« On assiste à une militarisation de la police, qui investit des “zones hostiles” »

samedi 31 juillet 2010.
 

Spécialiste des questions de sécurité, le sociologue Sebastian Roché décrypte le bilan Sarkozy en la matière et les dernières évolutions de la stratégie policière.

Quel bilan tirez-vous de l’action de Nicolas Sarkozy sur la sécurité  ?

Sebastian Roché. La délinquance, c’est un ensemble de données très hétéroclites. Ce qui a évolué en bien, c’est le nombre de vols qui baisse par rapport à 2002. Il s’agit d’un phénomène européen, qui s’explique principalement par le fait que les voitures sont aujourd’hui mieux protégées, par divers systèmes (anti-intrusion, anti-crochetage de porte, anti-démarrage…). Or, les voitures, c’est 50 % du total des vols. Autre explication  : la sécurisation des moyens de paiement, avec le remplacement des chèques par les cartes bancaires. Même si de nouvelles infractions apparaissent, sur Internet par exemple, globalement, les chiffres baissent.

Qu’est-ce qui va moins bien alors  ?

Sebastian Roché. Tout le reste, en l’occurrence des faits moins nombreux, mais beaucoup plus graves  : violences contre les personnes, «  coups et blessures  », violences domestiques. Sur ce dernier point, certains disent que ce n’est pas le travail de la police, mais c’est faux. Quand quelqu’un frappe sa femme, c’est un crime. D’autres formes de violence progressent aussi  : celles qu’on appelle parfois «  gratuites  » qui concernent souvent des jeunes désœuvrés  ; les violences dites «  urbaines  », émeutes ou mini-émeutes, avec bien sûr l’exemple de l’automne 2005, ou, plus récemment, le cas de Grenoble. Ce qu’on constate avec cet exemple, c’est que, pour sécuriser un quartier, il faut envoyer 300 policiers, le Raid, le GIPN… Cela montre bien que la politique du Karcher n’a pas fonctionné.

D’autant que cette politique est de plus en plus intermittente…

Sebastian Roché. Oui, on ne « nettoie » pas  : on intervient uniquement quand il y a une crise, et on repart. On assiste à une militarisation de la police, qui investit des « zones hostiles », avec une couverture aérienne. L’utilisation de ces hélicoptères avec projecteurs, à Grenoble ou en Seine-Saint-Denis, s’inspire de ce qui se fait aux États-Unis. C’est l’idée d’une police à distance  : faute d’entrer dans des quartiers considérés comme des poches de résistance, on les encercle et on les surveille d’en haut. C’est le contraire de la proximité, d’une police qui va au contact de la population. Laquelle vit souvent ces descentes comme des occupations temporaires.

Quel bilan faites-vous de la fin de la police de proximité  ?

Sebastian Roché. Rappelons que cette suppression avait d’abord des motifs politiques. Il fallait faire passer le message selon lequel l’échec de la lutte contre la délinquance était lié à cette police de proximité. Le problème, c’est qu’après, il n’y avait pas d’alternative proposée. Ou alors le retour à une police classique, d’intervention, d’ordre, selon les mots de Brice Hortefeux.

Quid des unités territoriales de quartier (Uteq), beaucoup moins nombreuses qu’annoncées  ?

Sebastian Roché. C’est une réponse amoindrie, atrophiée, à un besoin réel, exprimé par des maires de gauche et de droite. Comme Nicolas Sarkozy ne peut pas ignorer complètement ce besoin, il a mis en place ces Uteq. Cela permet de dire qu’on fait de la police de terrain, c’est une sorte de parapluie. Mais en réalité, cela ne pèse rien.

Les effectifs policiers, eux, continuent de fondre…

Sebastian Roché. Ils avaient atteint un maximum historique après l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. Qui avait aussi promis des salaires plus élevés. La police a été gâtée. Mais à un moment donné, il faut payer la note. Surtout en période de crise. D’après moi, les effectifs policiers sont suffisants. Ce qu’il faut, c’est mieux définir les objectifs de la police, et réorganiser certains services. Ce qui est plus difficile.

Ce thème sécuritaire est-il toujours aussi porteur pour Nicolas Sarkozy  ? Peut-il se retourner contre lui  ?

Sebastian Roché. Je ne crois pas. C’est un thème dont il a besoin pour continuer d’aspirer l’électorat du Front national. Et puis la gauche n’offre pas vraiment d’alternative sur le sujet. Il n’existe pas, par exemple, de livre blanc de l’opposition sur ce thème. Du coup, même si le bilan de Sarkozy sur la sécurité a bien des failles, il n’y a pas en face une agrégation des mécontentements ni de propositions claires. Et puis, sur l’économie, les temps sont durs  : la crise est toujours là, le chômage ne baisse pas. La sécurité peut encore être un thème porteur pour le chef de l’État.

Directeur de recherches au CNRS, enseignant à Science-Po Grenoble, Sebastian Roché est l’auteur de Police de proximité (Seuil, 2004).

Entretien réalisé par Alexandre Fache


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