Henri Weber : Vous avez dit moderne ?

mercredi 15 novembre 2006.
 

Tribune publée par Henri Weber, député européen sur Libération.fr

Le procès en archaïsme, passéisme, ringardise est un grand classique du débat socialiste. Il permet de stigmatiser à bon compte les propositions de son interlocuteur, tout en s’octroyant à soi-même le label de la modernité.

Michel Rocard avait instruit un tel procès contre François Mitterrand, en 1978, Tony Blair contre Lionel Jospin en 1998. Aujourd’hui, Laurent Fabius succède à ces illustres prédécesseurs au banc des accusés. Si l’on en croit les gazettes, Ségolène Royal incarnerait le socialisme de l’avenir, Dominique Strauss-Kahn le socialisme du présent, Laurent Fabius celui du passé. Mais selon quels critères ?

Si le modernisme consiste à toujours plus déréguler, déréglementer, privatiser les services publics et la protection sociale, "flexibiliser" (en réalité, précariser), le marché du travail, élargir sans cesse l’Union européenne sans harmoniser ses lois sociales et sa fiscalité, alors oui, Laurent Fabius s’oppose à cette modernité-là. Car il s’agit d’une modernité libérale qui entraîne la régression sociale et démocratique de notre pays.

En réalité, on le sait bien, il y a plusieurs modernités possibles. Celle qu’a mise en œuvre Margaret Thatcher différait de celle qu’à entreprise François Mitterrand. La modernisation libérale que préconise Nicolas Sarkozy s’oppose en tous points à la modernisation socialiste que propose Laurent Fabius.

Face à un capitalisme mondialisé et dominé par la finance, ce qui est moderne, dans une optique socialiste, ce n’est pas de renforcer le pouvoir des marchés. C’est au contraire de reconstituer et d’accroître les capacités d’interventions économiques et sociales de la puissance publique -la main très visible des pouvoirs élus- aux niveaux local, national, européen, mondial.

Beaucoup peut et doit être fait au niveau des régions et il faudra leur restituer les moyens dont les gouvernements de droite les ont spoliés (en leur conférant dans le même temps des charges nouvelles...). Mais n’en déplaise à la présidente du Poitou-Charentes, le niveau régional rencontre vite ses limites.

La relance économique, nécessaire à la reconquête du plein emploi, passe par des politiques macro-économiques à l’échelon de la Nation et de l’Europe : Recherche et développement, pôle énergétique, grands travaux transcontinentaux et de communication, politique monétaire et tarifaire offensives, Traité social européen.

De même, face au décollage de la Chine et de l’Inde...,ce qui est moderne, ce n’est pas d’engager une course au moins disant social avec les pays émergents. Cette course-là est perdue d’avance : les coûts du travail et de l’Etat protecteur resteront longtemps, dans ces pays, très inférieurs aux nôtres.

Ce qui est moderne, c’est de proposer un nouveau pacte social en vue d’un redéploiement de notre économie vers les industries de pointe et les services à haute valeur ajoutée d’une part ; les services aux personnes, non délocalisables, de l’autre. Exiger une forte augmentation du pouvoir d’achat des salariés, la sécurisation de leurs parcours professionnels, la préservation de leur protection sociale, le renforcement de leur pouvoir de négociation, n’a rien d’"archaïque".

Ce sont les conditions du nouveau Pacte républicain dont la France et l’Europe ont besoin pour relever le défi de la mondialisation et de la nouvelle révolution industrielle. Car si une meilleure spécialisation de notre économie dans la nouvelle division internationale du travail suppose la mobilisation de nos entrepreneurs, elle exige tout autant, sinon davantage, celle des salariés.

Pour les socialistes, la modernisation est indissociable du progrès démocratique et social. A ce titre le relâchement de la carte scolaire (avant sa suppression), l’encadrement militaire des primo-délinquants, la stigmatisation des 35 heures, la surveillance des élus par les "jury populaires", ne sont pas des modernisations, mais des régressions.

Ne relèvent pas non plus d’une modernisation socialiste le financement des chaires d’Universités par l’industrie privée, le droit reconnu aux chefs d’établissement de recruter à leur guise le personnel enseignant, la prééminence de la négociation collective sur la loi, alors que les syndicats sont faibles dans le secteur privé. Pas très modernes non plus, les "nationalisations temporaires" des entreprises en faillite, que propose DSK puis leur revente par l’Etat, lorsque grâce à l’argent public, elles sont à nouveau prospère...La nationalisation des pertes et la privatisation des profits n’est pas une idée neuve, en Europe.

Le projet socialiste, que nous avons tous voté, diffère substantiellement des programmes sociaux-démocrates. Il ne préconise ni la privatisation des services publics, ni le partenariat public-privé, ni la flexibilité accrue du marché du travail, ni la révision à la baisse de notre protection sociale. Il ne fraie pas la voie à un gouvernement de "grande coalition" avec la droite, mais à un gouvernement de rassemblement de la gauche.

Soyons résolument modernes, le 16 novembre, mais restons socialistes !


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