Crise du NPA : ce qu’en dit Ingrid Hayes, dirigeante du mouvement (Mediapart)

jeudi 6 mai 2010.
 

Après un peu plus d’un an d’existence, le NPA, créé en février 2009 après l’auto-dissolution de la LCR, connaît une crise. Profonde ou passagère ? Quelles erreurs ont-elles été commises ? Comment redresser la situation ? Rencontre avec Ingrid Hayes, 34 ans, professeur d’histoire-géographie dans un collège de La Couneuve (93), dirigeante du NPA, membre de son Comité exécutif. Le point sur le NPA en toute clarté.

JRV : Après ses scores très modestes lors des « régionales », on lit, ici ou là, que le NPA est en crise. Il enregistre des démissions. Lors de son dernier Comité Politique National (CPN) plusieurs textes s’opposaient assez nettement. Qu’en est-il exactement ?

IH : Pour diagnostiquer le degré de crise, il faut sans doute attendre le congrès, mais il est vrai que le NPA est en difficulté. Les démissions connues concernent le CPN, mais leur rythme ne s’est pas fortement accéléré après les régionales. Le chiffre de 18 démissions repris dans la presse correspond à l’ensemble des camarades qui ont quitté la direction depuis un peu plus d’un an. En tant que telle, une usure d’environ 10% n’est pas étonnante, surtout pour un parti aussi jeune : certainEs éluEs au CPN n’y ont pas trouvé ce qu’elles-ils cherchaient, d’autres ont acté par leur démission un niveau élevé de désaccord avec l’orientation mise en œuvre. Ceci étant il ne faut pas se cacher la réalité. Beaucoup de membres du NPA attendent le congrès pour se prononcer. S’il est bien évident qu’on ne construit pas une alternative anticapitaliste et anti-productiviste en un an, il faut parvenir à relancer le projet pour redonner sens à l’aventure dans laquelle des milliers de personnes se sont lancées au moment du congrès fondateur. Cela signifie avoir le débat, sans tabou, en revenant sur la courte vie du NPA, en analysant les coordonnées d’une situation fort différente de celle du départ, les obstacles objectifs mais aussi les erreurs d’appréciation ou de positionnement commises. Il est vrai qu’il y a eu pas moins de 7 bilans différents présentés au CPN post régionales. Ce n’est le signal de la balkanisation mais le point de départ d’un débat approfondi, que les comités du NPA doivent pouvoir s’approprier sans être mis en position d’arbitrer entre les diverses sensibilités de la direction sortante.

JRV : Tu es signataire, avec plusieurs autres membres du Comité exécutif, d’un des textes débattus au CPN qui apparaît assez critique sur la première année d’existence du NPA. Peux-tu en synthétiser l’essentiel ?

IH : Les divergences ne portent pas ou peu sur l’analyse des facteurs objectifs qui ont pesé sur nos résultats, abstention, vote utile, mais sur les responsabilités qui nous reviennent. Si ces éléments pèsent moins lourd dans la balance, ils ont un avantage : ce sont les seuls sur lesquels nous avons prise pour la suite ! Il nous semble que nous nous sommes mal positionnés notamment sur deux aspects. D’une part, nous avons sous estimé la question de l’unité, ainsi que celle du Front de gauche et du PG en son sein, et ce, dès les Européennes, alors que nous avions la main dans la gauche radicale et que nous aurions pu être offensifs en proposant une perspective de rassemblement. L’unité aurait dès lors changé de camp. Au moment des régionales, dans un rapport de forces plus défavorable, convaincus à tort que le PCF allait partir avec le PS dans une majorité de régions, nous n’avons pas fait tout ce qui était possible pour imposer la discussion sur le fond programmatique, dont la question des alliances et des majorités de gestion était la conséquence et non le point de départ. D’autre part, notre profil a pu apparaître comme relativisant l’importance des enjeux électoraux. Il nous faut pourtant les intégrer dans une perspective stratégique. Deux siècles de pratique démocratique ont trop profondément façonné les comportements politiques pour que la perspective de la grève générale comme affrontement central suffise à elle seule à régler les problèmes stratégiques. Nous aurons à nous poser des problèmes électoraux même à des moments de confrontation sociale aigüe.

