Iran Au pays de la gestapo chiite, la dernière lettre de Farzad Kamangar, torturé puis exécuté

dimanche 7 juin 2015.
 

Avec quatre autres prisonniers politiques kurdes, Farzad Kamangar a été exécuté en secret, le dimanche 9 mai à la prison d’Evin à Téhéran. Enseignant de 35 ans et membre du syndicat professionnel des enseignants kurdes, il a été accusé de « mettre en danger la sécurité nationale » et « inimitié envers Dieu ». Il vivait sous la menace de la peine de mort depuis Février 2008 suite à un simulacre de procès qui a duré moins de cinq minutes. En prison, Farzad a subi des tortures et des pressions psychologiques.

Nous présentons ci-dessous la traduction en français de la lettre adieu de Farzad : « Je veux donner mon cœur rebelle à un enfant »‎

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« Je m’appelle Farzad Kamangar, appelé Syamand, instituteur depuis 12 ans. Pendant l’année précédant mon arrestation, j’enseignais au collège technique de Kamyaran, étais membre du conseil d’administration du syndicat des enseignants techniques du Kurdistan et également le porte-parole de ce syndicat, jusqu’à l’interdiction de ses activités par le gouvernement.

Je faisais aussi partie de l’équipe de rédaction de la revue pédagogique Rouyan (la revue de l’éducation nationale au Kurdistan) jusqu’à ce que cette revue soit également interdite par les renseignements. J’ai également été membre de l’association de protection de l’environnement de Kamyaran (ASK). En 2005, lorsque la ligue de défense des droits de l’homme a commencé ses activités locales, j’y ai adhéré en tant que journaliste.

En août 2006, je suis venu à Téhéran pour m’occuper de la santé de mon frère, un activiste kurde, et j’ai été aussitôt arrêté. J’ai été transféré à un sous-sol sans ventilation et sombre dont j’ignore l’adresse. Les cellules étaient vides et dépourvues de tout objet, lit ou couverture.

Puis, ils m’ont transféré à une autre cellule. Lors des interrogatoires, je recevais des coups de fouet sur tout le corps pour toute référence à mon identité kurde, ma religion (sunnite, NDLR) ou même à cause de la musique kurde que j’avais sur mon mobile.

Ils me faisaient asseoir sur une chaise, déshabillé et les mains liées dans le dos, et me donnaient des coups aux endroits sensibles du corps ou me menaçaient de viol et me harcelaient avec le bâton.

Ma jambe gauche a été fortement endommagée pendant cette phase d’arrestation et j’ai même perdu connaissance à cause des coups reçus sur la tête et des électrochocs que j’avais subis. Depuis mon réveil, j’ai des problèmes d’équilibre et des tremblements involontaires qui continuent jusqu’à ce jour.

Ils m’enchaînaient les pieds et me donnaient des électrochocs aux endroits sensibles du corps. La douleur était insupportable.

Quelque temps après, j’ai été transféré à la section 209 de la prison d’Evine. Ils m’ont mis un bandeau sur les yeux dès mon arrivée et m’ont emmené dans une petite chambre où j’ai encore une fois reçu des coups de poings et de pieds. Le jour suivant, ils m’ont transféré à Sanandaj (ville kurde iranienne NDLR) car ils venaient d’arrêter mon frère. Dès mon arrivée dans la maison d’arrêt de Sanandaj, j’ai fait l’objet d’insultes et de divers sévices.

J’ai été attaché à une chaise jusqu’à 7h00 le lendemain matin, sans pouvoir aller aux toilettes, si bien que je me suis souillé.

Au bout de quelques jours et de multiples sévices, j’ai été à nouveau transféré à la section 209 d’Evine, où j’ai été interrogé et battu dans une pièce au premier étage.

Fin août, mon état de santé s’est aggravé à cause des tortures subies et ils m’ont emmené au dispensaire de la prison. Le médecin a noté les traces de sévices, visibles sur une grande partie de mon corps.

J’ai passé les mois de septembre et octobre en solitaire et j’ai tellement subi de torture que j’ai fait une grève de la faim pendant 33 jours. Lorsqu’ils ont convoqué ma famille pour les menacer en ma présence, je me suis jeté du haut des escaliers pour mourir.

