Que révèle notre ADN de notre ascendance génétique  ? Les « races » sont d’abord une construction sociale

samedi 7 octobre 2017.
 

On sait depuis quelques années que l’analyse d’un ADN humain permet de définir l’ascendance d’une personne, de savoir si ses ancêtres sont majoritairement africains, asiatiques ou européens. Cela nécessite des études approfondies (bien plus que les « empreintes génétiques » pratiquées par la police), et les ascendances ainsi révélées ne correspondent pas à des « races »… D’ailleurs, une telle approche génétique peut aussi différencier, sur la seule base de leur ADN, Suisses, Français, Italiens ou Belges, pourtant à l’évidence très proches. Un article scientifique récemment publié, fruit d’une collaboration entre chercheurs américains, africains et français (*), donne les résultats d’une analyse de plusieurs centaines d’Africains, d’Européens et d’Afro-Américains. Les auteurs examinent la diversité (assez modérée) des groupes ethniques et culturels en Afrique de l’Ouest et du Sud, mais s’intéressent aussi aux Afro-Américains (les citoyens des États-Unis qui se déclarent « Noirs »), et obtiennent des données qui révèlent la différence entre ascendance génétique et « race ».

Rappelons d’abord qu’aux États-Unis, la « race » est une caractéristique personnelle officiellement reconnue, et que, lors des recensements, chacun remplit un formulaire et y coche la case de son choix  : les Afro-Américains de cette étude sont donc des personnes qui ont coché la case ad hoc (Black, African American, or Negro) sur le formulaire de recensement. Leur ADN, tout comme celui des Européens et des Africains, a été analysé selon les techniques les plus récentes  ; les données ont ensuite été traitées par de puissants programmes informatiques afin de calculer les « distances génétiques » entre toutes les personnes analysées, c’est-à-dire, en somme, leur degré de parenté. Car nous sommes tous parents, puisque notre espèce, homo sapiens, est apparue en Afrique il y a environ deux cent mille ans et que nous sommes tous issus de migrations qui, depuis cinquante ou soixante mille ans, ont progressivement peuplé l’ensemble de la terre… Les résultats de cette telle analyse peuvent être représentés de diverses manières, selon que l’on souhaite mettre en évidence tous les détails ou au contraire appréhender les grandes lignes de la répartition. Si l’on choisit une vision générale, sans s’attacher aux petites différences génétiques, on constate que les Européens forment (à cette échelle) un groupe compact  ; les populations africaines se retrouvent également ensemble, et sont nettement séparées du groupe européen. Les Afro-Américains, en revanche, se répartissent d’un bout à l’autre du diagramme… Certains d’entre eux sont donc d’ascendance 100 % africaine au niveau de leurs chromosomes, d’autres sont mixtes, et quelques-uns pourraient tout aussi bien, du point de vue génétique, être considérés comme des Européens. Ceci a pu être confirmé par des études plus précises qui examinent chaque chromosome en détail  ; il n’en reste pas moins qu’ils se déclarent tous Afro-Américains…

Ces conclusions manifestent les conditions bien particulières dans lesquelles la communauté afro-américaine s’est formée aux États-Unis. Elle a en effet vécu longtemps sous le régime de la « one drop rule », selon laquelle « une seule goutte » de « sang noir » (c’est-à-dire un seul ancêtre noir, même fort lointain) suffisait à faire de vous un Noir. Il va sans dire qu’à l’époque la fiche de recensement était remplie par un officiel, et non directement par l’intéressé… Pour la plupart, ceux que l’on appelait « Noirs » sont demeurés dans cette catégorie sociale, dans cette culture, et se considèrent aujourd’hui comme Afro-Américains. On touche là du doigt la dissociation entre l’ascendance génétique et la « race » sociale, fût-elle autodéclarée. Cette divergence, importante sur le plan sociologique ou politique, a aussi des implications médicales. Il est en effet souvent question, du moins aux États-Unis, d’une « médecine ethnique », dans laquelle la « race » serait utilisée pour appréhender la constitution génétique du patient et choisir le traitement à lui administrer. On sait pourtant que les différences (parfois réelles) de pathologies entre divers groupes de population sont souvent plus liées à leurs conditions d’existence qu’à leurs gènes  ; on voit surtout, avec ces données récentes, qu’une appellation « raciale » unique peut recouvrir une population génétiquement très diverse, et ne peut donc en aucun cas déterminer le choix d’un traitement.

S’interroger, grâce aux nouveaux outils de la génomique, sur l’éventuelle différenciation génétique de groupes humains est parfois mal vu, notamment en France. On s’accroche à une formulation simpliste  : « nous sommes tous identiques à 99,9 %, donc les races n’existent pas », qui ne rend pas compte de la réalité dans sa complexité. Les travaux commentés ci-dessus montrent que notre ADN garde la trace de nos ancêtres – rien d’étonnant à cela – mais aussi qu’il révèle toute la distance entre notre histoire génétique, notre constitution personnelle et les catégories raciales. Catégories que l’on a, jusqu’à il y a peu, prétendu fondées sur la biologie alors que, et l’histoire des Afro-Américains le démontre, elles sont avant tout une construction sociale…

Par Bertrand Jordan, biologiste moléculaire et généticien (*)

(*) Auteur de L’Humanité au pluriel, la génétique et 
la question des races. Éditions du Seuil. Cette tribune libre est une version adaptée d’un article paru dans le numéro 
de février 2010 de la revue Médecine/Sciences.


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