La retraite à 60 ans. 1910-2010 : une lutte et 
une revendication centenaires

dimanche 30 mai 2010.
 

La droite n’en a jamais voulu et a détricoté le système de retraites par répartition dès qu’elle l’a pu. Détruisant en quelques années près de quatre-vingts ans de luttes acharnées, jusqu’à l’instauration de la mesure par 
la gauche en 1983.

Le 1er avril 1983, l’Humanité saluait la bonne nouvelle d’un  : « Bonne retraite à 60 ans  ! » « Ce n’est pas un poisson d’avril, écrivait Pierre Cames. La retraite à 60 ans, à taux plein (70 % au moins du salaire – NDLR) pour une carrière complète, entre bien en application aujourd’hui. » Après bien des discussions dans les deux Assemblées et avec les syndicats de salariés et patronaux, l’ordonnance du 26 mars 1982 était enfin appliquée. « Une grande conquête sociale espérée depuis la fin du siècle dernier », estimait le président de la République, François Mitterrand. Une avancée « comme il y en a eu en 1936 et à la Libération », continuait Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT. Cette décision du gouvernement d’union de la gauche de Pierre Mauroy, qui compte quatre ministres communistes, marquait effectivement l’épilogue – jusqu’à aujourd’hui – de décennies de luttes. Avant 1981, Parti communiste français et Parti socialiste avaient inscrit cette mesure dans leur programme commun. Pour le premier, il s’agissait de concrétiser près de trente ans d’interventions devant la représentation nationale. Depuis 1955, le PCF défendait régulièrement cette proposition, l’affinant même en mai 1973 en demandant une retraite avancée à 55 ans pour les femmes.

L’occasion ratée de 1910

Les partis politiques de gauche ne faisaient que suivre le mouvement syndical, qui bataillait ferme depuis le début du siècle pour l’obtention de cette « avancée sociale ». Songez qu’en 1910, la retraite était fixée à 
65 ans, quand l’espérance de vie était de… 50 ans  : « la retraite des morts », ironisait la CGT. La loi du 5 avril de cette année-là, créant les retraites ouvrières et paysannes, a accrédité la possibilité d’une « retraite pour tous les salariés ». Mais l’idée d’un régime général obligatoire et d’un minimum de pension garanti après 60 ans (à l’époque, 40 %) est rejetée.

Après 1918, les conséquences de la Grande Guerre ont généré une poussée internationale en faveur des progrès sociaux, pour le droit des femmes et des personnes âgées, bref, de tous ceux qui, n’étant pas montés au front, avaient remplacé les hommes en âge de travailler et gagné une place nouvelle dans la société. Mais l’idée d’un régime général obligatoire de retraite, présentée à la représentation nationale en 1928, est à nouveau repoussée, sous la pression des électeurs traditionnels de la droite, médecins, agriculteurs et patrons. Deux ans plus tard, sera tout de même créé le premier régime d’assurance vieillesse obligatoire pour les salariés dont les revenus ne dépassent pas 15 000 francs de l’époque.

En 1933, le Bureau international du travail (créé en 1919 – NDLR) préconise le financement des retraites par l’État, les patrons et les salariés. À la fin des années 1930, l’idée du droit à la retraite pour tous était acquise, mais il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le système actuel de protection sociale voie le jour. C’est à ce moment que la notion de retraite par répartition, guidée par la « solidarité nationale », est ancrée dans les textes. « Les cotisations des actifs servent à payer immédiatement les retraites, tout en ouvrant des droits pour leur future retraite », dit le texte.

1970 : unité pour les 60 ans

Ce n’est qu’en 1970 que les deux principaux syndicats, CGT et CFDT, s’accordent pour demander l’abaissement de l’âge de la retraite à taux plein à 60 ans. Las  ! En 1972, arguant comme aujourd’hui de l’évolution démographique de la société française, le gouvernement Pompidou fait passer le nombre d’annuités 
nécessaires pour toucher une retraite à taux plein de trente à… trente-sept années et demie. Il devient de fait 
quasi impossible de prendre sa retraite à taux plein à 60 ans. Loin d’être anecdotique, la décision du gouvernement Pompidou montre que les pressions de la droite et du patronat ont toujours été très fortes. Retour en 1983. Quelques jours après l’entrée en vigueur de la retraite à 60 ans, le député PCF du Pas-de-Calais Joseph 
Legrand revient au Palais-Bourbon sur la bataille pour l’application de cette loi « conquise de haute lutte contre le grand patronat et, au sein de cette Assemblée, contre la droite qui aura multiplié les manœuvres et les obstacles pour empêcher d’aller plus vite sur la voie de la justice sociale ». Ironie de l’histoire, c’est au nom de cette même « justice sociale » que la droite actuelle entend revenir sur cet acquis… ce qu’elle n’a cessé de faire depuis 1982. Le fameux « esprit de revanche »… Malgré l’adhésion d’une large majorité de Français à cette révolution culturelle, surtout dans les couches les plus fragiles, la droite a tout tenté pour l’effacer. Et quand elle n’a pu le faire « de façon autoritaire », comme le confessait Édouard Balladur en 1987, elle l’amoindrira. En 1993, en pleine Année européenne des personnes âgées et de la solidarité, le mentor de Nicolas Sarkozy fait passer la durée de cotisation à quarante années. Dix ans plus tôt, le 4 février 1983, la Lettre de la Nation, journal du RPR de Jacques Chirac, estimait déjà que la retraite à 60 ans « risque fort de ne pas être un progrès social pour les travailleurs mais une nouvelle régression de leurs acquis ». Et de suivre les recommandations de « retraite à la carte » du patron du CNPF, Yvon Gattaz, comme l’UMP suit aujourd’hui celles de la patronne des patrons, Laurence Parisot.

Depuis bientôt trente ans, chaque retour de la droite marque une régression. 1986 et la première cohabitation n’avaient pas failli à la règle. Dès son entrée à Matignon, Jacques Chirac avait confié à Philippe Séguin le dossier des retraites  : « Le dépoussiérage de nos archaïsmes ne fait que commencer », estimaient les Échos le 15 mai de cette année, dans la ligne du RPR. Un peu comme aujourd’hui les médias dans leur ensemble ne dépassent pas le cadre communicationnel fourni par l’UMP et ses think tanks, plaçant le débat sur le seul plan démographique. Et contre le sens de l’histoire.

Grégory Marin


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