Les socialistes, de la "morale de la responsabilité" à la "révolution démocratique" ?

jeudi 8 juillet 2010.
 

Martine Aubry a parlé de « révolution démocratique". Ce terme c’est celui que nous avons utilisé des mois durant pour rapprocher notre démarche de l’exemple positif de l’Amérique latine. C’est de là qu’il vient d’ailleurs. Pour nous l’essentiel était de réhabiliter le mot « révolution » sur un mode tranquille et attirant. Ce mot là ne sera jamais un mot comme un autre en France, compte tenu de notre histoire.. Faire passer l’idée qu’une « révolution » est nécessaire, c’est faire avancer l’idée que l’ordre établi n’est pas le bon. Je suppose que tout le monde comprend la radicalité du but intellectuel. Ce n’est donc pas rien de retrouver le mot « révolution » dans la bouche de gens réputés aussi modérés que des sociaux démocrates. En quelque sorte, si eux aussi utilisent le mot, alors c’est que ce n’est pas grave de l’utiliser. Au fond, se dit le tout venant, ce qui est grave ce n’est pas le mot mais la situation. En effet les gens qui écoutent les porte-paroles socialistes ne tiennent aucun compte des subtils clins d’œil qui accompagnent leurs vocalises « révolutionnaires ». Ils les prennent au premier degré. Et de cette façon-là les idées diffusent plus vite dans la société, des barrières mentales s’abattent, une disponibilité se construit. Cette disponibilité sert nos objectifs.

Mon but est d’amener les esprits jusqu’au point où ils peuvent s’intéresser au contenu de cette « radicalité concrète » qui est notre marque de fabrique. Vous verrez que cette expression sera reprise elle aussi. En tous cas, une fois validée par les chefs, la « révolution » ne peut plus être un sujet de rigolade, un raccourci qui arrête la conversation. Au contraire : c’est le point de départ de la discussion. Marine Aubry veut faire la révolution ? Très bien, nous aussi. S’il le faut nous la suivront pour la faire cette révolution. « Démocratique » ? Ca va de soit ! Comme en Amérique latine : faire voter le peuple sur tout ce qui est en question aujourd’hui. Ce qui compte, c’est qu’un maximum de gens se disent qu’il faut « faire une révolution », inclus les doux ruminants, à la périphérie du troupeau socialiste, qui suivent leurs chefs. L’intérêt ce n’est pas de savoir qui l’a dit le premier. Et il n’est pas nécessaire d’exiger que soit précisée quelle révolution, et comment la faire et pourquoi faire, en détails, et ainsi de suite. La vie réelle fera le tri. Ce qui compte, c’est que dorénavant le mot « révolution » soit entendu avec sympathie et le mot « marché » avec la nausée. Nous y sommes. Parce que c’est l’enjeu du moment.

Le marché ou les citoyens ? Qui doit avoir le dernier mot ? Encore faut-il que la question puisse être posée. Que dis-je : il fallait d’abord qu’elle puisse être verbalisée. Car la grande réussite des libéraux pendant les années d’obscurantisme où ils ont dominé, c’est que l’idée même d’une alternative était tuée dès l’origine, avant même que le thème soit formulé. L’idée était tuée dans le cerveau même. L’alternative était de l’ordre du refoulé. Dans les années 90, aux endomorphines bienfaisantes que faisaient jaillir les doux mots de « marché », « concurrence », « individualisme », « souplesse », s’opposaient des giclées hormonales autrement négatives dès qu’émergeaient de la soupe mentale primitive les mots « révolution », « collectif » et ainsi de suite. Je me souviens avoir écrit un article pour la Revue théorique « Pour la République Sociale » sur ce thème. Après d’autre j’avais nommé cet ordre sans faille, invariant d’échelle, qui dominait des grands rouages macro-économique jusqu’aux micro-écanismes de l’intime « l’ordre globalitaire ». Quel changement que le doute ait fait son travail à temps pour que la crise du système arrivant, les mots pour penser cette crise soient si vite disponibles ! Pour que Martine Aubry parle de « révolution », nous pouvons nous dire que nous avons bien travaillé.

