Loi et contrat : la protection des salariés en question

dimanche 12 novembre 2006.
 

Un enjeu de désaccord central entre les candidats à l’investiture socialiste

Ségolène ROYAL comme Dominique STRAUSS KAHN critiquent le rôle prépondérant de la loi dans la protection des travailleurs et proposent d’accorder une plus grande part au contrat dans les relations sociales.

Dès le 3 septembre à Florac, Ségolène ROYAL fixait l’objectif « que le contrat remplace la loi », et confirmait le 17 octobre dans le premier débat télévisé que « le contrat devra se substituer à la loi. ». De même Dominique STRAUSS KAHN a proposé de passer par le contrat et « pas par la loi » pour étendre les 35 heures (le 7 septembre à Autun) et a mis en garde le 4 octobre sur France Inter contre « une trop grande confiance accordée à la loi pour régler les problèmes », en demandant de laisser « une plus grande part au contrat ».

A l’inverse Laurent FABIUS refuse un tel bouleversement de la hiérarchie des normes dans notre pays. Il défend l’utilisation de la loi et de la puissance publique aussi bien pour augmenter le pouvoir d’achat (hausse du SMIC, augmentation de la rémunération des heures supplémentaires ...) que pour mieux protéger les travailleurs (généralisation des 35 heures, application du principe délocaliseur/payeur, pénalisation de l’emploi précaire ...).

La droite a toujours privilégié le contrat au détriment des travailleurs.

Toute l’histoire du droit social en France a été celle de l’affranchissement du travail de la logique du contrat selon le principe qui veut qu’ « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit. » (Lacordaire) Nostalgique du XIXème siècle où le contrat réglait entièrement les relations sociales, le MEDEF milite activement pour "la priorité du contrat sur la loi" (Seillière). C’est même le cœur de la refondation sociale lancée en 2000 par Seillière.

Depuis 1986, c’est à chaque fois en laissant plus d’espace au contrat par rapport à la loi que la droite a fait reculer le droit du travail. En permettant aux contrats de déroger à l’ordre public social garanti par la loi, des réformes successives (Delebarre et Séguin en 86-87, Balladur en 93 et Fillon en 2004) ont largement contribué à développer la précarité dans notre pays. C’est à chaque fois grâce à des failles contractuelles dans le droit social que le patronat a pu imposer plus de flexibilité et moins de sécurité aux travailleurs. Le renforcement du contrat face à la loi est donc une constante du programme de la droite comme l’a encore montré le dernier discours de Chirac sur le dialogue social le 10 octobre, où il affirmait qu’« il faut plus de contrat et moins de loi. ».

La gauche a toujours défendu le primat de la loi

Pas une grande conquête sociale en France n’a été faite sans la loi :

• L’encadrement du travail des femmes et des enfants au 19ème siècle, c’est la loi.

• L’indemnisation des accidents du travail en 1895, c’est la loi.

• La généralisation des retraites ouvrières et paysannes en 1910, c’est la loi.

• La création des congés payés et la semaine de 40 heures en 1936 c’est la loi.

• La création des comités d’entreprises et de la sécurité sociale en 1945/46, c’est la loi.

• L’instauration du salaire minimum en 1950, c’est la loi.

• Les 39 heures et la retraite à 60 ans en 1981, c’est encore la loi.

• Tout comme les 35 heures en 1997.

Et quand la gauche a créé les conventions collectives en 1936, elle l’a fait pour renforcer les garanties posées par la loi, grâce au principe de faveur qui veut qu’aucun contrat ne puisse déroger à une norme supérieure de manière défavorable au travailleur. Ainsi, c’est là où la loi avait laissé trop d’espace aux contrats d’entreprises que l’application des 35 heures a parfois pu se faire au détriment des travailleurs. On ne peut pas déplorer d’un côté la faiblesse des syndicats et du rapport de force comme le font Royal et Strauss Kahn et proposer de l’autre côté de renforcer le rôle du contrat. Les syndicats majoritaires (CGT et FO) réclament d’ailleurs la défense de l’ordre public social défini par la loi.

Le gouvernement Jospin a défendu la loi face au contrat De même de 1997 à 2002, le gouvernement Jospin a toujours défendu le primat de la loi face aux tentatives du MEDEF et de la CFDT d’imposer un nouvel ordre social par le contrat. Laurent Fabius à Bercy et Martine Aubry aux affaires sociales refusèrent ainsi en juin 2000 d’agréer la nouvelle Convention sur l’assurance chômage. Et face à la résistance du MEDEF qui suspendit alors sa participation à la gestion de l’assurance chômage, Lionel Jospin défendit très fermement la décision de ses ministres en rappelant lors des universités d’été de la Rochelle le 3 septembre 2000 :

Lionel Jospin : « La hiérarchie des normes assure la prééminence de la Constitution sur la loi, de la loi sur le règlement et de manière générale de toutes ces normes sur le contrat. Inverser cette hiérarchie, c’est remettre en cause un des fondements de la République. »

Déjà en janvier de la même année, il se démarquait de Chirac qui affirmait dans ses vœux qu’il fallait « mieux reconnaître la valeur du contrat, y compris, si nécessaire, sur le plan constitutionnel ». Lors du rassemblement annuel des secrétaires de section du PS le 23 janvier 2000, Jospin lui répliquait ainsi : « je refuse que les contrats reçoivent une valeur plus grande que la loi. Cela signifierait que l’intérêt particulier aurait une valeur supérieure à la loi, alors que la loi est l’expression de la souveraineté du peuple. Cette conception, je la combattrai politiquement et au nom d’une certaine vision de la République. »

Le projet socialiste confirme le primat de la loi La préférence pour le contrat affirmée par Ségolène Royal et Dominique Strauss Kahn marque donc une cassure avec ce qu’ont toujours défendu la gauche et le PS. Ce virage est d’autant plus incompréhensible que le projet socialiste qu’ils ont approuvé ne s’engage pas du tout dans cette voie, contrairement à ce qu’a pu affirmé Ségolène Royal lors du débat télévisé du 17 octobre. Le projet défend « une concertation entre le gouvernement et les partenaires sociaux pour un bon équilibre entre l’action législative d’un côté et la négociation de l’autre. »

On est loin de la substitution du contrat à la loi que Ségolène Royal a cru y lire. D’autant que le texte réaffirme ensuite très clairement le principe de la hiérarchie des normes : « nous interdirons qu’un accord d’entreprise puisse déroger à un accord de branche ou au code du travail ; l’accord de branche sera lui-même soumis au code du travail. » Sur la relance salariale ou la généralisation des 35 heures le projet rappelle aussi que c’est la loi qui aura le dernier mot si la négociation n’a pas abouti dans un sens conforme au progrès social. On est donc loin là aussi des 35 heures étendues au cas par cas par le contrat et pas par la loi comme l’a prétendu Dominique Strauss Kahn. Sur le temps de travail, le projet précise que « nous rétablirons par la loi les rémunérations des heures supplémentaires et les plafonds horaires », là où la droite avait permis aux contrats de multiplier les dérogations en la matière.


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