Nigéria : des pasteurs musulmans de l’ethnie Fulani massacrent près de 500 chrétiens de l’ethnie Berom

lundi 3 mai 2010.
 

1) Des tueries organisées montrent la montée des tensions au Nigeria

L’attaque, en pleine nuit, n’a laissé aucune chance aux villageois des environs de Jos, capitale de l’Etat du Plateau, dans le centre du Nigeria. Ni violences spontanées ni querelles de voisinage ayant mal tourné, mais une vague de tueries organisées, et exécutées avec rigueur. Selon plusieurs sources, les assaillants sont arrivés dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 mars dans trois villages du sud de Jos.

Au nombre de plusieurs centaines, ils étaient armés de machettes, mais aussi d’armes automatiques. Les survivants les ont décrits comme des "bergers fulanis", du nom de l’un des groupes parlant hausa, majoritairement musulmans, qui vivent dans le nord du Nigeria, mais sont aussi très présents dans l’Etat du Plateau.

En trois heures, ces supposés bergers ont encerclé Dogo Nahawa et deux localités voisines, tiré des coups de feu pour attirer la population à l’extérieur des habitations, puis commencé à tuer, n’épargnant ni femmes ni enfants, incendiant les maisons de ces quartiers où résident essentiellement des membres de l’ethnie Berom, majoritairement chrétiens.

Les journalistes et les membres des organisations locales, sur place, établissaient lundi soir un premier bilan à environ 200 morts. Les autorités locales parlent du double mais, comme le remarque un reporter d’Associated Press présent dans le village où les tueries ont eu lieu, elles "ne fournissent aucune liste ou autre information pour appuyer cette assertion".

Les tueries ont été perpétrées pendant les heures de couvre-feu instauré depuis qu’une vague de violence a frappé, fin janvier, des habitants du groupe Hausa-Fulani, appelé aussi Jasawa localement. Ces massacres avaient fait au moins 300 morts.

Depuis, des unités de l’armée avaient été déployées par le pouvoir central, en pleine crise politique provoquée par la maladie du président Umaru Yar’Adua, et son remplacement aux affaires par le vice-président, Goodluck Jonathan.

Mais le déploiement des forces de sécurité ne garantit pas la stabilisation de cette situation. "Les soldats sont dans le centre, et sur les grands axes, pas dans les villages. Et ils rackettent. Quand les gens se déplacent, ils entendent le langage de la corruption, pas celui de la sécurité", commente, désabusé, Steve Aluko, de Civil Liberties Organisation (CLO) à Jos, contacté par téléphone.

Vérité impossible à énoncer à Jos, l’armée est surtout dominée par des éléments originaires du Nord, donc musulmans, alors que la police locale est essentiellement berom, donc chrétienne.

En apparence, le conflit repose sur des divisions religieuses, qui recoupent des différences ethniques. "Les Fulanis ont été les principales victimes la dernière fois. Ils se sont vengés sur des chrétiens cette fois-ci. On peut s’attendre à de nouvelles vengeances dans l’autre sens", analyse Steve Aluko.

CONCEPT D’INDIGÉNÉITÉ

Le 17 janvier, il avait suffi que des musulmans reviennent construire une maison, une mosquée, voire un terrain de football – selon les versions – dans un quartier devenu chrétien, pour qu’éclate une violence n’ayant rien de spontané, ni de "religieux" ou d’ethnique à l’origine.

Olisa Agbakoba, avocat, ancien président du barreau du Nigeria, est originaire de Jos. Il ne cache pas sa colère. "Bien sûr, les facteurs de tension sont nombreux au départ. Mais si on tue à Jos, c’est en raison des manipulations des responsables locaux. C’est une scène politique d’une extrême violence. Et cela fait partie de la montée des tensions qui menace le Nigeria."

A la base de ces "tensions" se trouve le concept d’indigénéité. Une particularité nigériane, accordant à certains groupes ethniques, dans des régions invariablement mélangées, une sorte de certificat de "premier arrivé sur place". Souvent contestable d’un point de vue historique, cette notion a surtout des effets toxiques, car aux "indigènes" sont opposés les "colons", arrivés plus récemment.

"Les gouvernements locaux déterminent qui sont leurs propres indigènes", rappelle le chercheur Philip Ostien, dans un rapport pour la Fondation Volkswagen. Les autorités locales distribuent des "certificats d’indigénéité", indispensables pour obtenir notamment un emploi dans l’administration, le premier employeur de la région.

