Dominique Strauss Kahn, le FMI et les retraites

samedi 3 juillet 2010.
 

Je publie cette note à quelques heures du début de la journée de défense de nos retraites. Je forme le vœu que nous soyons nombreux, très nombreux, ce 24 juin dans les rues. Il le faut. Il n’y a pas d’autres limites à la déferlante libérale qui s’abat sur nous que notre capacité de résistance. « La meilleure forteresse des tyrans, dit Machiavel, est l’inertie des peuples » ! « ils ne sont forts que de notre faiblesse » ajoute La Boétie dans « De la servitude volontaire »…

Mais je parle aussi de Strauss Kahn. Car mes sorties à son sujet provoquent des débats, je le sais bien. Et je l’espère bien. Ne suis-je pas en train de faire preuve d’a priori sectaire ? Ne suis-je pas en train d’insulter l’avenir ? Je présente mes premières pièces dans ce débat que je veux provoquer chez les socialistes. Cette semaine vient de sortir un entretien croisé que j’ai réalisé avec le journal "L’express". Lundi est paru celui que j’ai donné à Michel Revol du journal "Le Point". Je le publie ici. C’est en quelque sorte l’introduction de cette note. Puis, pour argumenter, je vous fais le récit d’une mission du FMI qui vient de s’achever en France, ce 15 juin. Une mission dont les conclusions sont une véritable gamelle. La gauche devrait la trainer pendant toute la campagne présidentielle ! C’est ce que les socialistes provoqueraient s’ils faisaient la sottise de choisir le candidat que leur recommandent les sondés de droite. Sans oublier que leur étrange système de primaire pourrait bien leur imposer cette candidature du fait des électeurs de droite et d’extrême droite si l’on en croit les calculs présentés par les deux anciens ministre socialistes Paul Quilès et Marie-Noëlle Lienemann. Je sais qu’il y aura de très nombreux socialistes, militants ou électeurs, pour défendre le droit à la retraite. Je veux leur dire qu’ils seront une nouvelle fois roulés s’ils se laissent faire. C’est à dire s’ils se laissent tordre le bras pour choisir comme champion le directeur du FMI. Celui ci leur tire dans le dos, dés aujourd’hui, en recommandant le contraire de tout ce à quoi ils croient et pour quoi ils se mobilisent avec les autres ces jours ci.

Je crois à l’imminence d’une révolution citoyenne « qu’ils s’en aillent tous » (interview de Jean Luc Mélenchon dans Le Point)

Donc, vous ne le saviez pas ! Le FMI est venu faire un tour en France. Ballots ! Vous étiez scotchés aux aventures du foot, je parie. Et pendant ce temps heureusement que les camarades du Parti de Gauche veillent, pas vrai ! Parce que le compte rendu de la mission de ces braves "experts" vous pouvez toujours en chercher la trace dans vos médias préférés…Il existe pourtant et nous l’avons lu ! Nous sommes vigilants, compte tenu de notre sensibilité aux travaux de ce cher Dominique que l’on nous accuse de secouer trop vertement. Il est daté du 15 juin courant. Tout frais ! Ce compte rendu part d’un constat aussi bateau que redondant : la difficile reprise économique. Bien sûr. Le FMI lui apporte trois solutions : la réduction des déficits publics, la nécessité pour le secteur financier de "retrouver [sa] vigueur". Mais dans un "cadre réglementé", scrogneu gneu ! Enfin un programme de réformes structurelles « nécessaire à la France ». Voila un joli programme présidentiel, non ? Ces thèmes sont malheureusement d’une terrible banalité puisque ce sont les quatre angles d’attaque néolibéraux prêchés par le FMI partout dans le monde et dévotement repris à son compte par notre chère « Europe qui protège ». Après ces généralités voyons le détail des injonctions.

Commençons par l’actualité. Les retraites. Que dit monsieur FMI ? "La réforme des retraites et du système de santé doivent constituer la pierre angulaire de la stratégie budgétaire de moyen terme". Vous lisez bien. Le régime des retraites et l’assurance maladie sont ciblés. C’est eux qui doivent faire l’objet du rabotage préconisé. "Il convient toutefois de résister aux pressions qui conduiraient à ne pas corriger les déséquilibres fondamentaux et à s’appuyer démesurément sur des mesures d’accroissement des recettes". Depuis 2002 il n’y a eu que des réductions de recettes mises en place par la droite ! Il n’y a eu aucune mesure d’accroissement des recettes. Et bien il faut continuer comme ça dit le FMI. Ici cependant il ya une perle dont nous pourrions faire notre miel. "Il est important qu’une consultation publique ait lieu sur une telle réforme décisive » mais on se demande bien pourquoi. Car pour le FMI et son directeur, "Le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, inclus dans la réforme des retraites annoncée, constitue un facteur décisif de l’accroissement du taux d’emploi des seniors". Dans ces conditions, pourquoi discuter. Ici, quand même, on a envie de hurler davantage qu’ailleurs. Non que le reste soit davantage sympathique. Mais parce que c’est tellement grossier d’asséner de telles affirmations sans l’ombre du début d’une démonstration alors même que nous avons cent fois démontré le contraire !

