François Autain, PG, président de la commission sénatoriale sur la grippe A « Le gouvernement a travesti la réalité »

lundi 16 août 2010.
 

Etes-vous satisfait d’avoir pris l’initiative de ce rapport 
du Sénat sur la gestion 
de la pandémie 
de grippe A/H1N1  ?

François Autain. Oui, absolument, cela nous a permis 
de répondre à un certain nombre 
de questions, notamment sur le rôle joué par l’industrie pharmaceutique dans 
la gestion de cette pandémie par 
le gouvernement.

Le rapport note que le gouvernement a été « à la merci des fournisseurs de vaccins ». Pour quelles raisons  ?

François Autain. Tout d’abord, le nombre de vaccins commandés est sans commune mesure avec le besoin effectif  : 
on a commandé 94 millions de doses 
et seulement 7,8 millions ont été utilisées. Je pense que le rôle des laboratoires 
dans cette affaire n’a pas été nul et que 
le gouvernement n’a pas su résister 
à la pression qu’ils ont exercée sur lui. 
En effet, le laboratoire GLK, auquel 
le gouvernement a commandé des vaccins dès le mois de mai, lui a lancé 
un ultimatum en donnant une échéance à la commande des doses sous peine de ne pas les livrer. Le gouvernement a donc cédé au chantage de l’industrie pharmaceutique en affirmant que, dans 
ce climat d’incertitude, il ne pouvait 
faire autrement. C’est d’autant plus surprenant que des pays soumis à ces mêmes pressions, tels que l’Allemagne 
ou l’Espagne, y sont parvenus. C’était donc possible.

L’attitude gouvernementale est donc 
sujette à controverse à propos de la gestion 
de la crise  ?

François Autain. Le gouvernement 
a constamment surestimé le risque, restant sourd aux informations rassurantes 
de l’Institut national de veille sanitaire qui indiquait clairement, dès le mois de juin, que la pandémie ne serait pas plus grave qu’une grippe saisonnière. Tout au long de la crise, il a dramatisé la communication et travesti la réalité au lieu de modifier son plan pour l’adapter à la réalité du risque.

Pensez-vous que l’OMS a manqué 
de transparence  ?

François Autain. Nous avons mené l’enquête dans des conditions difficiles  ; l’OMS nous a entrouvert ses portes mais n’a pas répondu à l’ensemble de nos questions. Nous n’avons pas pu obtenir les noms des quinze experts du comité d’urgence. Il semble donc qu’il s’agisse d’un comité secret alors qu’il est chargé de prendre les décisions importantes concernant cette crise. Il faudrait donc réformer l’OMS en donnant plus de transparence à son expertise. Il faudrait également réformer son financement. On s’aperçoit que c’est une organisation qui échappe petit 
à petit aux États puisque les subventions versées par ces derniers ne représentent plus que 30 % de ses ressources. 
Le reste est composé de dons privés, versés notamment par l’association Bill Gates, qui lui impose alors un certain nombre 
de contraintes.

Que peut-on conclure sur ce rapport 
et sur les perspectives qu’il annonce  ?

François Autain. Il faut surtout s’interroger, dans la perspective d’une nouvelle pandémie, sur les conséquences 
de la perte de crédibilité de la parole publique, résultat de la faillite 
du gouvernement dans la gestion de la crise. Il faut également se questionner sur les conséquences de cette crise dans 
la pratique de la vaccination puisqu’elle n’a fait que renforcer une désaffection de la population à ce sujet qui existe déjà depuis plusieurs années.

Entretien dans L’Humanité réalisé par Émeline Wuilbercq

2) Grippe A. Le rapport du sénat « Quand les labos du médicament disposent de l’État »

Le texte de la commission d’enquête du Sénat sur le « rôle des firmes pharmaceutiques 
dans la gestion par 
le gouvernement de 
la grippe A » est sévère sur les dérives de l’OMS et sur la façon dont 
le gouvernement s’est laissé manipuler par les fabricants de vaccins.

" Le plan de l’OMS comme le plan français sont tous deux « calibrés » pour une menace pandémique grave (…) Il en résulte des plans de lutte, élaborés dans le cas de la France avec l’aide du secrétariat général de la défense nationale, préconisant des mesures très lourdes à mettre en œuvre (…) La forte mobilisation des États et l’ampleur de leurs investissements en vue de répondre à une éventuelle pandémie ont beaucoup surpris.

