France n’est pas au clair sur les inégalités de situation des personnes âgées. » Pour connaître leur vécu, il faudrait combiner quatre facteurs : le parcours professionnel (qui détermine le niveau des retraites), l’état de santé et des incapacités, le patrimoine, l’environnement familial et le voisinage. Or, note-t-elle, si « on connaît bien les inégalités de revenus et le niveau de dépendance grâce à l’Apa, on dispose de peu d’informations sur l’état du patrimoine et les réseaux de solidarité des personnes âgées. » La question de la pauvreté des séniors comporte de sérieuses zones d’ombre.

Les femmes âgées et isolées, public à risque

Première variable, le niveau des retraites. Les conséquences des diverses réformes (1993, 2003) commencent à se faire sentir. Le tassement du niveau des pensions est lié à deux dispositions techniques : le calcul de la retraite sur les 25 meilleures années - et non sur dix comme précédemment ; l’indexation sur la hausse des prix et non sur celle des salaires. Sur le second point, le Conseil d’orientation des retraites note : « Bien que limitée à cinq ans en 1993, la référence à l’inflation a été prolongée jusqu’en 2003, puis généralisée par la loi de 2003. » (3) Désormais, les retraites ne sont plus indexées sur la hausse de la richesse nationale. « Ces réformes ont eu des conséquences lourdes pour les femmes dont la carrière a été souvent hachée par les grossesses et l’éducation des enfants, qui les a conduit à travailler à mi-temps », souligne Henry Noguès. Pas étonnant que la pauvreté frappe davantage les femmes âgées, surtout lorsque le conjoint décède.

Les bénéficiaires de l’Aspa (qui n’atteint pas le seuil de pauvreté) sont à 60% des femmes et à 70% des personnes isolées. Les pensions de réversion insuffisamment revalorisées (le taux est légèrement au-dessus de 50%) n’assurent pas un niveau de vie correct.

La situation est préoccupante en particulier en milieu rural pour les veuves d’agriculteurs, qui ont très peu cotisé et dont les retraites de réversion sont réduites. Dans une étude sur le milieu rural (4), l’Igas relève ainsi « un nombre [élevé] de cas de grande pauvreté chez des personnes très âgées découvert lors des visites effectuées pour la mise en place de l’Apa. » L’Igas remarque que « le coût d’une maison de retraite conduit les personnes âgées à rester chez elles, quelquefois au-delà du raisonnable. » En clair, ces personnes sont souvent dans une situation d’insécurité, en raison de leur manque de ressources.

Cette situation de paupérisation d’une fraction des retraités devrait s’amplifier dans les prochaines années, avec l’arrivée à la retraite de salariés ayant connu de longues périodes de chômage. Dans ce contexte, les personnes âgées ont tout intérêt à disposer d’un patrimoine. Etre propriétaire de son appartement ou de sa maison est à cet égard déterminant. Sur un plan statistique, les personnes âgées sont celles dont l’effort pour le logement est le plus faible : 4,5 % de leurs revenus (chiffres 2002) contre 15%, par exemple, pour les 30-44 ans. Mais ce chiffre bas cache de profondes inégalités sociales.

Une enquête du Credoc en 2007 révèle ainsi que parmi les titulaires de hauts revenus (20% de la population), sept sur dix sont propriétaires, alors que la proportion n’est que d’un sur trois parmi les bas revenus (20%). Donc, les personnes qui arrivent en retraite avec de faibles ressources sont aussi celles qui doivent le plus souvent payer un loyer (qui a fortement grimpé ces dernières années).

La dépendance, facteur de fragilité financière

Dans son rapport 2009, la Fondation Abbé-Pierre tord le cou aux idées reçues selon lesquelles les anciens ne connaîtraient pas de problème de logement. Des personnes parfois très âgées se retrouvent à la rue et d’autres, aux très faibles revenus, sont incapables d’assumer des hausses de loyer et menacées d’expulsion.

Autre catégorie très exposée à la pauvreté, les vieux immigrés. Dans les foyers, note Rémi Gallou (5), la proportion de retraités et d’inactifs est passée, en 10 ans, de 34% à 57% (sur une population de 93.000 résidents en 2005). Ecartelés entre leur pays d’origine où ils ne peuvent plus vivre et leur pays d’adoption où ils ont pris racine, ils survivent souvent avec des retraites de misère dont une bonne part sert à nourrir leur famille restée « au pays ». Ils cumulent les facteurs qui traduisent un état de pauvreté : faibles revenus, patrimoine inexistant, isolement affectif et social, vieillissement plus précoce (lié à la pénibilité des travaux). Conclusion du chercheur : « La question du retour au pays a occulté les modalités d’un vieillissement digne en France. »

Qu’en est-il, par ailleurs, des solidarités entre générations ? Pour la première fois, les personnes âgées disposent, en moyenne, de revenus supérieurs à ceux des générations précédentes (à l’exception des cinquantenaires). Ainsi, en 2006, une personne de 40 à 44 ans disposait d’un revenu moyen de 1680 €, contre 2006 € pour une personne de 65 à 69 ans. De nombreux séniors aident concrètement leurs enfants ou petits-enfants à faire face aux aléas. Ces derniers, fragilisés par la crise pourront-ils, à leur tour, aider leur ascendant à financer le séjour en Ehpad ? « Certaines personnes refusent une entrée en établissement pour ne pas engager financièrement leurs descendants, du fait de l’obligation alimentaire », note la Fondation Abbé-Pierre.

A côté des inégalités de revenus et de patrimoine, la question de l’état de santé est, sans doute, la plus discriminante. Elle renforce les disparités observées : les dépendances concernent davantage les femmes (plus souvent seules et moins riches que les hommes) et les catégories populaires (les paysans et ouvriers auraient deux fois « plus de chances » d’en développer). Si la perte d’autonomie est liée essentiellement au critère d’âge, sa fréquence et la capacité des personnes à la prendre en charge sont inégalement répartis. Dans un rapport du CES, en 2009, Monique Boutrand écrit, après avoir noté l’amélioration des revenus des personnes âgées : « D’autres facteurs comme le poids des charges de santé et de dépendance devraient intervenir dans le calcul du niveau de vie réel des retraités. »

La bonne santé financière de nombre de personnes âgées masque une grande fragilité face au risque de dépendance. Actuellement, les études font défaut pour mesurer les conséquences de celui-ci sur les revenus des personnes touchées.

Cependant, en l’absence de création du 5eme risque, de nombreuses personnes, même vivant bien audessus du seuil de pauvreté, sont à la merci de cette épée de Damoclès. « Vers 75 ans, explique Mme Joël, on entre dans la problématique de la dépendance. Pour être bien abordée, celle-ci suppose des atouts en matière de réseau, familial et de capital. Le troisième tiers de notre vie est en fait fort conditionné par ce que furent les deux précédents tiers. » Réduire les inégalités au long de la vie est une condition pour endiguer la pauvreté au troisième ou quatrième âge.

Noël Bouttier

NOTES

1) Une personne est considérée comme pauvre lorsque ses ressources sont inférieures à 60% du revenu médian.

2) Depuis 2007, les diverses allocations du minimum vieillesse ont été remplacées par l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa).

3) « Evolution de la pauvreté des personnes âgées et minimum vieillesse » (janvier 2009)

4) « Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural » (septembre 2009) 5) Rapport « Vieillir loin de ses racines » publié par la CNAV (mars 2009)


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