Ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima… (par Pierre Rousset, NPA)

dimanche 2 mai 2010.
 

Il faut combattre contre l’islamophobie montante et ses tentatives d’instrumentaliser le féminisme, la laïcité et la défense des libertés pour justifier des politiques néocoloniales et racistes. Ce n’est pas une raison pour mettre une sourdine à la dénonciation des violences faites à des femmes de familles musulmanes. Nous avons demandé à Pierre Rousset, responsable du site « europe-solidaire.org » et membre du NPA, de revenir sur les exactions perpétrées aujourd’hui en Europe par des fondamentalistes et sur la fragilité des droits des femmes pour s’en protéger. (journal suisse Solidarités)

Nicolas Sarkozy vient d’annoncer une loi interdisant le port du voile intégral sur tout l’espace public. D’autres gouvernements européens présentent (Belgique) ou évoquent des « lois antiburqa », même là où personne ne la porte (Danemark). Dans bien des pays l’extrême droite surfe sur la diabolisation de l’islam. Dans une partie au moins de l’Europe, la stigmatisation des musulman-es s’aggrave ; elle justifie les mesures anti-immigré-e-s et sécuritaires ou la « communautarisation » de la politique comme réponse à la crise sociale.

Des cas emblématiques

Le combat contre la stigmatisation des musulman-es s’affirme ainsi comme une responsabilité majeure pour la gauche radicale en Europe. Ce combat est mené et d’autres articles en traitent abondamment. En revanche, c’est beaucoup moins vrai pour d’autres oppressions subies par des femmes « musulmanes » (qui peuvent aussi bien être athées). C’est cette question que je voudrais aborder ici en commençant par comparer deux événements récents en France. En février dernier, Najlae, 19 ans, marocaine, est expulsée de France, pays où elle s’était réfugiée en 2005 pour fuir un mariage forcé. Résidant chez son frère qui la battait, elle a eu le tort de porter plainte : pour toute protection, elle a été renvoyée au Maroc. Face au scandale provoqué par cette mesure, l’Elysée a autorisé son retour. Victime à la fois de l’oppression patriarcale dans sa famille et de la politique anti-immigré-e-s des autorités françaises, elle a bénéficié des réflexes de solidarité construits dans la lutte contre l’expulsion des enfants sans-papiers.

Un mois auparavant, le 12 janvier 2010, l’actrice d’origine algérienne Rayhana, 45 ans, se rendait au théâtre des Métallos, à Paris, où elle jouait une pièce sur les femmes en Algérie. Elle a été arrosée d’essence par deux fondamentalistes qui, heureusement, n’ont pas réussi à y mettre le feu. Se sachant menacée, elle avait portée plainte une semaine plus tôt, sans suite. Rayhana a pu poursuivre la représentation de sa pièce grâce au soutien de divers mouvements (Ni putes ni soumises, Femmes sous lois musulmanes, Marche mondiale des femmes-France…). Mais cet événement, malgré son extrême gravité, n’a pas suscité le même élan de solidarité que l’expulsion de Najlae.

L’Europe concernée

Comme l’attaque contre Rayhana le montre, l’action de mouvements fondamentalistes commence à se faire plus distinctement sentir en Europe : menaces de mort contre le journaliste algérien Mahamed Sifaoui, agression des jeunes filles qui refusent leur code vestimentaire, interdiction aux femmes de certaines professions (artistes, journalistes, écrivains, coiffeuses, esthéticiennes)… La liste des victimes de la violence patriarcale dans la famille ou la communauté s’allonge aussi, depuis le drame de 2002 en France, quand Sohane, 17 ans, était morte brûlée vive à Vitry-sur-Seine. Les crimes dits « d’honneur » existent sous nos cieux, tel en Belgique l’assassinat en octobre 2007 de Sadia Sheikh, 20 ans, d’origine pakistanaise, qui avait fuit le domicile familial pour échapper, cette fois encore, à un mariage forcé. L’année précédente, en Italie, Hina Salee avait été égorgée par son père parce qu’il ne tolérait plus son mode de vie « à l’occidentale »…

La défense des victimes de ces violences patriarcales se heurte à bien des obstacles. La reconnaissance des droits des femmes comme droits humains est tardive, fragile. La réalité des mariages forcés a, par exemple, longtemps été cachée sous la notion générale de « mariage arrangé ». Or, la qualification de « musulman » sert de prétexte à bien des remises en question par la justice. En France, en avril 2008, l’annulation d’un mariage (en lieu et place d’un divorce) avait été prononcée car la chasteté et virginité auraient été, pour des musulmans, une « qualité essentielle » sans laquelle il y avait tromperie sur la marchandise. En août 2007, les juges italiens de la Cour de cassation ont acquitté les parents et le frère de Fatima qui l’avaient séquestrée, attachée à une chaise et battue. En Allemagne, un tribunal a accordé des circonstances atténuantes à un « crime d’honneur »…

Contraintes, pressions et dénis de droits

La montée de la réaction religieuse (islamique mais aussi chrétienne et judaïque), sensible dans le monde, se manifeste en Europe. L’apparition du voile intégral est identifiée à des courants particulièrement réactionnaires comme le salafisme : ce n’est pas parce que nous somme contre les lois « antiburqa », qu’il faut banaliser cet autre effacement des femmes de la vie publique prôné par des courants confessionnels d’extrême droite. En Grande-Bretagne, des églises (chrétiennes) demandent à être exemptées de lois antidiscriminatoires qui protègent notamment les homosexuel-les du refus d’embauche. Au nom de l’égalité, au lieu d’être simplement supprimée, la loi qui fait du blasphème un délit devrait être généralisée à toutes les religions. Des lois communautaires devraient être reconnues… Tout cela signifiant, en pratique, que les filles et femmes de communautés musulmanes ne bénéficieraient plus des mêmes droits que les autres…

Dans ce contexte d’oppression patriarcale et de conformisme religieux, les pressions sociales à la « normalité » vestimentaire et comportementale à l’encontre des jeunes filles et des femmes « musulmanes » pèsent lourdement sur leur liberté d’être. Elles se trouvent véritablement sous le feu croisé des racistes et des xénophobes dans la société, comme des fondamentalistes dans leurs propres communautés et des sexistes de tous bords. Elles méritent la solidarité de la gauche, et singulièrement de la gauche radicale, face à toutes les facettes d’une oppression multiforme.

Une oppression qui n’est certes pas l’apanage des seuls milieux musulmans. Il y a 48 000 viols par an en France, où une femme meurt tous les trois jours de brutalités conjugales. Il n’est pas question de stigmatiser à notre tour les musulmans, comme si la violence contre les femmes n’était pas présente dans les sociétés « européennes ». Mais il ne devrait pas être non plus question d’abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima à leur sort par peur de « faire le jeu » des racistes.

Pierre Rousset


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