La définition de la pandémie retenue par l’OMS a également joué un rôle central dans le déclenchement des plans nationaux de préparation au risque pandémique. En ne retenant pas de critère de gravité, elle n’a pas joué son rôle de « filtre ». En revanche, comme cela sera développé dans la suite du présent rapport, les orientations de l’OMS de 2009 définissent clairement la pandémie du seul point de vue de sa diffusion géographique, sans retenir de critère de gravité. Cette absence de référence à la notion de gravité a ainsi conduit l’OMS, le 11 juin 2009, à déclarer le passage en phase 6 du plan de lutte contre la pandémie grippale, tout en reconnaissant que celle-ci était « de gravité modérée ».

Les critiques adressées à l’OMS sur son incapacité à gérer les conflits d’intérêts (entre intérêts privés et intérêt public – NDLR) et son opacité ont donné lieu à une enquête approfondie des journalistes Deborah Cohen et Philip Carter, publiée le 3 juin 2010 dans le British Medical Journal (BMJ). Ils font apparaître que de nombreux liens d’intérêts des experts de l’OMS ne seraient pas déclarés, que des conflits d’intérêts apparaissent ignorés  : ainsi, certains experts ayant préparé le premier plan mondial de l’OMS de préparation à une pandémie grippale, publié en 1999, travaillaient alors pour des entreprises pharmaceutiques  ; plusieurs auteurs des recommandations de l’OMS en 2004 sur l’utilisation des vaccins et des antiviraux en cas de grippe pandémique avaient également des contrats professionnels avec des laboratoires pharmaceutiques.

Faute de ligne de séparation claire entre les experts, l’OMS et les laboratoires, l’influence de ces derniers sur les recommandations de l’OMS apparaît, par exemple, dans le rôle donné à la vaccination comme réponse à une pandémie grippale, à l’issue notamment de rencontres entre les industriels, les agences nationales et les représentants des gouvernements. Pour lutter contre une pandémie grippale, les solutions préconisées par les participants à la réunion de Genève des 11 et 12 novembre 2004 sont très favorables aux laboratoires  : assouplir les règles relatives aux droits de licence, financer les essais cliniques (comme cela a été le cas aux États-Unis avec les laboratoires Aventis Pasteur et Chiron) et offrir des incitations fiscales. Il était également proposé de transférer aux États la responsabilité des effets indésirables ou de l’inefficacité des vaccins, ce transfert étant justifié par la nécessité de produire des vaccins dans l’urgence et à grande échelle.

Pendant les cinq dernières années, les préparations aux pandémies se sont ainsi essentiellement focalisées sur les « scénarios du pire », conduisant les autorités publiques à réagir à l’apparition du virus A (H1N1) comme s’il s’agissait d’un événement sanitaire sans précédent. Les présupposés concernant la nature des infections émergentes ainsi que leur surveillance poussée en laboratoire ont conduit au fait que la « pandémie annoncée » est insensiblement devenue une « pandémie attendue ». Dans ce cadre, les enjeux personnels liés à la valorisation des travaux de recherche ne doivent pas être minimisés. Comme le notait Yves Charpak, le monde de la recherche est « un monde de compétition extrêmement féroce. Au sein même de chaque institution, dès qu’arrive quelque chose comme une menace de pandémie, tout le monde se bat pour être le premier, pour faire son test diagnostic, parce qu’à la clé, il y a des publications, la reconnaissance professionnelle et la pérennité de l’activité. (…) Une pandémie, c’est l’utilisation de méthodes diagnostiques inventées par les chercheurs sur le virus de la grippe. Il y a un intérêt à espérer, même inconsciemment, que les maladies arrivent ». Or, cette préparation collective, notamment de la communauté scientifique, à l’émergence d’une pandémie s’est autoalimentée, avec l’accroissement de l’activité éditoriale autour de ce sujet.

Bien qu’aucun élément dont elle dispose ne permette à la commission d’enquête de conclure que des préconisations aient été faites en raison des liens d’intérêt de certains experts, elle ne peut que constater que la pandémie de grippe liée au virus A (H1N1) a été l’occasion d’une remise en cause sévère de l’expertise publique dans l’opinion en raison des liens d’intérêt de la majorité des experts avec l’industrie pharmaceutique (…). Aucune politique sanitaire ne pouvant se passer du recours à une expertise structurée, il faut donc trouver les moyens de garantir, au-delà même de l’intégrité morale des personnes, l’impartialité des experts aux yeux du grand public. Dans l’ensemble, on peut constater que plus de 75 % des experts des agences sanitaires déclarent des liens d’intérêt.

Les entreprises cocontractantes ont imposé, outre des commandes fermes et non révisables qui ont rendu impossible toute adaptation de la stratégie vaccinale nationale, des clauses étendues de garantie de leur responsabilité, tout en évitant, quant à eux, de prendre aucun engagement contraignant. Pourtant, la rédaction des avenants 2009 aux marchés Sanofi et Novartis a substitué aux commandes de « traitements » des commandes exprimées en doses, et calculées sur la base de deux doses par vaccin, en se fondant sur le schéma prévu par les dossiers mock-up de vaccins H5N1. L’administration ne semble pas s’être émue de ce doublement automatique du montant des commandes. Il peut donc sembler anormal que l’État ait été contraint de s’engager à acheter près de deux fois plus de vaccins que nécessaire.