Ensuite, encore un mois de solitude dans la petite cellule 113 infestée, sans visite ni de coup de fil. Et pas de droit de sortie pendant les trois mois en solitaire...

Puis, j’ai passé deux mois à la cellule N° 10 où il y avait quelques autres prisonniers, toujours sans droit de visite et sans contact avec mon avocat.

Début décembre, j’ai été transféré à la maison d’arrêt des RG de Kermânchâh (une autre ville au Kurdistan. NDLR), alors que je ne savais toujours pas de quoi j’étais accusé !

Là, ils m’ont déshabillé et battu encore une fois, puis m’ont donné des vêtements souillés et m’ont conduit, toujours en me tapant dessus, à une petite cellule éloignée au fond d’un couloir, où personne ne risquait de m’entendre.

Avec deux ampoules qui pendaient du plafond et sans ventilation, la cellule semblait être une ancienne toilette froide qui empestait. Il y avait juste une couverture très sale. L’espace était si exigu (environ 1m60 x 50 cm) que je me cognais la tête au mur en me réveillant. Pour pallier le manque d’air, je collais mon visage par terre, à la fente de la porte où un petit courant d’air pénétrait. Ils tapaient sur la porte plusieurs fois par heure, pour que je n’arrive pas à dormir. Parfois ils éteignaient la lumière et me laissaient dans le noir. Deux jours plus tard, j’ai à nouveau été interrogé et battu encore une fois. Puis ils m’ont ramené à la cellule, en mettant la radio à fond pour m’empêcher de penser. J’avais droit à deux sorties aux toilettes par jour et une douche de quelques minutes par mois.

Voici une petite liste des sévices que je subissais...

1) « Le Football » : les interrogateurs l’appelaient ainsi. Ils me déshabillaient, puis m’entouraient et me renvoyaient les uns aux autres en me tapant dessus, comme une balle !

2) Ils m’obligeaient à rester debout pendant des heures, les bras levés et je recevais des coups, sur ma jambe gauche déjà blessée, dès que je baissais les bras.

3) Ils me giflaient.

4) Le sous-sol de la maison d’arrêt comportait une chambre de torture. L’escalier qui y menait était couvert de poubelles et autres détritus, pour ne pas qu’on le remarque. Ils m’y emmenaient la nuit, m’attachaient à un lit et me donnaient des coups de fouet à la plante des pieds et aux cuisses avec un câble électrique qu’ils avaient baptisé « Zolfaghar » (nom du sabre d’Ali, premier imam des chiites, NDLR). Après ces séances, je ne pouvais pas marcher pendant des jours.

5) En hiver, ils m’enfermaient dans une chambre glaciale toute la nuit.

6) À Kermânchâh aussi, j’ai subi des électrochocs aux endroits sensibles de mon corps.

7) Je n’avais pas le droit de me brosser les dents et étais nourri d’une nourriture insuffisante et à peine comestible.

Là non plus, je n’ai pas eu droit aux visites de ma famille et ils ont même arrêté la fille que j’aimais. Mes autres frères aussi ont eu des problèmes à cause de moi. J’ai attrapé la gale tellement les vêtements et les cellules étaient sales, mais aucun traitement ne m’a été donné.

Les sévices devenaient insupportables, alors j’ai refait une grève de la faim pendant 12 jours. Dans les quinze derniers jours de ma détention, j’ai été transféré à une cellule encore plus sale et très froide. J’étais insulté et battu tous les jours. Une fois, je me suis même évanoui après le coup que j’avais reçu aux parties génitales.

Une nuit, ils m’ont déshabillé et m’ont menacé de viol. J’ai dû commencer à me taper la tête contre le mur pour les faire arrêter. Ils m’ont obligé à avouer avoir eu des relations sexuelles...

J’entendais les plaintes et gémissements des autres prisonniers. Certains se suicidaient même.

Mi- mars, j’ai été transféré à Téhéran, dans la cellule collective 121, mais toujours sans droit de visite.

