Les nanotechnologies sont au cœur de la bataille idéologique

samedi 1er mai 2010.
 

Connaît-on réellement leurs risques sur la santé et l’environnement ?

Après les révolutions industrielle et informationnelle, nous vivons le troisième bouleversement sociotechnique des modes de production  : les nanosciences et les technologies nanobio (NST). Ouvrant la voie du milliardième de millimètre à la construction de machines, elles permettent la manipulation de la matière à l’échelle de la molécule. Elles introduisent des fonctionnalités invisibles dans les objets, mais aussi, irrémédiablement, des mécanismes fonctionnels dans le vivant. Elles ouvrent des perspectives exceptionnelles et d’immenses potentiels d’application dans tous les domaines, amplifiés par leurs convergences avec les biosciences et la révolution numérique.

Les nanoparticules sont déjà disséminées dans nombre de secteurs industriels  : cosmétique, emballage, micro-informatique… 2 000 d’entre elles sont commercialisées dans plus de 600 produits aussi omniprésents que les téléphones portables. Les possibilités industrielles et commerciales sont colossales, tirant 40 % de croissance par an  : 3,5 milliards d’euros dans le programme-cadre de recherche et développement de l’Union européenne  ; 1,6 milliard de dollars pour 2010 à la National Nanotechnology Initiative aux États-Unis  ; un chiffre d’affaires mondial estimé à 1 000 milliards de dollars en 2015… mais pas de projet d’intérêt public structurant l’ensemble de ces investissements.

Or, la sophistication des nanotechnologies rend leur développement et leur utilisation possibles uniquement par des structures techno-industrielles lourdes produisant à grande échelle. Et les exemples de l’énergie renouvelable, des véhicules électriques ou des médicaments génériques montrent que ceux qui n’ont pas d’intérêt immédiat à développer des technologies émergentes dans le sens de l’intérêt général ne le font jamais sans contrainte. L’orientation de progrès social, l’intérêt public et la maîtrise citoyenne des NST passent donc par un secteur public européen ou mondial, harmonisant les besoins d’investissements et de coopérations mutuellement avantageuses. Le débat scientifique et citoyen doit être à l’origine de la définition d’objectifs démocratiques, protégeant de l’enfermement, par le brevet, les innovations fondamentales.

En l’absence de ce contexte politico-industriel, les besoins d’investissements ont au contraire renforcé la concentration de grands groupes à chaque fois que possible sous perfusion d’argent public. L’élaboration de normes NST étant embryonnaire, le dumping environnemental et social se met en place  : le « code de bonne conduite » de la Commission européenne ne pèse rien face à l’appétit mondial du secteur. Il n’y a à ce jour aucune réglementation particulière concernant les nanotechnologies, ni test exigé avant que des nanomatériaux ne soient utilisés dans les aliments, les emballages, les produits agricoles… Comment, dès lors, pourrait peser le débat citoyen nécessaire à l’acceptation raisonnée des conséquences et risques sur nos quotidiens et nos inconscients – risques dont on ne sait pas, même aujourd’hui, mesurer la portée.

Comment vont se comporter, sur la santé et la nature, ces nano-organismes  ? Comment gérer la présence de micropolluants industriels  ? La dissémination des nanotubes de carbone non biodégradables n’est-elle pas de même nature que la pollution à l’amiante  ? Comment s’assurer de la traçabilité des NST au sein du corps humain  ? Comment marquer les niveaux de transformation invisibles d’objets qui paraissent encore « naturels »  ? Quels effets pourraient avoir d’éventuels nanovecteurs pharmacologiques sur les mécanismes physiologiques comme le passage de la barrière sang-cerveau  ? La matière manipulée à l’échelle du nanomètre se comporte de façon aussi peu connue que la radioactivité, il y a cent vingt ans.

La technologie est enfin au cœur de la bataille idéologique. Fabrique permanente de l’opinion, contrôle médiatique et sémantique  : derrière l’abondance des canaux de diffusion prévaut l’impérialisme culturel industrialisant les processus de domination idéologique des salariés, des consommateurs, des citoyens. Avec ces outils de contrôle et de nivellement, maîtriser les goûts et canaliser les pulsions devient plus qu’un secteur économique, c’est une des raisons d’être du psycho-pouvoir. Les NST vont en permettre la systématisation omniprésente, dans l’illusion d’une liberté individuelle fantasmée.

Le développement des NST appelle donc de grandes précautions exploratoires. Nous en sommes loin. En 2006, sur les 8 milliards d’euros consacrés à la recherche et développement du secteur, 0,4 % ont été consacrés à la recherche sur les risques – dont ceux pour la santé. Sur le plan démocratique, l’échec annoncé du pseudo-débat public terminé en février dans l’indifférence (3 000 participants à peine, en six mois, ne débouchant sur aucune proposition, ni aucune préconisation concrète) montre que le législateur se satisfait de l’ignorance et de la défiance, utiles à la stratégie de l’acceptation.

Le flou sur la possibilité d’un contrôle collectif de l’évolution des sciences et techniques est également entretenu par une futurologie inébranlablement positive, promettant des avenirs meilleurs en forme de supermarchés de banlieue. Derrière l’enthousiasme des boutiquiers, la dimension fataliste des prévisions détourne de l’action collective le corps social, jouant un rôle performatif au projet néolibéral sous-jacent. 
La futurologie mêle ainsi indissociablement des savoirs avérés, des théories, mais aussi une volonté idéologique  : la prédiction modèle l’avenir. Les NST servent ainsi un positivisme moderne, orientant les révolutions technologiques de demain uniquement en fonction des intérêts des puissants d’aujourd’hui. En implantant au cœur intime de la matière des capacités opérationnelles et cognitives, va-t-on faire disparaître tout idéal politique et démocratique  ?

Nous sommes ici au cœur des contradictions du stade de développement du capitalisme cognitif, entretenant les citoyens dans une fausse alternative  : subir sans comprendre les risques d’investissements ultracourt-termistes, ou refuser les avantages du progrès technique. En réaction, certains voudraient de nouveau « casser les machines », barricader l’opinion publique dans la défiance et le renoncement. Ce serait là confondre les avancées scientifiques et le contexte sociopolitique dans lequel elles se font.

PAR JÉRÔME RELINGER, RESPONSABLE DU SECTEUR « RÉVOLUTIONS NUMÉRIQUES ET SOCIÉTÉ DE LA CONNAISSANCE », CONSEIL NATIONAL DU PCF


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message