Retraites : enjeux d’une bataille à l’ère de la crise mondiale (par Gauche Unitaire)

mercredi 28 avril 2010.
 

La publication cette semaine du nouveau rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) nous a donné un avant goût de la bataille majeure qui se profile sur la question des retraites. Dans la majorité de la presse, le ton catastrophique et annonciateur d’apocalypse a été de rigueur. Pour le journal Le Figaro, nous sommes au bord du « gouffre ». Mais ce type de matraquage peut se retourner contre ses initiateurs. Le résultat de cette épreuve de force n’est pas écrit d’avance.

Un gage de sérieux vis-à-vis des marchés financiers

En effet, c’est une échéance clef de la situation politique et sociale qui sera déterminante sur le rapport de force entre les salariés et les élites économiques et financières de ce pays. Pour Sarkozy, il y a un objectif politique à démontrer, après l’échec des régionales et les divisions croissantes à droite, la poursuite de la « rupture » et du volontarisme qu’il prétend incarner. Mais il y a aussi la volonté de faire de la réforme des retraites un gage de sérieux du gouvernement français vis-à-vis des marchés financiers et des agences de notation internationales qui déterminent la solidité des emprunts réalisés par les Etats. En effet, les Etats européens sont endettés de façon astronomique pour avoir soutenu le système bancaire, et les Etats jugés les plus « fragiles », comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal sont victimes de la spéculation financière qui s’enrichit sur la dette des Etats. Un proche de l’Elysée confiait au journal Le Monde : « La France perdra toute influence si elle perd sa note AAA… C’est pour cela que la réforme des retraites sera de grande ampleur. » Il s’agit bien de faire une démonstration d’austérité pour garantir aux financiers et aux banques la détermination du gouvernement français à mener une politique qui serve leurs intérêts.

Deux logiques contradictoires

Il s’agit donc de faire payer la crise aux peuples en poursuivant la destruction systématique des droits sociaux. Le calendrier du gouvernement est connu : d’avril à juillet, « concertation » avec les syndicats ; début juillet, passage d’un projet de loi en conseil des ministres ; septembre, passage du projet de loi à l’Assemblée et au Sénat et confrontation sociale annoncée. Sarkozy s’attend à des manifestations de « 3 à 4 millions » de personnes dans la rue et engage les députés à droite à « garder leur sang froid ». Deux camps sociaux, deux logiques, deux visions de la société vont donc se confronter dans cette épreuve. Chaque camp à ses objectifs. D’un côté, le patronat qui veut repousser l’âge légal de 60 ans à partir duquel il est possible de partir en retraite et augmenter le nombre d’années de cotisation nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein. De l’autre, ceux à gauche qui ne renoncent pas à mener une politique de gauche et qui sont déterminés à poser la question de la répartition des richesses pour défendre le droit à une retraite digne dès 60 ans.

La question clé : quelle répartition des richesses ?

La première étape se joue maintenant : dans l’argumentation, la bataille de conviction, décisive pour surmonter les interrogations, les doutes, entraîner les hésitants dans la rue jusqu’au recul du gouvernement. Chaque argument doit être contré pied à pied.

L’argument massue du gouvernement se résume en une phrase qui est censée faire taire toute contestation : « Les déficits menacent le régime par répartition ». Mais les chiffres, mêmes les plus pessimistes, fournis par le COR, démontrent au contraire la possibilité de financer les retraites ! Ainsi, le déficit des caisses de retraite atteindrait 115 milliards par an en 2050. Mais sur un PIB en progression à un rythme annuel de 1,7% (ce qui est faible) la richesse nationale produite chaque année passerait de 1950 milliards actuellement à 3800 milliards en 2050. Il n’est donc pas impossible de trouver les moyens de financer le système de retraites. Le journal Le Figaro pour augmenter l’effet catastrophe agite même le chiffre de 2600 milliards d’euros de déficits cumulés d’ici 2050. Mais sans jamais mentionner que sur la même période le PIB cumulé représente 115 000 milliards d’euros. Sans compter que les calculs du COR se basent sur un taux de chômage de 7% à partir de 2020, alors que le chiffre précédent était de 4,5% ce qui revient à anticiper un déficit supplémentaire de cotisations.

Faire payer les actionnaires !

Il y a donc un choix politique à faire : quelle priorité donnée à la richesse produite collectivement ? Les calculs précédents du COR estiment qu’une augmentation de 0.37 des cotisations retraites (0.25 pour les cotisations patronales et 0.12 pour la part salariale) peut permettre de résoudre le problème des déficits. Alors que la part qui revient aux salaires dans la valeur ajoutée (la richesse créée par les salariés dans les entreprises) a baissé de 8 points en 20 ans et que la part des dividendes versée aux actionnaires n’a cessé de croître (en passant de 3.2% du PIB en 1982 à 8.5% du PIB en 2007), il faut renverser cette tendance ! C’est ce débat qu’il faut mettre sur la table et c’est le véritable tabou à faire sauter.

