Stagiaires non payés Les salauds l’ont rêvé, la droite l’a fait

mercredi 24 novembre 2010.
 

Vous savez tous ce qu’est un stagiaire ? Oui ! Il y en a partout. Et tout le monde a au moins un jeune à la maison qui est stagiaire. Garçon ou fille, tous sont soumis à ce bizutage professionnel de longue durée. Vous n’en savez rien, mais la droite au Sénat a commencé à détricoter l’embryon de statut des stagiaires qui avait été acquis de haute lutte en 2006 sous le gouvernement Villepin. Par exemple il y avait obligation de rétribution à partir de 3 mois de stages. Quel privilège ! Tellement rigide ! Les modernes étaient révulsés par cet archaïsme. Les salauds l’ont rêvé, la droite la fait.

Le prétexte est toujours du même bois ! Que disent ces messieurs dames qui trouvent que ça fait trop cher de l’esclave ? Ils pleurent, comme d’habitude, et ils frappent cruellement comme à regret ! C’est pour leur bien que les stagiaires doivent être maltraités ! C’est trop cher regrettent-ils ! Toujours trop cher ! Ils disent redouter que ce coût terrible réduise l’offre de stage ! Ces braves gens, au cœur si grand, ont donc voté le 30 avril au sénat une proposition de loi pour exclure certaines formations de ces droits. Dans le paquet il y a, notamment les étudiants en travail social, c’est-à-dire les futurs assistants sociaux par exemple. Ca suscite une levée de bouclier chez les étudiants concernés. Mais pourquoi donc, grand dieu !

Quelle ingratitude pour leurs bienfaiteurs ! Ne comprennent-ils pas que s’ils doivent demain s’occuper des pauvres autant qu’ils le soient eux-mêmes pour mieux comprendre la situation. Bon ! Assez plaisanté jaune. La vraie question est : pourquoi personne ne vous parle-t-il de cela ? Devinez !

Parce que les rédactions de vos journaux favoris sont remplies jusqu’à la gueule de stagiaires. Pendant l’été et pendant les vacances c’est mêmes eux qui font tourner les boites. Je n’ai pas eu besoin de chercher bien loin les deux témoignages que vous allez lire. Compte tenu des perfidies très caractéristiques de la mentalité anti politique que contiennent ces deux textes vous allez comprendre que ce sont des stagiaires journalistes.

Attention ce ne sont pas des étudiants en journalisme ! Leurs études sont achevées. Une nouvelle occasion de confirmer tout ce que j’ai dit à propos des conditions de travail dans cette profession et le poids qu’elles pèsent dans la qualité de la production de la matière première de la citoyenneté qu’est l’information.

Le témoignage de Mathieu, 24 ans, diplômé du CELSA.

« 398,13 euros. C’est le jackpot que je gagne, chaque mois, en stage dans une grande agence de communication. Autant vous dire qu’à 24 ans, je ne suis pas prêt de rembourser la dette que j’ai contractée pour payer mes études. Quand les politiques se saisiront-ils enfin du scandale des stages payés au lance-pierres ? Je suis dans une grosse boîte qui tourne essentiellement grâce aux stagiaires. Le travail de formation, pourtant inhérent à la progression du stagiaire, a été totalement dévoyé. Celui-ci est considéré comme un employé à part entière. On pourrait s’en féliciter, si le salaire suivait ! Que nenni ! On nous demande de mouiller la chemise mais nous n’avons même plus les moyens de nous en offrir ! Un jour, mon chef m’a demandé en toute tranquillité d’effectuer une veille de l’actualité financière le week-end, et de lui envoyer ma note pour le dimanche soir. Motif : « il y a un sommet super important ; il faut que tu sois en alerte ». Quand je lui ai rétorqué que je n’étais pas censé travailler le week-end, a fortiori vu le montant de ma « gratification », il m’a répondu le plus sérieusement du monde : « C’est toi qui devrais nous payer pour être ici. Tu ne te rends pas compte de tout ce qu’on t’apprend » ! C’est vrai : ils m’auront appris que le combat pour le progrès social avait encore un sens.