Voici maintenant plus juteux. Lisons :"D’importantes réformes de long terme (en particulier concernant les retraites et le système de santé), ne produiraient que des économies limitées dans l’immédiat, mais auront des effets positifs et significatifs en termes de crédibilité auprès des marchés financiers et sur la demande intérieure" ! Vous avez bien lu. La réforme des retraites ne servira pas à grand-chose mais elle fera plaisir aux « marchés ». Donc, peuple à genoux devant votre nouveau dieu : le marché financier. Vous avez noté ce que dit aussi ce texte ? Il affirme : que des gens soient privés de ressources à cause de la réduction des dépenses sociales va avoir des effets positifs sur la demande intérieure ! On se demande comment. On peut au contraire penser que les ménages vont épargner pour se payer leurs soins de santé et de retraites ! A moins qu’il soit ici question des dépenses forcées que les gens devront faire pour s’assurer… ?

Mais là où la bande à Strauss Kahn fait fort c’est quand elle parle de la dépense sociale publique. "La maîtrise des dépenses sociales est cruciale. Les mesures de rigueur prises par les administrations centrales, notamment la poursuite de la réduction des effectifs des fonctionnaires (avec le non remplacement d’un départ à la retraite sur deux) et l’annonce récente des gels des dépenses publiques en valeur nominale, permettront de maîtriser la hausse des dépenses des administrations publiques." Vous imaginez tout ça en direct pendant une campagne présidentielle ? Chaque fois qu’il ouvrira la bouche, l’autre lui dira : « mais monsieur Strauss-Kahn, vos services me félicitaient il y a deux ans ! ». Et si par hasard il faisait une quelconque proposition ? Le petit Nicolas lui jetterait à la figure ses propres recommandations : "La proposition d’interdire l’introduction de nouvelles dépenses fiscales et exonérations de cotisations de sécurité sociale (mesure appliquée de fait à compter de mi-2010 et destinée à être, inscrite par la suite dans la Constitution) constitue un progrès encourageant dans l’amélioration de la discipline budgétaire".

Il y a pire. Décidément ces pauvres socialistes n’ont pas fini de souffrir s’ils font le mauvais choix. Le programme de réformes structurelles proposé par le FMI est « énooorme » Lisez : "Une comparaison avec d’autres pays européens montre qu’en France le marché du travail et le marché des produits se caractérisent par d’importantes restrictions ainsi qu’un taux d’emploi relativement faible. De nouvelles réformes des marchés du travail et des produits, qui permettraient à la France d’adopter les meilleures pratiques existantes en Europe, pourraient améliorer le taux de croissance annuel du pays de plus de 0,75 pour cent". Je suis sur qu’il reste des naïfs qui me lisent. Ils avalent le chiffre de croissance sans regarder avantage. Comment trouve-t-il ces 0,75 % de taux de croissance supplémentaire, Dominique ? Au doigt mouillé mon colon ! Et c’est quoi ce truc des « nouvelles réformes des marchés du travail et des produits, qui permettraient à la France d’adopter les meilleures pratiques existantes en Europe » ? Une trouvaille formidable. Transformer les CDI restant en CDD. Génial non ? Et comme d’habitude, au nom de « l’équité ». C’est-à-dire du nivellement par le bas. Voici le texte : "Des mesures visant à réduire la dualité entre les CDD et les CDI permettraient de renforcer à la fois la motivation à travailler et l’équité sociale".

Et comme si ca ne suffisait pas, voici le chapitre sur les bas salaires. On va y trouver tout le cynisme des riches qui donnent des leçons de courage aux pauvres. "La modération du salaire minimum (SMIC) en l’absence de « coup de pouce » devrait être poursuivie, afin de rétablir progressivement une échelle des salaires incitative pour les jeunes et les travailleurs peu qualifiés » Et pour clore cette ordonnance de remèdes barbares, voici la touche finale : la directive Bolkestein. "Dans le secteur des services, il conviendrait de mettre en œuvre les dispositions de la directive services européenne afin de parvenir à une plus grande libéralisation, notamment dans les services aux entreprises et les services de santé"

Je viens maintenant aux analyses générales de ces chers experts du FMI. " La reprise est fragile et se trouve à présent confrontée à l’affaiblissement de la demande domestique et européenne", écrit le FMI. "Le taux de chômage élevé, le retrait progressif des mesures de relance et l’effort de consolidation des finances publiques, imminent en France comme chez ses partenaires commerciaux, vont peser sur la demande ; tandis que la dépréciation de l’euro aura des retombées positives." En peu de mots c’est beaucoup de dit. D’abord, le FMI reconnait que les effets de la crise (taux de chômage élevé), la fin des mesures de relance et les mesures d’austérité conjugués vont étouffer les possibilités de reprise économique. Ensuite il souligne lui aussi que la dépréciation de l’euro est une bonne chose. Donc ce cher Trichet, gouverneur de la banque centrale européenne, qui nous a étranglés pendant des années au nom du principe contraire est mis au piquet ! Ce n’est pas tout.

