Ces refondateurs qui tournent la page du PCF

dimanche 20 juin 2010.
 

Après des années de fidélité, leur aventure avec l’organisation s’achève dans un divorce « sans colère ni larmes ». Jacqueline Fraysse, Roger Martelli, Lucien Sève et Pierre Zarka expliquent les raisons de leur départ.

Jacqueline Fraysse, Roger Martelli, Lucien Sève et Pierre Zarka. Quatre personnalités différentes qui ont joué un rôle de premier plan dans le Parti communiste français, certains dans ses hautes instances. Quatre militants qui, après des décennies de fidélité, le quittent en 2010. Un traumatisme pour eux et pour l’organisation communiste. Comment l’expliquer  ?

Jacqueline Fraysse exprimait depuis quinze ans des désaccords sur la conception du rassemblement de son parti. Premier déclic  : en 1995, maire de Nanterre, elle initie une démarche participative avec, notamment, les Cahiers pour la ville qui ont rencontré un « succès fou ». Elle a la désagréable surprise de constater « l’hostilité du Parti qui y a vu une concurrence déloyale à son égard » en ne mettant pas l’étiquette PCF dans cette initiative municipale. « Je persistais à penser qu’il fallait faire large, ce qui n’empêchait nullement le Parti d’être dans ce rassemblement. La réticence du PCF m’a perturbée, sans comprendre cette attitude… »

Les doutes de Pierre Zarka naissent en 1992, alors qu’il intègre la direction de l’Humanité. « Pendant longtemps, pour moi, le communisme et le Parti communiste étaient synonymes. Je comprends très vite que le journal ne peut pas être le bulletin interne du Parti. Qu’il faut l’ouvrir à toutes les expériences de transformation sociale, à égalité avec le PCF. Ma première tension avec la direction du PCF a commencé sur la conception du journal. »

C’est d’abord le déclin électoral du PCF qui éveille nombre d’interrogations. Georges Marchais n’obtient que 15,35 % (4,457 millions de voix) à la présidentielle de 1981. Aux européennes de 1984, le score baisse à 11,24 %, soit 2,261 millions de voix. « C’est un décrochage important qui montre que nous n’avions pas la politique qui convient », commente Lucien Sève.

Mais le philosophe, Jacqueline Fraysse, Roger Martelli et Pierre Zarka situent leur point de non-retour à la présidentielle de 2007. Deux ans auparavant, la gauche de la gauche rassemblée s’était senti pousser des ailes après la victoire du « non » au référendum sur le traité de constitution européenne, avant de sombrer dans le désamour. La LCR et le PCF présentent chacun leur candidat au scrutin présidentiel. Les comités antilibéraux à l’origine, parmi d’autres, du résultat référendaire se disloquent. « Je maintiens que la dynamique a été cassée par le Parti, accuse Jacqueline Fraysse, c’est impardonnable de la part d’un parti révolutionnaire, pour recueillir au final 1,93 % des voix. » Cette femme médecin, qui n’a jamais cessé d’exercer, avait adhéré au PCF l’année de son bac. « J’ai vu là jusqu’où le Parti pouvait aller pour imposer sa candidate contre vents et marées. C’est là que je l’ai quitté, je ne l’ai pas fait publiquement. Je ne m’imaginais pas jusqu’à quel point il était capable de faire passer au second plan l’intérêt du mouvement populaire par rapport à sa structure. » Rappelons que Marie-George Buffet avait été élue par 81 % (41 533 voix, contre 9 683) des suffrages communistes exprimés lors de la consultation interne en vue de l’élection.

L’année 2007 laisse de profondes traces pour Jacqueline Fraysse comme pour les trois autres personnalités connues et reconnues. Elle les a marqués au point de tirer un trait définitif sur cette formation à laquelle ils ont consacré une bonne part de leur vie. « C’est une faute politique grossière. Elle a conduit à la ruine un parti qui en principe est l’outil dont on a besoin pour une transformation sociale et humaine d’une importance et d’une urgence capitales », dit Lucien Sève. Ces désaccords ont, en fait, des causes plus profondes, plus anciennes. « À la question élémentaire d’expliquer comment le Parti est tombé à 1,93 %, la direction n’a jamais apporté d’arguments de fond. Le PCF a cessé de s’interroger sur son histoire », ajoute le philosophe. Il prend sa carte en 1950, en pleine guerre froide et quitte ce parti, « qui aura été le mien durant soixante ans, ayant perdu tout espoir en sa capacité interne de transformation ». Professeur agrégé, Lucien Sève enseigne la philo, notamment à Marseille, où il croise… le lycéen Roger Martelli. Les deux hommes se rapprocheront plus tard et seront élus au Comité central, devenu ensuite Conseil national. Le jeune Martelli date son entrée « au communisme » du 13 mai 1968, adhère au PCF en 1969. « J’avais, à l’époque, l’image d’un parti fruste. Mais le livre de Lucien Sève, Marxisme et théorie de la personnalité, m’a émerveillé. J’étais rassuré, je pouvais être communiste intellectuel sans honte ni gêne. »

