Le réalisateur JEAN-ROBERT VIALLET obtient le prix Albert Londres 2010 de l’audiovisuel pour "La mise à mort du travail"

jeudi 24 septembre 2015.
 

Le splendide documentaire présenté fin octobre 2009 par France 3, La mise au travail, vient d’être récompensé par le prix Albert Londres 2010 de l’audiovisuel.

Capitalisme et esclavagisme de salariés : la mise à mort du travail 1

Voici trois extraits d’un entretien donné par JEAN-ROBERT VIALLET sur ce film, imaginé par Christophe Nick et qui leur a demandé près de trois ans de tournage.

1) Comment filmer la souffrance en entreprise ?

- « Que l’entreprise soit un lieu de souffrance pour des millions de gens, il suffit de regarder les chiffres - maladies du travail, dépressions, suicides, harcèlement - pour s’en convaincre. Mais il fallait abandonner cette approche biaisée en termes de victimes et de bourreaux, de patrons voyous..., si l’on voulait avoir une chance de comprendre en quoi cette crise est l’expression de quelque chose de beaucoup plus profond, au même titre que la crise financière, en quoi c’est le travail lui-même et notre civilisation toute entière qui sont malades. Il fallait donc, au contraire, tenter de porter un regard le plus sociologique possible sur l’univers du salariat, d’embrasser toute la question à travers le prisme d’un petit groupe d’entreprises banales. En dehors du fait que cet exercice était nouveau pour moi, ce qui me séduisait, c’était son caractère inédit. »

2) En quoi - et de quoi - les entreprises que vous avez observées sont-elles représentatives ?

« Ce sont des entreprises "normales", anodines : pas d’histoires, pas de polémiques, pas d’affaires sulfureuses, elles sont banales, à l’image de celles où travaillent des millions de salariés, de celles qui produisent des biens ou des services achetés par des millions de consommateurs. Banales mais importantes, mondialisées, standardisées. Carglass appartient à Belron, leader mondial de la réparation de pare-brise. Fenwick est la branche française du groupe allemand Kion, 20 000 salariés, géant du matériel de manutention. L’horizon du salariat est aujourd’hui l’entreprise globalisée, c’est-à-dire engagée dans la concurrence mondiale et souvent filiale d’un groupe international. Les filiales sont grosso modo organisées de la même façon. Il n’y a pas trente-six manières de gérer une entreprise, en matière d’organisation du travail, quelques grands modèles font la loi depuis les années 80. Par conséquent, des Etats-Unis à la Tchéquie, en passant par l’Allemagne ou l’Italie, à quelques différences de législation et de culture près, on retrouve les mêmes tendances. En sorte que parler de l’entreprise en France, c’est parler du monde du travail disons en Occident. »

3) Vous parliez de l’entreprise comme d’un bastion imprenable. Comment y pénètre-t-on ?

Je dois ici rendre hommage à Alice Odiot, qui a mené durant des mois un très gros travail d’enquête et de démarchage en allant frapper à la porte de dizaines d’entreprises. Avec toujours la même question : seriez-vous d’accord pour que l’on parle de la possibilité de filmer chez vous ? Notre condition était évidemment claire : aucun droit de regard sur le résultat final. Et la réponse non moins claire : c’était invariablement non. Les entreprises dépensent chaque année des millions en marketing. Pourquoi leurs dirigeants iraient-ils prendre le risque de tout flanquer par terre en laissant entrer une équipe de tournage ? A force de refus, nous avons fini par adapter notre discours au leur et à retourner leurs arguments : "Depuis des années, vous ne cessez de parler de transparence, d’ouverture... Les gens - à commencer par vos propres salariés - en rigolent, ils n’y croient plus. Vous avez l’occasion de prouver que ce sont pas de vains mots et de montrer que vous gérez cette entreprise de la meilleure façon". Du coup, c’était les mettre en situation d’avoir quelque chose à gagner à notre présence. Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés autorisés à filmer dans une dizaine d’entreprises sans avoir signé la moindre clause restrictive. Pour autant, nous ne leur avons pas menti : oui, bien sûr, nous nous réservions le droit de porter un regard critique. Mais nous n’étions pas là pour stigmatiser des "salauds de patrons", et encore moins pour développer un discours contre le travail : bosser, c’est l’enfer, l’aliénation, etc. Le travail est par nature ambivalent. Il peut être pénible, harassant, tuant..., mais il est aussi ce qui donne une identité, ce qui permet, comme le dit très bien le psychiatre Christophe Dejours, de se mettre à l’épreuve de soi et des autres, de se réaliser, de s’émanciper, ce qui crée du collectif, du lien, du social. Parler de "mise à mort du travail", ce n’est pas dire que les conditions de travail d’un employé de Fenwick sont pires aujourd’hui que celle d’un ouvrier à la chaîne il y a cinquante ans, ni prophétiser la "fin du travail", c’est dire qu’on est en train de vider le travail de sa substance, de ce qui lui permet de donner du sens à nos vies.

Pour prendre connaissance de cet entretien dans son intégralité, cliquer sur l’adresse URL portée en source (haut de page, couleur rouge)


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