« Il faut émanciper les États des marchés financiers » (Claus Matecki, syndicat DGB allemand)

vendredi 30 juillet 2010.
 

Entretien avec Claus Matecki, dirigeant national de la Confédération des syndicats allemands (DGB, responsable des questions économiques, financières et de la fiscalité).

Quelle est la réaction du DGB 
après l’annonce du plan d’austérité du gouvernement Merkel  ?

Claus Matecki. Ce plan est socialement injustifiable, mais aussi totalement insensé sur le plan économique. Il entend économiser 80 milliards d’euros sur quatre ans, soit en moyenne 20 milliards par an. C’est dans les prestations sociales 
ou les allocations aux personnes 
les plus démunies, celles qui sont 
au chômage, que le gouvernement a décidé de couper. Ces coupes vont réduire le pouvoir d’achat des gens dans les situations les plus précaires – il faut savoir qu’en Allemagne aujourd’hui quelque 21 % de 
la population doit survivre avec 
moins de 670 euros par mois. 
Ces pressions sur les plus pauvres 
qui s’étendront aux classes moyennes vont ainsi peser sur la consommation intérieure qui est déjà le talon d’Achille de la croissance en Allemagne, l’activité reposant surtout sur les exportations. Le plus grave c’est sans doute la détermination à faire des mesures d’économie décidées en Allemagne un plan de référence pour le reste de l’Europe.

Quelles seront les conséquences de cette détermination de Berlin à imposer son modèle à ses partenaires européens  ?

Claus Matecki. Imaginez un peu tous les Européens obligés de se placer dans la logique du « frein à dette » (Schuldenbremse), cette obligation constitutionnelle d’avoir des budgets à l’équilibre qui doit entrer pleinement en vigueur en Allemagne en 2016. Cela signifie que la pression des marchés de capitaux va se renforcer encore sur les pays les plus fragiles. Ils seront contraints d’accepter des conditions toujours plus drastiques puisque le pays qui peut emprunter aujourd’hui au meilleur compte entend faire monter encore les enchères. Si toute l’UE est contrainte de se placer dans cette logique-là, on va assister à 
un recul massif de la consommation 
à l’échelon européen. Autrement dit  : 
les marchés vers lesquels nous exportons le plus vont se contracter.

Le DGB avance aussi une alternative au traitement de la crise de l’euro en proposant de déconnecter les finances publiques des États des marchés financiers. Est-ce compatible avec 
les statuts actuels de la BCE  ?

Claus Matecki. Les statuts de 
la BCE interdisent effectivement un financement direct des finances publiques régionales ou nationales. Mais des règles établies, quand elles s’avèrent mauvaises, doivent être changées. Les États-Unis ou 
le Japon recourent déjà en partie à 
un financement direct par leurs banques centrales. Ils ne sont pas pour autant au bord du collapsus. Nous avons fait une double expérience dans la crise  : la BCE a racheté massivement des actifs toxiques des banques, c’est-à-dire du papier qui n’avait plus aucune valeur. Selon le rapport officiel de l’institut de Francfort publié il y a un mois, ces titres pourris constituent désormais 65% des avoirs de la BCE. Et aujourd’hui ces mêmes banques, qui négocient aux prix forts les emprunts d’État grecs ou portugais, peuvent se refinancer à 1% auprès de la BCE. C’est insupportable. Cette double expérience invalide l’interdiction faite à la BCE de prêter de l’argent à faible taux d’intérêt aux États. Elle révèle même le grave anachronisme économique que cela constitue. Il ne faut plus abandonner les finances publiques des pays membres de la zone euro aux calculs des marchés financiers. Ce fut une 
des plus grandes erreurs de conception de l’Union monétaire.

Des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires sont menacés. Comment comptez-vous agir concrètement  ?

Claus Matecki. Nous organisons déjà des rassemblements un peu partout en Allemagne contre l’austérité. Et nous entendons amplifier cette mobilisation. 
Mais nous ne nous contentons pas 
de contester les décisions prises, 
nous avançons en même temps les propositions que j’évoquais à l’instant pour changer l’ordre monétaire européen. Et on peut agir très vite sur ce plan. Nous avançons l’idée de la création d’une banque publique européenne. Ce qui permettrait d’agir sans attendre un changement de statut de la BCE. Cette banque pourrait se refinancer directement auprès de la BCE et octroyer des prêts aux différents États de la zone euro à des taux à peine supérieurs à 1%. Ce serait le moyen d’enclencher une véritable reprise en Europe en investissant dans des infrastructures, dans la formation, l’éducation, 
les hôpitaux, les services publics. Autant de secteurs décisifs pour l’emploi et la vie de nos concitoyens, alors qu’aujourd’hui on entend à l’inverse les soumettre à des coupes massives. Ce qui est injuste, inefficace et risque de nous ramener tout droit 
à la case de la récession.

Souhaiteriez-vous que d’autres syndicats, les mouvements sociaux européens s’emparent d’une alternative telle que celle que vous proposez pour s’émanciper de la tutelle des marchés financiers  ?

Claus Matecki. Toutes les fédérations du DGB ont décidé à l’occasion de notre congrès fédéral qui vient d’avoir lieu de porter cette alternative en Allemagne. Naturellement si des mouvements sociaux, des syndicats faisaient valoir une revendication 
de ce type au plan européen, 
cela conforterait le besoin de changer 
les choses. Car en en même temps il nous faut gagner sur le terrain politique avec les forces qui mesurent l’impasse de plus en plus évidente 
que constituent les principes monétaristes dont est prisonnière aujourd’hui la zone euro.

Entretien réalisé par B. O.


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