Comment Bruxelles et Washington confisquent la souveraineté des Grecs

mercredi 12 mai 2010.
 

L’Humanité 
s’est procuré 
le mémorandum d’accord sur le plan d’« aide » à la Grèce. 
Ce document dicte tout le travail législatif 
de casse sociale que devra entreprendre Athènes. Certaines réformes courront jusqu’en 2060  !

La Grèce « ne se sent pas sous tutelle ». C’est ce qu’affirmait dimanche le ministre grec des Finances, Georges Papakonstantinou. Pourtant, selon un document que s’est procuré l’Humanité, Athènes est bien sous contrôle. En date de dimanche 2 mai, le mémorandum d’accord entre la Commission européenne et le gouvernement grec n’est pas encore public, et s’apparente à un calendrier de travail des autorités grecques sous supervision internationale. C’est le document qui sert de base au déblocage des prêts bilatéraux des États de la zone euro et du Fonds monétaire international (FMI) pour la Grèce.

Le but est de réduire le déficit du pays, qui est monté à 13,4 % en 2009, du fait de la crise financière. Le tout constitue un véritable programme de casse et de régression sociales et démocratiques.

Souveraineté niée

La démocratie grecque est sérieusement mise à mal. L’accord fixe ainsi l’agenda gouvernemental et parlementaire. Le deuxième semestre s’avérera être une série de réformes réactionnaires sur les retraites, l’organisation du marché du travail, etc. La crise ayant débuté quand le gouvernement du socialiste Georges Papandréou a révélé que le gouvernement conservateur précédent avait truqué les statistiques, la Commission et le FMI s’avèrent très vigilants. Le gouvernement doit adopter « avant la fin juin 2010 une loi qui exige la publication mensuelle par le bureau de comptabilité générale de statistiques mensuelles (…) sur les revenus, les dépenses et les finances de l’État ». Cette exigence est déclinée à tous les niveaux, jusqu’aux municipalités. De même, toutes les décisions publiques qui engagent des fonds doivent être publiées sur Internet.

Pis pour la souveraineté grecque, les politiques publiques seront examinées. Le ministre président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Jürgen Rüttgers, réclamait en début de semaine qu’un commissaire européen soit dépêché à Athènes pour vérifier l’exécution des décisions européennes. On n’en est pas là. Mais on n’en est pas loin. Au troisième trimestre, le gouvernement devra lancer une revue des politiques publiques et des programmes sociaux. Elle devra être « conduite par des experts extérieurs et reconnus internationalement ». Le but est de « rationaliser l’administration ». On a là une véritable mise sous tutelle.

L’administration publique devra être réformée de fond en comble. Le document appelle à des « fusions de municipalités, de préfectures et de régions »  : une atteinte à la démocratie locale. Le contrôle du pouvoir législatif sur le budget sera réduit  : le gouvernement devra s’assurer de ce que « le Parlement ne modifie pas la taille globale du budget ». Il devra se concentrer sur « les dépenses publiques et les recettes ».

Privatisations en série

Le mémorandum programme une chasse à l’argent. Tous les moyens sont bons  : augmentation des taxes, et les classiques privatisations. Au quatrième trimestre, le gouvernement se devra de « préparer un plan de privatisations » dont le but sera de « lever au moins 1 milliard d’euros dans la période 2011-2013 ».

Dans le viseur, on trouve le secteur des chemins de fer. Finie la péréquation  ! Le gouvernement devra dès le deuxième trimestre fixer « comment les activités opérationnelles seront profitables, y compris en fermant les lignes qui perdent » de l’argent. Les directives sur la concurrence dans le secteur ferroviaire devront être mises en œuvre. La compagnie devra être restructurée de fond en comble, et devra vendre certaines de ses propriétés foncières ainsi que d’autres avoirs. Pareillement, un décret gouvernemental sera réclamé au troisième trimestre sur la libéralisation du secteur de l’électricité de gros, ainsi que sur une « rationalisation » des tarifs de l’électricité.

Le secteur de la santé n’est pas épargné. Il continuera d’exister une santé publique, mais elle sera sous le contrôle étroit du ministre des Finances. À l’image d’ailleurs en Europe, les libéraux promeuvent ici une approche comptable du système de soins. Un « suivi électronique » des prescriptions médicales devrait être établi.

Budget sous contrôle

Pour chacune des années, un objectif de recettes, chiffré en millions d’euros est imposé, provenant de la hausse du taux de TVA, des taxes sur l’essence, l’alcool ou les cigarettes, etc. Il en est de même dans les coupes de dépenses pour les pensions, les consommations intermédiaires, les primes. Le gouvernement devra sans cesse ajuster sa politique fiscale pour atteindre l’objectif de réduire la dette publique de 13,2 % en 2009 à 8,1 % cette année, puis 7,6 % en 2011, et repasser sous le seuil des 3 % du pacte de stabilité en 2014. Le « rôle du ministre des Finances dans les phases de préparation et d’exécution du budget » sera renforcé, et il lui sera accordé un droit de veto.

L’une des mesures les plus contraignantes sera le non-remplacement de quatre fonctionnaires sur cinq partant à la retraite dans le budget 2012.

Le pouvoir d’achat dans le viseur

Du fait de son appartenance à la zone euro, la dévaluation de la monnaie grecque est impossible. Elle seule aurait permis de rendre le pays plus compétitif. Selon ce document, la solution passe donc par la déflation (baisse des prix et des salaires).

L’exécutif devra « renforcer les institutions du marché du travail », au quatrième trimestre. Cela passera par une réduction du coût des heures supplémentaires, et plus de flexibilité dans le nombre d’heures de travail. Il faudra « autoriser les accords territoriaux » qui permettent de fixer des augmentations de salaires « en dessous de celui des conventions collectives ». C’est l’instauration d’un véritable dumping salarial au sein même du pays. D’autre part, le gel du salaire minimum est décrété pour trois ans, quelle que soit l’inflation.

Les pensions aussi seront gelées. Une note de bas de page précise tout de même qu’« il pourrait y avoir besoin d’ajustement en cas d’inflation négative ». Ce qui laisse entendre que le montant des pensions pourrait être revu à la baisse en cas de déflation. L’âge de la retraite devrait être repoussé à soixante-cinq ans. Suivant le modèle suédois, le système adapterait tous les trois ans l’âge du départ à la retraite en fonction de l’espérance de vie à partir de 2020. L’augmentation des dépenses publiques liées aux retraites ne pourra excéder 2,5 % du PIB avant 2060. Voilà qui assure un système bien verrouillé.

Diktats de Bruxelles

Ce mémorandum est un moyen pour la Commission de faire passer ses diktats. Elle oblige la Grèce à retranscrire dans son droit national la directive services (ex-directive Bolkestein), alors que les autres États traînent à le faire.

D’autres États européens, mais hors zone euro, font face à un programme de rigueur  : la Hongrie, la Lettonie, etc. Eux aussi se voient imposer un tel programme de rigueur, une souveraineté extérieure. La prise de contrôle de l’État grec par le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne augure bien de la coordination des politiques économiques voulue par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.

Gael De Santis


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