Le transfert aux États de la responsabilité afférente aux effets secondaires indésirables ou à l’inefficacité des vaccins pandémiques faisait partie des suggestions avancées, pour encourager la production de ces vaccins, lors de « réunions informelles » associant, sous l’égide de l’OMS, des représentants des laboratoires, des instances chargées d’autoriser la mise sur le marché des médicaments et des autorités sanitaires nationales. Cette suggestion a été retenue par les producteurs, qui ont obtenu une rédaction en ce sens des contrats de fourniture de vaccins pandémiques passés par la France en 2005 et 2009.

(...) Les contrats passés avec GSK et Baxter l’ont été sur le fondement de l’article 3-7° du code des marchés publics, qui exclut du champ d’application de ce code « les marchés qui exigent le secret ou dont l’exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité (…) ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’État l’exige ». Cette description ne correspond guère à un marché de fourniture de vaccins, même pandémiques, et le recours à l’exception de l’article 3-7° du code paraît peu conforme à l’interprétation stricte que donne la jurisprudence nationale et européenne de la portée de cette dérogation, comme le montre une récente et pertinente étude.

S’il était parfaitement justifié que les contrats tiennent compte d’aléas et de paramètres que les fournisseurs ne pouvaient entièrement maîtriser, cela ne pouvait en revanche légitimer que les acquéreurs en soient totalement réduits à dépendre du bon vouloir des producteurs. C’est cependant ce que permettaient les contrats et avenants de 2009.

Alors que divers pays avaient déjà entamé des négociations avec leurs fournisseurs, la France, renouant avec les principes du droit des contrats administratifs – un peu oubliés lors de la négociation des achats de vaccins –, a décidé, le 4 janvier 2010, de résilier unilatéralement, à hauteur de 50 millions de doses sur 94 millions, les commandes résultant du contrat et des marchés passés avec GSK, Sanofi Pasteur et Novartis, en se fondant sur le motif d’intérêt général constitué par la modification du schéma de vaccination, ramené à une seule injection pour tous les patients âgés de plus de dix ans. Cette décision aurait pu intervenir plus tôt, la modification en question ayant été validée le 30 novembre, mais le ministère de la Santé a estimé plus prudent d’attendre que soient passées la fin de l’année et la période d’affluence constatée à la mi-décembre dans les centres de vaccination.

Pour illustrer la situation ambiguë dans laquelle se trouve l’expertise, on peut évoquer quelques éléments récoltés par la commission d’enquête et un article publié dans le British Medical Journal. Par exemple  : le rôle déterminant joué par le conseiller du gouvernement britannique Roy Anderson dans le changement de définition de la pandémie opérée par l’OMS. C’est sans attendre que monsieur Anderson a en effet qualifié dès le 1er mai 2009 – c’est-à-dire à peine quelques jours après la découverte du premier cas au Mexique – la grippe porcine de pandémique. Il n’a pas manqué au passage d’insister sur la disponibilité de « deux antiviraux efficaces ». Ce qu’il a tu, en revanche, c’est qu’il percevait l’équivalent de 136 000 euros par an pour ses activités de lobbyiste du laboratoire GlaxoSmithKline (GSK), qui commercialise précisément les antiviraux Relenza et le Pandemrix.

Il faut hélas reconnaître que la situation des experts au niveau français n’est pas non plus sans équivoque. Parmi les experts ayant fait part à la presse de pronostics alarmistes, on compte le professeur Antoine Flahault. Celui-ci, dès le mois de mai 2009, affirmait dans la presse que près de 35 % de la population française pourrait être touchée par le virus H1N1, ce qui pourrait entraîner 30 000 morts. Il a indiqué à la commission d’enquête qu’il n’entretenait pas de liens d’intérêts directs avec l’industrie pharmaceutique et qu’il n’appartenait plus au conseil d’administration du syndicat des entreprises du médicament, le Leem recherche. Néanmoins, son nom apparaît parmi les membres de cette structure au titre de ses fonctions de directeur de l’École des hautes études en santé publique, ce qui « ne constitue pas à ses yeux un lien d’intérêt », mais peut légitimement poser problème au regard de l’impartialité des recommandations qu’il peut faire au titre d’expert de santé publique.

3) apport de la commission d’enquête du Sénat (présidée par François Autain, PG) sur la grippe A : « La France s’est fait piéger par les laboratoires »

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat dénonce les largesses du gouvernement envers l’industrie pharmaceutique.

