La Gauche devra désobéir à l’Union européenne (par Aurélien BERNIER, MPEP)

jeudi 17 juin 2010.
 

Fermons les yeux et rêvons un peu. Nous sommes en 2012, au printemps. Pour la première fois, la Gauche radicale française est unie derrière un candidat aux élections présidentielles. Unie également pour mener la bataille des législatives. Et elle gagne, dans les deux cas ! Mais passée l’immense fête populaire que mérite un tel succès et la mise en place d’un gouvernement, il se pose un problème crucial à nos nouveaux dirigeants. Si cette Gauche radicale se réfère au droit communautaire qui s’impose aux états membres, elle doit en effet renoncer à mettre en œuvre son programme social, écologique et solidaire, qui est par nature incompatible avec les traités de l’Union européenne.

Il fut une époque où la Gauche française répondait sans ambiguïté à ce problème. Dans son chapitre consacré à l’Europe, le programme commun de 1972 du Parti communiste français, du Parti socialiste et du Mouvement des radicaux de gauche indiquait : « Le gouvernement aura à l’égard de la Communauté économique européenne un double objectif. D’une part, participer à la construction de la CEE, à ses institutions, à ses politiques communes avec la volonté d’agir en vue de la libérer de la domination du grand capital, de démocratiser ses institutions, de soutenir les revendications des travailleurs et d’orienter dans le sens de leurs intérêts les réalisations communautaires ; d’autre part de préserver au sein du marché commun sa liberté d’action pour la réalisation de son programme politique, économique et social. » Et l’Union européenne était à l’époque bien moins libérale qu’aujourd’hui !

Entre temps, Bruxelles a muré les fenêtres et verrouillé les portes qui auraient permis à des états de sortir de l’euro-libéralisme.

Le Traité de Nice indique par exemple dans son article 56 que « Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites », ce qui rend les politiques fiscales de gauche impossibles.

Sans attendre le Traité de Lisbonne, la Cour de justice des communautés européennes met en pratique la casse des acquis sociaux, comme c’est le cas avec les arrêts Viking ou Laval, qui tendent à aligner les conditions de travail sur les pires dispositions en vigueur dans l’Europe des vingt-sept.

Face à une Commission qui conserve toujours l’exclusivité en matière de propositions législatives, le Parlement est cantonné dans un rôle d’observateur, qui autorise tout juste certains députés à lancer des alertes en direction de l’opinion publique. Surtout, l’assemblée qui représente les peuples ne possède aucune compétence sur les traités communautaires et les accords internationaux, qui sont les véritables fondements des politiques européennes.

L’affaire des OGM détruit quant à elle l’espoir qu’un groupe de pays puisse influencer les décisions de l’Union européenne dans un sens moins libéral : alors qu’une majorité de citoyens et d’états membres souhaite interdire les cultures transgéniques, la Commission continue de les imposer au nom du libre-échange.

Au final, tout projet de transformation « de l’intérieur » pour bâtir une Europe sociale nous renvoie à un avenir lointain. La construction européenne suit une ligne tout à fait libérale qui ne montre aucun signe d’affaiblissement, bien au contraire.

Cette situation de blocage nous impose de répondre aussi clairement que nos prédécesseurs à cette question taboue : que ferait un gouvernement de Gauche radicale face aux institutions communautaires ? Tout montre qu’il n’aurait pas le choix. Il lui faudrait désobéir, c’est à dire construire un droit national socialement juste et protecteur de l’environnement, même si ce droit est incompatible avec les textes européens.

La Gauche pourrait-elle par exemple accepter la transposition des directives de privatisation qui détruisent la Poste ou le service public de l’énergie ? Pourrait-elle accepter qu’on lui interdise de taxer les transactions financières ou de voter des lois anti-délocalisations ? Bien-sûr que non.

Or, même s’ils en ont conscience, les partis n’osent pas encore aborder ce sujet. Pourtant, un état qui assumerait la désobéissance européenne en entraînerait d’autres avec lui. Il créerait un formidable espoir de changement là où domine le fatalisme. Il ouvrirait une brèche dans laquelle tous les mouvements sociaux pourraient s’engouffrer. En nouant de nouvelles alliances sur des bases anti-libérales, il irait même jusqu’à poser les fondations de cette autre Europe que nous souhaitons créer. Après les succès de Die Linke en Allemagne ou de la gauche radicale portugaise, la désobéissance européenne apparaît bel et bien comme le chaînon manquant vers une révolution progressiste par les urnes, en Europe et au delà.

En 2005, lors du référendum sur le Traité constitutionnel, nous expliquions aux citoyens que les politiques européennes surplombaient l’ensemble des politiques nationales. Les citoyens l’ont parfaitement compris. Malheureusement, la Gauche radicale propose d’excellentes mesures, mais ne dit jamais comment elle les appliquera face à l’ultralibéralisme de Bruxelles. Soyons-donc logiques. Osons assumer cette désobéissance européenne, qui permettra à la Gauche de redevenir victorieuse.

Liens :

http://abernier.vefblog.net/


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