Je subissais la pression psychologique, car ils menaçaient en permanence d’arrêter ma famille et continuaient à m’insulter.

Après une longue attente, mon dossier fut envoyé au 30e tribunal, en juin 2007. Mes interrogateurs disaient qu’ils demanderaient la peine maximale pour moi, et que si jamais j’avais une courte peine ou que j’étais libéré, ils se vengeraient de moi dehors.

Ils me détestaient pour ce que j’étais : kurde, journaliste et militant pour les droits de l’homme. Malgré toutes les pressions, ils n’arrêtaient pas.

Quand il y avait des mouvements de soutien de la part des organisations de défense des droits de l’homme, la pression augmentait en prison. En septembre 2007, j’ai été transféré à la maison d’arrêt de Sanandaj, le lieu de cauchemar que je pense ne pouvoir jamais oublier. Même si, conformément à leur propre loi, il ne m’a rien été reproché, dès mon arrivée, la torture physique et psychologique a repris de plus belle.

La maison d’arrêt de Sanandaj est constituée de 5 sections, j’étais placé dans la dernière cellule de la dernière section. Quelques jours plus tard, le « directeur » de la maison d’arrêt et quelques autres ont fait irruption dans ma chambre et m’ont passé à tabac sans aucune raison, puis m’ont traîné sur les marches de l’escalier. J’ai perdu conscience. Quand j’ai repris connaissance, les coups ont repris. Ils m’ont battu pendant encore une heure. Remonté dans ma chambre, sous la pluie de coups, j’ai perdu conscience à nouveau. Je me suis réveillé avec l’appel à la prière du soir. J’étais couvert de sang. Des hématomes couvraient mon visage. Mon corps portait la trace des coups que j’avais reçu. Plus tard, compte tenu de mon état préoccupant, j’ai été transféré à l’hôpital de la prison centrale. Je ne pouvais pas m’alimenter en raison du mauvais état de mes dents et ma mâchoire. Je dois préciser que le chef d’inculpation n’était toujours pas déterminé. J’ai débuté une grève de la faim qui a duré 5 jours. Le chef de la maison d’arrêt participait activement aux séances d’interrogatoire en me laissant par terre, pieds et mains liés pour me taper dessus.

L’autre mauvais traitement pratiqué était de mouiller mes vêtements, en me laissant sans couverture dans une cellule, en laissant la fenêtre ouverte, par laquelle entrait les gémissements des autres prisonniers, dont beaucoup de femmes.

Finalement, après huit mois d’isolement au total et tout ce que j’avais subi, j’ai été transféré à Téhéran, puis envoyé à la prison de Rajaï Shahr, qui est consacrée aux détenus de droits communs tels les trafiquants et meurtriers. »


Extrait du testament de Farzad Kamangar

« Alors que mes geôliers ont décidé de m’enlever la vie, je décide de donner mes organes aux personnes qui en ont besoin pour leur donner la vie.

Qu’elles soient au flanc du mont Sabalan, sur les rives de Karoun, dans le désert ou regardant le lever du soleil en haut de Zagros.

Je veux donner mon cœur rebelle à un enfant, plus rebelle encore, qui confie ses rêves aux étoiles, les prenant à témoin pour ne pas trahir ses rêves d’enfance une fois grand.

Je voudrais que mon cœur batte dans la poitrine de celui qui pense aux enfants qui dorment le ventre vide, comme mon élève Hamed (16 ans) qui m’écrivait « Même mon souhait le plus petit ne se réalise pas dans la vie ! » avant de se pendre.

Laissez mon cœur battre dans un nouveau corps, peu importe la langue qu’il parle ou la couleur de sa peau, juste qu’il soit l’enfant d’un ouvrier, pour que la peau rêche des mains de son père, me rappelle mes luttes contre les inégalités. Un enfant qui serait peut-être dans quelques années instituteur dans un village éloigné, pour que les enfants viennent l’accueillir sourire aux lèvres, pour partager avec lui leurs rêves et chagrins.

Peut-être qu’alors, ils connaîtront un monde sans faim et qu’ils n’auront plus entendu les mots prison, torture, cruauté et inégalité. »


KAMANGAR Farzad


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