L’augmentation du nombre de retraités par rapport au nombre d’actifs (cotisants) n’est pas non plus un problème. Selon le COR, il y a, en 2010, 1.8 cotisants pour un retraité et il y aura en 2050, 1.2 cotisants pour un retraité. Mais ceci serait un problème si on produisait autant de richesses en 2050 qu’en 2010. Car avec la hausse de la productivité par salarié, 1.2 cotisants de 2050 produiront autant que 2.2 cotisants de 2010…

Les « solutions » du gouvernement nous mènent à la catastrophe

Les autres solutions mises en avant par le gouvernement auront une conséquence : faire payer les salariés et appauvrir les retraités. Premier levier : augmenter la durée de cotisation (qui est passée depuis les différentes réformes des années 1990 et 2000 de 37.5 années à 41 années). Mais cela a essentiellement pour effet d’appauvrir les retraités qui continuent toujours à cotiser en moyenne 37.5 années mais subissent une décote (diminution de la retraite perçue en proportion du nombre d’années non cotisées) de plus en plus importante. Ainsi en 1995, le taux de remplacement moyen –niveau de retraite par rapport aux salaires était de 79%. Il est de 72% en 2007, et pourrait passer, selon le COR, à 59% 2050 ! Aujourd’hui, la pension moyenne brute des 15 millions de retraités s’élève à 1120 euros. Plus de 600 000 retraités vivent sous le seuil de pauvreté. Et le niveau moyen des pensions touchées par les femmes, qui subissent le plus le temps partiel, est de 825 euros. Et les profits des actionnaires n’ont jamais été aussi importants ! C’est cette situation que le gouvernement veut aggraver. Le deuxième levier envisagé par le gouvernement est le report de l’âge légal de départ à la retraite à 61 ans ou 62 ans, alors que les entreprises multiplient les préretraites pour les salariés âgés, aura les mêmes conséquences brutales : appauvrir les retraités.

Un choix de société

La bataille des retraites ne se limite pas à la question de la répartition des richesses produites. Elle pose un véritable débat de fond sur la place du travail et le type de société dans laquelle nous voulons vivre. C’est une véritable question de « politique de civilisation » pour reprendre une prétention sarkozyenne. Depuis plus de 150 ans, l’évolution historique de nos sociétés est à la diminution du temps de travail et à l’augmentation du temps libre, du fait des progrès technologiques, de l’augmentation de la productivité et des acquis des luttes sociales du mouvement ouvrier. Nous travaillons environ deux fois moins qu’il y a 150 ans mais nous produisons beaucoup plus de richesses par notre travail. Les conquêtes historiques de la journée de huit heures, des congés payés, et de la retraite à 60 ans sont les acquis les plus visibles de cette évolution qui constitue un progrès indéniable. Ce sont ces acquis que la contre révolution sarkozyenne veut remettre en cause pour satisfaire aux exigences de rentabilité du capital et aux impératifs de la concurrence et de la course aux profits maximum. C’est le sens du « travailler plus pour gagner plus » du sarkozysme qui s’est décliné depuis 3 ans dans plusieurs réformes (remise en cause des 35 heures, travail du dimanche, réforme des retraites…etc…).

C’est aussi sur cette question de fond que la gauche qui se veut fidèle aux valeurs de gauche doit mener une bataille idéologique sans concession. Affirmer que l’augmentation de l’espérance de vie implique de travailler plus longtemps est un non sens. Car c’est bien parce que l’on travaille moins que l’on vit plus vieux ! En outre, l’augmentation de l’espérance de vie doit être détaillée car l’espérance de vie « en bonne santé », c’est à dire sans limitation d’activité (ou sans incapacité majeure liée à des maladies chroniques, aux séquelles d’affections aiguës ou de traumatismes) est seulement de 64 ans pour les femmes et de 63 ans pour les hommes. Pour convaincre du caractère réactionnaire et dangereux de la réforme préparée par Sarkozy et Fillon il est non seulement nécessaire de démontrer qu’il existe les moyens financiers pour financer le système par répartition mais également que la logique que nous défendons s’inscrit non pas dans une « défense conservatrice des acquis », mais d’une vision politique, dans un projet de société qui vise l’épanouissement de chacun et qui ne réduise pas les êtres humains à des salariés qu’on pressure toute leur vie pour les mettre au rebut après usage. C’est aussi cette exigence de progrès que la gauche doit porter.


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