La musique des socialistes termine le travail pour installer une nouvelle hégémonie sémantique. Tel est le sens de mes félicitations aux socialistes. Je donne à voir, à ceux qui écoutent de bonne foi, une communauté de vue. Je scelle un code commun entre eux et nous. Et alors se pose bien plus tranquillement la question de savoir qui représente le mieux les mots mis en commun. Des lecteurs s’inquiètent de savoir si je crois à la sincérité des déclarations de mes anciens camarades de parti. Je suis obligé de dire, hélas, que je n’en crois pas un mot. D’autant qu’une lecture attentive a tôt fait de montrer que derrière une radicalité, d’ailleurs toute relative des slogans, le contenu concret est toujours bien en retrait. En toute hypothèse, les socialistes ne sont plus des « conceptuels » depuis longtemps. Les mots, les constructions qui en découlent, ne les intéressent pas vraiment. Ils les consomment et les recrachent au gré des circonstances, des sondages, des enquêtes « qualitatives ». Cependant dans ces conditions, eux-mêmes deviennent de bons indicateurs de tendance quand on les voit venir au secours d’une victoire déjà acquise. A l’inverse, quand ils produisent quelque chose d’eux-même, on voit trop bien le montage de circonstance. Et d’ailleurs rien ne tient plus de huit jours, y compris dans leur propre bouche. Ce fut le cas dans les années 2000 quand justement Martine Aubry était la thuriféraire de la « morale de la responsabilité », un thème plutôt bien construit, emprunté au penseur du moment. Elle cherchait, je suppose, un registre qui adapte d’une façon raisonnée son enthousiasme d’abord un peu cru pour le blairisme. Qui se souvenait alors, comme à présent, qu’elle avait écrit la préface de l’édition française du programme de Blair ? Puis, récemment, elle a viré sur le « post-matérialisme » d’usage déjà moins bien trempé. Objet de rencontre à mi-chemin du New Age, de la décroissance et de la doctrine sociale de l’église. A présent voici le « care », qui ne vaut pas mieux. Le moment venu j’en parlerai ici. Comment réagir devant ce butinage idéologique ?

De deux choses l’une. On peut passer son temps à dénoncer l’hypocrisie de nos partenaires obligés. Belle affaire ! Rien de tel pour semer du doute et de la démoralisation parmi les plus motivés. Et rien de tel pour donner l’impression d’une insupportable pagaille pour les désorientés qui nous observent et se demandent que faire. Quand au rôle de griots de la gauche aigre, coupeuse de cheveux en quatre, infatigable inquisiteurs et maitres en suspicions, il est déjà tenu par une armée « d’ex » de tous poils qui ont sombré dans cette variété spéciale d’autisme qui finit toujours par effacer les psalmodiants ! L’autre état d’esprit, c’est de dire, d’une façon ou d’une autre, en permanence : « chiche ». Ce qui compte, c’est la musique, le sens qu’elle indique et que, dès lors, elle valide. Ce n’est pas être dupe de la duplicité fondamentale de récitants de circonstance qui psalmodient nos chansons. L’usage du vocabulaire d’emprunt est dorénavant théorisé comme jamais dans les théories des communicants. Je n’ai pas oublié les délires sur la « triangulation ». Cette technique fut mise en scène par les démocrates américains et par le maitre sur le sujet que fut Bill Clinton avant Tony Blair et le reste de l’internationale socialiste. En gros, cela consistait à parler avec les mots de l’adversaire pour s’approprier son espace ! La confusion politique a alors battu des records dont le résultat final a été un décervelage politique général. Ma doctrine sur le sujet n’est pas une « triangulation inversée ». Pardon pour ce barbarisme mais c’est la fin de l’année et je finis par manquer de souplesse de langage. Je propose que l’on pousse par tous les moyens à saturer l’espace de nos mots, notre vocabulaire, nos bouts d’explications (jamais de trop gros morceaux d’un coup !). Quand nous désignons tous les choses de la même manière au bout d’un moment les autres en font autant et ils commencent à avaler la grammaire qui va avec. J’ai un nom pour nommer la chose. Il me vient de mes études de lettres. Ca s’appelle « l’innutrition ». Un produit du seizième siècle. Franchouillard à mort !


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