L’épisode de 2007 constitue pour Roger Martelli un véritable choc  : « La candidature du Parti révèle qu’à force de s’appauvrir, de reculer, il a perdu son sens du réel. J’ai eu un sentiment d’échec profond. Je m’étais battu pendant des années pour ce rassemblement antilibéral. Il y avait une opportunité extraordinaire, on pouvait bousculer la donne politique à gauche. » L’historien déclare être arrivé au bout du chemin quand même « les moins de 2 % des voix ne provoquent rien dans le congrès qui suit. C’est un congrès de routine, alors qu’on attend un électrochoc, une révolution. On se prépare même à une direction plus resserrée au nom de l’idée que ça a été trop le bordel et qu’il faut un parti efficace et donc une direction qui soit capable de parler d’une seule voix ». Roger Martelli est « écarté » du Conseil national, ainsi que Pierre Zarka, qui se définit volontiers comme « un pur produit de l’appareil »  : « On voulait bien du rassemblement, dit-il, à condition que le PCF en soit l’axe principal. Être un parmi d’autres, il ne l’accepte pas. Un réflexe d’autodéfense anime sa structure contre ce qu’elle considère comme une agression, une remise en cause de son rôle dirigeant. La matrice du Parti nous rattrape à chaque fois qu’il y a des avancées. Car le PCF considère que son identité est remise en cause. Au fond, en dépit des discours, il refuse de ne plus être le parti-guide. »

L’entrée en contestation de Lucien Sève et de Roger Martelli peut être située en 1984. Cette année-là, l’historien écrit dans l’hebdomadaire Révolution que la chute électorale du PCF exprime « la fin d’une longue phase, l’inadaptation de toute une démarche face aux conditions nouvelles de la société française ». Au même moment, Lucien Sève s’explique devant le Comité central sur le sujet  : « J’avançais à tâtons. Je savais qu’il y avait un problème théorique stratégique fondamental que l’on ne maîtrisait pas. Et qu’il fallait mettre à l’ordre du jour quelque chose comme une refondation historique du Parti. » Le philosophe s’engage dans la voie refondatrice.

Vive émotion dans le Parti. « Des camarades, y compris membres du Comité central, commencent à ruer dans les brancards. Ça bouillonne. Georges Marchais réagit mal et estime qu’il s’agit là d’une agitation d’opportunisme bourgeois. C’est le verrouillage », raconte Lucien Sève. Roger Martelli se souvient  : « Au Comité central, il y avait, à mon sens, une majorité possible pour ne pas valider l’analyse officielle de la direction. Or, pour la première fois, elle décide de ne pas faire voter le rapport, craignant un camouflet. » Pendant ce temps, Pierre Zarka reste « dans la ligne ». Il devient, en 1985, adjoint de Charles Fiterman au secrétariat national à la communication. Jacqueline Fraysse suit de très loin ce qui se joue au Comité central. Après le trouble et la fronde manifestés au Comité central, « l’ordre est de retour », affirme Roger Martelli. « Du jour au lendemain », lui-même et d’autres membres du groupe d’historiens engagés dans l’Institut de recherches marxistes cessent d’être invités dans les écoles de formation du PCF pour assurer des cours. « On disait que l’on y enseignait depuis trop longtemps le doute, alors qu’il fallait des certitudes », raconte l’historien.