Après le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, qui parlait le 13 juillet d’« échec de santé publique », voici le rapport de la commission d’enquête du Sénat. Initiée par le groupe communiste et le Parti de gauche, mais composée de vingt sénateurs de la majorité et de l’opposition, elle a rendu ses conclusions ce jeudi.

Des conclusions au moins aussi sévères, concernant notamment les contrats passés entre les Etats et les laboratoires pharmaceutiques :

« L’étude des contrats passés entre les autorités sanitaires et les industriels, en France comme ailleurs, peut conduire à se demander si les autorités publiques se sont montrées assez soucieuses de garder la maîtrise de la gestion des crises qui doit être la leur.

Il semble en effet qu’aient été acceptées des clauses qui n’auraient pas dû l’être et qui font craindre que les gestionnaires de certaines entreprises aient un peu oublié la conscience aiguë des problèmes de santé publique qui caractérisait autrefois le secteur du vaccin, pour laisser prévaloir des considérations excessivement commerciales.

Il faut se demander par ailleurs si les autorités publiques ont, de leur côté, eu un souci suffisant de la rédaction de documents contractuels dont la rigidité pouvait leur interdire d’adapter leur action à l’évolution de la réalité du terrain. Trois points ont été, à cet égard, particulièrement problématiques :

1. l’impossibilité de réviser les contrats en fonction de l’évolution du schéma vaccinal ;

2. le transfert à l’Etat de la responsabilité des producteurs, qui semble être plus large qu’on ne l’avait souhaité ;

3. l’absence totale de maîtrise des approvisionnements, dont la prévisibilité et la régularité insuffisantes auraient pu, dans une autre situation, avoir des conséquences sérieuses. »

96 000 morts prédits en France, 312 survenus

La France -et à travers elle la ministre de la Santé Roselyne Bachelot- est cependant particulièrement visée, en raison des contrats signés en juillet et août 2009 pour 94 millions de doses… puis l’annulation de la commande de 50 millions d’entre elles en janvier 2010 et le paiement d’indemnités de rétraction. Il faut dire, note LePoint.fr, que « l’Institut de veille sanitaire avait prédit jusqu’à 96 000 morts en France, alors qu’on en a dénombré 312 ».

Le sénateur du Parti de gauche François Autain, rapporteur et président de la commission d’enquête, se montre offensif :

« La France, malheureusement, fait partie de ceux qui se sont fait piéger par les laboratoires, contrairement à l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, qui eux ont su très bien tenir bon, jouer leur carte et, finalement, ne se sont pas retrouvés dans la situation très délicate dans laquelle le gouvernement français s’est retrouvé. » (Voir la vidéo de Senat.fr)

Longtemps restés secrets, les contrats n’ont été portés à la connaissance du public que grâce à « l’action de la presse », explique le même sénateur. Rue89, qui en avait demandé la communication à l’époque, avait en effet d’abord reçu lesdits contrats avec nombre de mentions effacées, avant de parvenir à se les procurer dans leur intégralité. « Un climat de soupçon qui n’est pas bon à l’OMS »

Contacté par Rue89, le ministère de la Santé dit pour l’heure « prendre acte et étudier le rapport ». Mais ce n’est pas la seule institution attaquée par la commission d’enquête, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est également décriée dans le rapport :

« Inévitablement, la pandémie déclarée le 11 juin 2009 ne fut pas celle qu’on attendait. La déclaration de la pandémie de grippe A (H1N1), considérée d’emblée comme de gravité modérée, a surpris puis suscité de nombreuses critiques à l’encontre de l’OMS, soupçonnée à tout le moins d’avoir surestimé le risque et engagé les Etats membres dans des dépenses qui auraient pu être mieux employées.

Ces critiques doivent l’être, en premier lieu, par l’OMS elle-même et lui inspirer le souci de juguler un certain “lobbying” interne qui peut être très préjudiciable à son action et à son image. »

Comme la France, l’OMS est accusée d’avoir été sous le joug des laboratoires. « Pour l’industrie pharmaceutique, la déclaration d’une pandémie était vitale », poursuit François Autain, qui dénonce « un climat de soupçon qui n’est bon », à cause des liens entre les experts consultés et les laboratoires.

Des « liens financiers » également pointés par son collègue UMP Alain Milon.

Par Julien Martin

Source : http://www.rue89.com/2010/08/05/gri...

Video de François Autain et Alain Milon

L’opacité de l’OMS et l’influence du secteur privé dans son financement.

Décryptage d’Alain Milon (UMP, Vaucluse) et François Autain (CRC-SPG, Loire-Atlantique), rapporteur et président de la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe H1N1.


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