Il est véritablement urgent de revaloriser de façon substantielle le salaire minimal des stagiaires. 30% du SMIC, c’est beaucoup trop peu. On nous rétorque que si l’on augmente trop la gratification, les entreprises n’embaucheront plus de stagiaires ! C’est faux ! Car les boîtes qui abusent le plus de stagiaires sous-payés sont de grosses sociétés qui ne peuvent pas se passer d’eux, et qui seront donc toujours prêtes à en prendre, tant que ça leur coûtera moins cher que d’embaucher des jeunes en CDD !

Les conséquences de la politique salariale actuelle sont socialement désastreuses. Concrètement, quels jeunes, aujourd’hui, peuvent véritablement se permettre de faire un stage de 6 mois dans une agence de communication, dans le secteur culturel, dans l’humanitaire ou dans le journalisme ? Réponse : les fils à papa ! Car même s’il est attiré par ces métiers, un boursier n’envisagera tout simplement pas cette éventualité, une telle indemnité ne lui suffisant même pas à se nourrir. C’est ainsi que la reproduction sociale fonctionne à plein, entre ceux qui, soutenus financièrement par leurs parents, se résignent à accepter ces stages mais retardent leur autonomie, et ceux qui renoncent à se tourner vers certains secteurs, faute de moyens. Au prix d’y laisser leur rêves… »

Le témoignage de Mathilde, 23 ans, diplômée de l’université Paris-Dauphine

« Tu vas enchaîner les stages et un jour ça mordra à l’hameçon. » Phrase d’accueil pour la jeune diplômée que je suis au début de mon stage de fin d’études.

À première vue, on pourrait donc croire que les employeurs ne sont pas familiers du concept de convention de stage. Grossière erreur. Ils connaissent au contraire trop bien les rouages administratifs des établissements d’enseignement supérieur : ces derniers « permettent » maintenant aux diplômés de conserver leur statut d’étudiant une ou deux années après leur fin de cursus. La recette est simple : les jeunes en galère qui arrivent sur un marché du travail ravagé, voire fictif, payent une partie des droits de scolarité de leur école, en échange de quoi ils « ont la possibilité » d’obtenir une convention et donc de faire des stages. J’insiste sur le caractère ironique des expressions entre guillemets.

Car ce système revient tout simplement à contraindre les jeunes à payer des droits de scolarité pour faire des stages dont les indemnités tournent souvent autour de 400 euros mensuels. De là à parler d’exploitation, il n’y a qu’un pas.

« Mais c’est la crise » : le sempiternel refrain des employeurs pour justifier le nombre de stagiaires dans leurs entreprises. Elle a bon dos la crise. Certaines entreprises tournent avec un taux de stagiaires avoisinant 40% de leur personnel : la faute à la crise. Des instituts d’enseignements supérieurs poussent des jeunes Bac+5 à postuler à des stages sous-payés : là encore la faute à la crise.

Inutile de préciser par ailleurs que ce système est condamné à perdurer. Car en effet qui aurait intérêt à le dénoncer ? Les hommes politiques bien contents de trouver des petites mains surdiplômées pour répondre à leur courrier ou les entreprises de médias tout aussi reconnaissantes de la serviabilité de jeunes journalistes désespérés ?

Ces messieurs qui nous exploitent, ceux-là mêmes qui parfois se fourvoient en leçons de morale sur les plateaux de télévision n’ont souvent pas beaucoup de scrupules. La génération de 68, celles des valeurs, de l’entraide et de la liberté, a-t-elle à ce point changé pour abuser remords des jeunes d’aujourd’hui ? Il y a quarante ans, nos aînés réclamaient plus de liberté. Nous aujourd’hui réclamons simplement du respect. »


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