JRV : Avec l’auto-dissolution de la LCR, le défi de créer un parti anticapitaliste aux contours larges n’a-t-il pas du « plomb dans l’aile » ? Comment redresser une situation qui apparaît délicate ?

IH : Sans doute un peu de plomb ... mais il n’a perdu ni sa pertinence ni son absolue nécessité ! Pourtant, si on regarde bien, les électeurs, votants ou abstentionnistes, ont utilisé toutes les possibilités de dire leur rejet de Sarkozy, toutes sauf le vote NPA. De même, nous nous sommes créés dans un autre contexte politique, social et économique : face à la brutalité de l’offensive de la droite, l’anti-sarkozysme s’exprimait dans les luttes, l’emprise du FN était réduite, le PS était en pleine crise, le PCF et les Verts sortaient très diminués de la présidentielle. La situation a favorisé, un peu artificiellement sans doute, la dynamique autour du NPA. Aujourd’hui, la crise économique qui fait rage ne produit pas, pour l’heure, de cristallisation anticapitaliste, les luttes sociales demeurent dispersées et défensives, et, sur le plan politique, la gauche gouvernementale s’est réorganisée. La montée du « tout sauf Sarkozy » ne nous est évidemment pas favorable. Une tentation pourrait être d’admettre l’échec et de rejoindre le Front de Gauche mais c’est une logique mortifère sur le plan des perspectives politiques. Mais entre le ralliement et l’éloge de la solitude, il y a une voie qu’il faut emprunter, en revenant à l’idée d’un NPA ouvert, doté d’une véritable politique unitaire sur le terrain social, afin de favoriser la convergence des luttes, et sur le champ politique, un instrument pour rassembler les anticapitalistes et peser pour empêcher que l’ensemble de la gauche radicale soit aspirée dans une nouvelle mouture d’union de la gauche.

JRV : Une crise politique majeure s’ajoute aux crises économique, sociale, écologiques et démocratique. Comment le NPA doit-il aborder, à ton avis, cette période ?

IH : Peut-être avons-nous même changé de période, avec le tournant récent de la crise économique, incarné par la situation grecque et les « remèdes » qui y sont apportés. A droite, la crise est profonde et sans doute durable, depuis que la présidentielle de 2012 n’apparaît plus comme une simple promenade de santé pour un leader aujourd’hui très affaibli, tandis qu’à gauche, l’idée que Sarkozy pourrait être battu apparaît à nouveau crédible, nourrissant un projet d’alternance autour d’un PS remis en selle par Martine Aubry. Dans ce contexte, le NPA ne doit pas se mettre en extériorité du puissant mouvement visant à se débarrasser de la droite mais en être l’aile la plus déterminée, en dénonçant dès maintenant son illégitimité, en développant un profil radicalement anti-Sarkozy, faisant l’inventaire de tous les mauvais coups à défaire. Cela dessine également en creux le programme que nous devons défendre, avec la préoccupation d’apparaître comme candidats au pouvoir, en énonçant les mesures d’urgence que prendrait un gouvernement au service des intérêts de la majorité de la population et qui constituent aussi des objectifs pour les mobilisations. Il s’agit d’une politique diamétralement opposée à celle de Sarkozy bien sûr, mais aussi à celle que mène par exemple les socio libéraux grecs face à la crise. Ce profil, qui prend en positif la question de l’alternative face à la droite, nous devons le défendre dans tous les cadres de discussion et de confrontation avec les autres forces à gauche du PS. Il nous faut peser dans la situation et ne pas nous placer en position de commenter de l’extérieur ce que font le PC, le PG ou même Europe Ecologie, en dénonçant la reconstitution en cours d’une nouvelle union de la gauche sans tenter de proposer des perspectives alternatives.

Entrretien réalisé par Velveth Jean René


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