Strasbourg à l’horizon !

lundi 5 juillet 2010.
 

Les trois quarts des textes votés dans ce parlement ne servent strictement à rien. Ce sont des bavardages pétris de bonne conscience et d’admonestations libérales qui constituent juste un bruit de fond à tonalité parlementaire pour légitimer la machine à broyer la démocratie qu’est l’Union Européenne.

Cette semaine, je vais aller passer quatre jours de session parlementaire européenne. On devine que j’ai déjà les nerfs à fleur de peau. Suivant la tradition de cette noble assemblée, les documents arriveront d’un coup à partir de vendredi puis pleuvront jusqu’au début des votes et même pendant leur déroulement. Mes assistants sont sur les dents. Une semaine de marathon démoralisant commence pour eux ! En effet il faut se battre pour avoir les textes en français, puis il faut les décrypter un par un et décider de chacun de mes votes. En effet je ne me fie à aucune consigne de vote de mon groupe. Non que j’aie des raisons particulières pour cela mais parce que je sais qu’ici chacun de mes faits et gestes est surveillé à la loupe et qu’il m’en couterait de me tromper une seule fois. On se souvient de l’épisode ou un député écolo m’avait reproché sur son blog de ne pas avoir applaudi suffisamment pendant l’intervention du lauréat du prix Sakharov. Dans les autres groupes et même dans le notre, beaucoup se contentent de suivre la « feuille de vote » document remis par le secrétariat de chaque groupe à chaque parlementaire. De la sorte chacun appuie sur le bon bouton et lève la main en cadence correctement pendant les cent, deux cent votes ou davantage que nous devons émettre sans explication ni interventions pendant environ une heure chaque jour. Pour moi donc c’est le régime super contrôlé. On se bat donc pour pouvoir lire en français, puis on consulte les commissions du parti de gauche concernées, autant que faire se peut, puis on rédige les explications de vote qu’il faudra remettre à la séance faute de pouvoir s’exprimer oralement. Une vraie vie de bureaucrate sans aucun rapport avec ce que j’ai appris en 20 ans de parlement français. Je vois d’ici les sourires ! Ah les français ! Ah gout pour les discours ! Leur culte de l’éloquence. Et ainsi de suite. La meute des auto-flagellants, diplomates et journalistes en poste gavés jusqu’aux dents, prendra la relève pour ringardiser « l’exception française » et valoriser la « modernité » des méthodes de ce parlement dominé par les mœurs anglo-saxonnes. La vérité est que les trois quart des textes votés dans ce parlement ne servent strictement à rien. Ce sont des bavardages pétris de bonne conscience et d’admonestations libérales qui constituent juste un bruit de fond à tonalité parlementaire pour légitimer la machine à broyer la démocratie qu’est l’Union Européenne.

Entre les sessions, par contre, on travaille gaiement. C’est-à-dire que je suis nourri à la petite cuillère. Les informations et les notes tombent à leur rythme, c’est à dire au mien. Leur thème dépend de notre humeur de groupe. Tantôt mes collaborateurs ont la fantaisie d’un sujet qui les capte tantôt c’est moi qui ai des curiosités soudaines et particulières. Notre dernier sujet était la contribution de chaque pays au budget communautaire. Le point de départ est dans une scène où un bavard a encore trouvé les moyens de me saouler avec les « privilèges agricoles » de la France et divers couplets déclinistes sur le rôle central de l’Allemagne en Europe du fait de sa puissance financière. En gros et pour résumer, en Europe comme dans la vie la vieille règle devrait aussi s’appliquer : « qui paie commande ». Alors de file en aiguille nous voila partis à nous demander qui paye et combien. Surprise. La contribution française au budget communautaire a beaucoup augmenté au fil du temps. Beaucoup. Autrefois, jusque dans les années 1990, la Politique Agricole Commune représentait entre 2/3 et 3/4 du budget communautaire total. La France, premier pays agricole de l’UE apparaissait privilégiée. Quand on se comparait on voyait bien cependant que la France donnait quand même davantage qu’elle en recevait. Attention, ça faisait quand même un bon milliard et demi de solde net. Mais pendant ce temps l’Allemagne, contributrice nette depuis le début, déboursait 15 milliards d’euros ! La réalité a beaucoup changé lors des cinq dernières années. A présent la France en est de sa poche en 2009 pour 5 milliards de contribution nette ! Mais oui. Et ça va encore changer lors de la prochaine négociation budgétaire. Mais pendant ce temps la France bénéficie de moins en moins des dépenses.

L’augmentation de la contribution française par habitant est frappante. En 2010, la contribution réelle, ce que l’on a donné en le prenant dans nos recettes fiscales nationales atteint 281 euros par habitant ! Cela fait 100 euros de plus qu’il y a 15 ans. Le prélèvement européen représente 7,5% des recettes fiscales de l’État en France ! Mais d’où sortent ces chiffres ? Mieux vaut le savoir pour soutenir la discussion. Nos sources sont en béton La source est publique. C’est l’annexe au projet de loi de finance 2010 intitulée « Relations financières avec l’Union européenne » (dit « jaune »). Le tableau le plus édifiant se trouve à la page 29 et il est intitulé : « Le prélèvement sur recettes ». Attendez, le malaise ne fait que commencer pour vous mes chers lecteurs.