Le programme d’austérité pourrait être absolument contre productif. Cela est énoncé par le compte rendu du FMI, juste avant de proposer pourtant de le mettre en pratique ! Tel quel ! "Une consolidation importante des finances publiques dans l’ensemble de la zone euro pourrait (tout en renforçant la confiance) se traduire par des tensions supplémentaires à court terme sur la reprise". Et voila. Là encore, peu de mots mais bien des choses de dites. Le FMI reconnait le cercle vicieux dans lequel sa politique enferme les économies. On se demande quel est le sens de tels balancements ! Pourtant on doit les constater. Ce qui permettra aux rebouteux qui dirigent ce FMI de faire les malins, le moment venus, en disant qu’ils avaient tout prévu !

Résumons le refrain néolibéral du FMI. Premièrement il faut rassurer les « marchés » sinon les Etats ne vont plus pouvoir emprunter à des taux soutenables. Deuxièmement pour rassurer ces « marchés » il faut réduire la dette et mettre en place des mesures d’austérité. Troisièmement il faut bien admettre que ces mesures d’austérité vont ralentir la croissance et aggraver la situation des dettes publiques. Tel est le cercle vicieux qu’ils ont eux même amorcé ! Plus simplement on dirait que le serpent du modèle économique de Strauss Kahn se mord la queue. Ses solutions nous mènent vers une grave récession !

Après quoi voyons les préconisations pour la France. Un satisfecit à Sarkozy pour commencer. " Les mesures de relance budgétaire mises en œuvre en 2009-2010, temporaires et bien ciblées, ont contribué à maintenir la demande intérieure et à éviter une récession plus marquée". Mais, hélas, la dette a augmenté, déplore ensuite le FMI sans se demander s’il ya un lien avec la politique pratiquée. Donc ? " Pour la France [...] il convient de trouver l’équilibre délicat entre d’une part, la soutenabilité budgétaire et les mesures propres à renforcer la confiance et, d’autre part, l’objectif de croissance". Et voila ! Il n’y a plus qu’à faire ! Mais voyez le point de départ ! Le FMI avoue donc lui même que les politiques de rigueur budgétaire ne sont pas compatibles avec un soutien de la croissance !!!!

Et maintenant voici une remarque des hommes de Dominique qui ne va pas faire plaisir aux camarades élus locaux. "La stratégie budgétaire devra également veiller de façon adaptée à limiter la hausse disproportionnée des dépenses des collectivités territoriales » On connait cette antienne. C’est directement celle des officines sarkozystes. Elle est radicalement fausse. Ce sont les collectivités territoriales qui investissent aujourd’hui ! Limiter leurs dépenses c’est ralentir l’économie et accélérer la récession.

A ce moment vient une de ces propositions comme seule une officine technocratique peut les imaginer. "Le programme d’ajustement budgétaire devrait reposer sur des prévisions macroéconomiques validées par un conseil indépendant. De plus, les autorités devraient préparer un ensemble de mesures contingentes prédéfinies susceptibles d’être mises en œuvre en cas de reprise plus lente que prévu". Un conseil indépendant ! Le rêve des technocrates libéraux ! Etre débarrassé des élus, des gouvernements et de tout ce qui sent la politique ! Juste des experts, des techniciens. Indépendant par nature, cela va de soi. Il est vrai que des pouvoirs publics ne peuvent venir que des mensonges. C’est à peine croyable, mais c’est écrit. "De même, une communication appropriée et coordonnée quant à l’exposition aux principaux risques, de préférence dans un contexte européen, pourrait fournir des orientations plus pertinentes aux marchés que celles des données publiques parfois trompeuses".

Voila. Vous voila prévenus. Ce texte est celui du FMI. Il n’est pas possible au directeur de cet organisme de dire « je ne savais pas » ou bien « ce n’est pas moi ». Mais plus grave. Le moment venu, quand il faudra bien rompre avec cette politique absurde, comment le demander à celui qui a proposé de la renforcer et d’en étendre l’application ? C’est pourquoi nos mises en garde à l’égard des socialistes font appel à leur sens des responsabilités. Ce n’est pas une affaire de personne. C’est une question politique grave qui nous oppose à la candidature de Strauss-Kahn. Cela n’est pas contradictoire de le dire, de le répéter, tout en faisant campagne pour nos propres candidats. C’est au contraire refuser la politique du pire. La politique des petites et grosses boutiques concurrentes où chacun se réjouit des erreurs que les autres font en se disant qu’elles vont lui profiter.


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