Or Jos est une zone de contact entre le Nord, à majorité musulmane, et le Sud, à majorité chrétienne, mais aussi une destination de migrations internes.

Depuis plus d’un siècle, des habitants de tout le Nigeria sont venus s’établir dans la région du Plateau, où les terres étaient fertiles et où l’exploitation de l’étain créait des opportunités pour les commerçants. Pendant de nombreuses années, la ville de Jos a été une destination de choix pour d’autres nouveaux venus, notamment beaucoup de missionnaires chrétiens. D’ailleurs, des Berom musulmans et des Fulanis chrétiens vivent à Jos.

Cela n’empêche pas les deux groupes de se laisser persuader que des préparatifs d’extermination sont en cours chez leurs ennemis, alors que le nerf de la violence est à chercher du côté des luttes pour le pouvoir local. Le gouverneur Jonah Jang va devoir ramener le calme et ce ne sera pas facile. Cet ancien officier de l’armée de l’air, qui avait été gouverneur militaire dans les années 1980 sous le régime du général Babangida, a été chassé de l’armée par ce dernier.

Depuis, après des études de théologie, il est devenu titulaire d’un diplôme de divinité de l’Université de théologie du nord du Nigeria et a embrassé une carrière de pasteur parallèlement à sa carrière politique. Un mélange des genres qui est le reflet de la situation à Jos.

Jean-Philippe Rémy

Source : LE MONDE du 9 mars 2010

2) Des heures de tueries organisées au Nigeria

En majorité 
des femmes 
et des enfants 
de trois villages 
du centre 
du pays sont parmi les 500 morts d’attaques de milices « ethniques ». L’armée est accusée de passivité.

Le président par intérim du Nigeria, Goodluck Jonathan, a mis hier le centre du pays sous alerte maximale après des heurts sanglants dans les environs de Jos, la capitale de l’État central du Plateau, qui ont fait 500 morts, selon les autorités. Les victimes sont majoritairement celles qui vivaient dans trois villages de l’ethnie Berom. Les attaques ont été menées dans la nuit de samedi à dimanche par des pasteurs de l’ethnie Fulani. En trois heures, des centaines de personnes ont été massacrées, tuées à la machette et brûlées, selon les témoins qui ont décrit de véritables scènes d’horreur  : « Apparemment c’était bien coordonné, les assaillants ont lancé les attaques simultanément […] De nombreuses maisons ont été brûlées », a raconté Shamaki Gad Peter, responsable d’une organisation de défense des droits de l’homme à Jos, qui s’est rendu dimanche dans les trois villages concernés. « Le niveau de destruction est énorme », a-t-il assuré.

Selon des habitants cités par le quotidien nigérian The Guardian, des centaines de corps gisaient dans les rues dimanche après l’attaque. D’autres témoins, cités par le journal The Nation, ont raconté que les assaillants étaient entre 300 et 500 et accusé l’armée nigériane d’être restée passive. Or cette région est placée sous couvre-feu entre 18 heures et 6 heures du matin depuis la précédente flambée de violence interreligieuse en janvier, où plus de 300 personnes ont été tuées à Jos et dans ses environs. Les massacres sont généralement assimilés à des confrontations interethniques  : les éleveurs fulani, étant majoritairement musulmans, alors que les agriculteurs berom sont des chrétiens. De récents rapports de sécurité affirment que « des intégristes islamistes » dans la région ont encouragé les violences. Après le retour à la démocratie, en 1998, l’irruption de la loi islamique dans le nord du pays reflète surtout la réaction de populations paupérisées qui ne bénéficient pas de la rente pétrolière. La loi islamique est en vigueur dans 12 des 36 États de la fédération et les extrémistes voudraient pousser leurs pions. Le Nigeria est le huitième producteur de pétrole dans le monde. Il n’en reste pas moins que parmi ses 148 millions d’habitants, l’immense majorité vit dans la pauvreté. Mais ces affrontements intercommunautaires recouvrent d’autres manipulations politiques. À un an de l’élection présidentielle, le président intérimaire, Goodluck Jonathan, s’efforce d’asseoir son autorité sur un pays traditionnellement instable, alors que le président en titre, Umaru Yar’Adua, vient de rentrer d’Arabie saoudite après trois mois de soins.

Source : L’Humanité du 9 mars 2010

Dominique Bari


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