Des glandeurs, les français ! C’est bien connu. Pourtant leur part dans le budget communautaire augmente par rapport aux autres grands Etats qu’on nous cite en modèle matin, midi et soir. Et voila le plus incroyable : du fait de l’augmentation de la part de la France dans le budget communautaire et de la progression des aides directes dans les nouveaux États membres, le solde agricole de la France devrait être négatif à partir de 2012. Vous avez bien lu ! Pour avoir le droit de voir notre agriculture dévastée par les règlements européens, les OGM partout des copeaux dans le vin et tout le reste, nous payons davantage que nous recevons ! Le mouvement en ciseaux d’une contribution accrue et des retours progressivement réduits fait que le solde contributeur net de la France ne peut que se creuser. En 2009, Le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, celui qui voulait me « flinguer » sur un plateau de télé évaluait froidement la situation. "Au total, le solde net français devrait passer de 0,21% à 0,37% du Revenu National Brut en moyenne et sur l’ensemble de la période 2007/2013". Bien. On peut comparer. A 0,37% du RNB, en fin de période, le solde net français sera supérieur au solde net actuel de l’Allemagne. Car celui-ci n’est qu’à 0,35% en moyenne sur ces 5 ans. Chaque Français, ces paresseux qui font les cigales, donne déjà 84 euros de plus par an pour le budget communautaire que chaque Allemand ces grands travailleurs qui seraient admirables fourmis de l’Europe référence des bien-pensants. Mais la vérité est celle là. Les Français sont les premiers payeurs d’Europe : 284 euros par tête ! Les Allemands seconds : 200 euros ! L’Italie (238) et l’Espagne (219), vous savez, « le club Med » comme disent les voyous eurocrates anglo-saxons, paient davantage qu’eux. Et il y a plus sournois encore parmi les donneurs de leçons. Les Anglais ! Les plus faibles payeurs d’Europe, bien sur : 152 euros ! 132 euros de moins qu’un Français ! (Source : Arrêt définitif du budget rectificatif no 3 de l’Union européenne pour l’exercice 2009)

Je parle de cette façon des Anglais car ce sont en fait des parasites pour les Français. La France est le pays qui donne le plus d’argent aux britanniques. Et voici pourquoi. En 1984, les britanniques ont demandé à moins contribuer au budget européen du fait de l’état misérable de leur économie à ce moment là. C’était l’ère Thatcher ! De plus comme ils profitaient peu de la Politique agricole commune, disaient-ils, et que c’était alors premier poste budgétaire de l’Union Européenne, on eu pitié d’eux. Chaque Etat membre de l’UE reversait donc de l’argent aux britanniques, à proportion de son PNB. Imaginons ce qu’on aurait dit des Français si nous avions fait la manche de cette façon dans toute l’Europe ! Ca n’a pas tant duré que ça, cette histoire. En 1999, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède et les Pays-Bas en 1999 ont contesté le paiement de ce « rabais » britannique. Ils ne contestaient pas le principe mais ils trouvaient l’ardoise trop lourde pour eux. Du coup, depuis, ils ne payent plus qu’un quart de ce qu’ils devaient payer aux Anglais. C’est un rabais sur le rabais en quelque sorte. L’Anglais touche néanmoins toujours la même somme. Ce sont la France et les autres pays membres qui compensent ce que les Allemands et les autres ne veulent plus donner !

L’arnaque est grave ! La participation de la France au financement de la correction britannique passe ainsi de moins d’un quart à près du tiers du total de ce qu’il faut donner à ces messieurs dames anglais pour bénéficier de leur mépris. De 27% des 5 milliards d’euros reversés au total sur les 3 dernières années, les Français ont donné 1,37 milliard ! On dit merci quand ? Merci qui ? Ainsi, non seulement, chaque Français contribue bien plus qu’un Britannique au budget de l’Union européenne, 30% de plus en contribution nette, mais il verse davantage au financement de la correction britannique que le britannique ne contribue à la PAC !!! Ce « rabais » britannique est plus injustifiable que jamais. Le Royaume-Uni est le seul pays de l’Union européenne qui ne finance pas le budget de l’Union européenne proportionnellement à sa richesse. Plus écœurant que tout pour finir : le plus gros versement d’argent de l’Union Européenne au Royaume-Uni ne vient pas des politiques communes comme l’agriculture, la recherche, et ainsi de suite mais du chèque que les autres États membres doivent lui faire chaque année !!! Lamentable ! Même les pays les plus pauvres participent à la « correction » de la contribution britannique ! En 2004, les dix nouveaux pays de l’UE ont versé à ce titre 282 millions euros ! Les Anglais n’ont pas honte.

Forts ces Anglais pour tondre tout le monde et même les pauvres ! Mais depuis l’élargissement, le PIB britannique est supérieur de 19 % à la moyenne de pays de l’UE ! Donc ca suffit le numéro des petits pauvres d’outre manche ! Et de plus, depuis 2005 la Politique agricole commune pèse beaucoup moins lourd dans le budget européen. Donc ras le bol des jérémiades sur le cout des agriculteurs français qui font quand même manger l’Europe ! De toute façon les comptes sont précis et facile à faire en cherchant les chiffres. Entre 1998 et 2001, en trois ans, la Politique agricole commune est à l’origine de 4 milliards d’euros de déficit pour le Royaume uni. A ce moment là les français leur versaient 2,3 milliards pour soulager leur peine. Mais entre 2005 et 2008, en trois ans de nouveau, la PAC a été à l’origine de 3,8 milliards de déficit pour le Royaume uni. Mais les français leur ont versé 5,6 milliards d’euros ! Un abus honteux.

Jean-Luc Mélenchon, juillet 2010


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