Mais ni lui ni Lucien Sève ne suivent la dissidence des rénovateurs, conduits par Pierre Juquin, qui s’ouvre en 1984. Deux ans plus tard, cette mouvance disparaît. « Elle est battue et, comme toute minorité, soumise à une pression telle que la plupart de ses militants sont partis », estime Roger Martelli. Les reconstructeurs, parmi eux Félix Damette, Claude Poperen, Marcel Rigout, prennent le relais des rénovateurs. Ils échouent et s’en vont. Là encore, Lucien Sève et Roger Martelli n’emboîtent pas leurs pas. « Entre 1984 et 1989, on pensait qu’il fallait respecter la règle que celui qui parle de l’intérieur est voué à la marginalisation et contraint au départ », commente ce dernier. L’effondrement du système soviétique offre l’opportunité aux deux intellectuels d’entrer ouvertement dans la contestation. « Il rendait urgente la refondation sans laquelle le communisme politique était mort », dit Roger Martelli. Lui-même et Lucien Sève cessent donc « la critique larvée » quand Charles Fiterman, hospitalisé, adresse un courrier au Comité central dans lequel il appelle à « un électrochoc à l’intérieur du Parti et à sa rénovation », raconte l’historien. « J’ai été atterré par l’attitude de la direction à son égard, confie-t-il. Et à ma grande honte, je n’ai pas osé intervenir. Dans cette structure, quand tu parlais, tu signais ton arrêt de mort politique. » Mais au Comité central suivant, Roger Martelli se rachète et soutient la démarche de Charles Fiterman. Tout comme Lucien Sève, Jack Ralite, Anicet Le Pors, Roland Favaro ou encore Jean-Michel Catala. Près d’une dizaine de membres du Comité central s’engagent ainsi avec les refondateurs. Certains d’entre eux rendent leur carte, Roger Martelli et Lucien Sève continuent leur combat minoritaire durant une vingtaine d’années, rejoints plus tard par Pierre Zarka et plusieurs autres membres de l’actuel Conseil national. Lucien Sève fait remonter l’origine de ce bouillonnement à 1976, quand, à son 22e Congrès, « le PCF abandonne la dictature du prolétariat sans réfléchir fondamentalement à une stratégie de substitution ni à une nouvelle forme d’organisation ». Depuis, selon lui, la formation communiste n’a toujours pas résolu les questions  : « Dès 1976, j’affirme que le Parti souffre d’une carence de pensée théorique. Il s’agit là de bien autre chose qu’une prétendue querelle d’intellos à la direction  ; c’est la question capitale du travail de connaissance et de pensée sur les drames inépuisés du siècle dernier, les menaces sans pareilles qui s’annoncent en celui-ci, et en même temps les possibles de tous ordres qui s’esquissent pour un dépassement du capitalisme. »

Abandonnant la dictature du prolétariat et, plus tard, le centralisme démocratique, le Parti communiste s’est retrouvé, selon nos interlocuteurs, dans un vide tel qu’il se raccroche à la seule défense de l’appareil. « La manière par laquelle la direction du Parti refuse toute interrogation sur la matrice désigne l’impasse dans laquelle elle nous entraîne », argumente Pierre Zarka. Lui, comme Jacqueline Fraysse, insiste sur « l’erreur » du PCF de ne s’inscrire dans la société que par le seul biais des partis institués. Selon Pierre Zarka, « c’est à l’aune du rapport des forces, particulièrement avec le PS, qu’il croit mesurer les aspirations des gens. Plus il s’engage sur cette voie et plus il se coupe des attentes réelles. Et plus il s’en coupe, plus il réduit son univers aux seuls espaces institutionnels ». Tous reprochent à la formation communiste de rythmer son activité sur les seules échéances électorales, au risque de se confondre avec les partis électoralistes. Quitter le Parti auquel on a appartenu depuis tant d’années n’est pas aisé. « Il a été pour moi une école de formation politique et humaine. Passer soixante ans en son sein, c’est un engagement majeur, total. Je sais abstraitement que je l’ai quitté, mais je ne l’ai pas complètement intériorisé », confie Lucien Sève. « Je m’en vais à bout de confiance », ajoute-t-il. « Quarante ans d’engagement, c’est un engagement de vie, c’est douloureux », murmure Roger Martelli. « C’est difficile parce que c’est mon histoire, C’est aussi difficile sur le plan politique car je suis députée », souffle Jacqueline Fraysse. « Comme tous les outils, lorsqu’ils se révèlent inadéquats, sans colère ni larmes, on en change », dit pudiquement Pierre Zarka. Déçus mais ni amers ni rancuniers, affirment-ils, ils ont rendu leur carte, rejoignant ainsi la multitude d’autres membres du PCF partis sans faire de vagues. Paradoxalement, ils font ce choix alors qu’une nouvelle perspective, le Front de gauche, est née. Ils quittent le PCF tout en restant profondément communistes. C’est un départ collectif « irrévocable », en dépit de l’appel de Pierre Laurent, le coordinateur national du PCF, les incitant à y rester et à s’inclure dans le débat du congrès, les 18, 19 et 20 juin.

Mina Kaci


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