Hassi Messaoud : Quand l’imam donne le vert pour le lynchage des femmes

dimanche 8 août 2010.
 

Comment le lynchage de plusieurs dizaines de femmes, simples travailleuses, perpétré le 13 juillet 2001, à Hassi Messaoud, ville pétrolière du Sud algérien, a-t-il été possible  ? Pourquoi le crime reste-t-il impuni  ? La comédienne Nadia Kaci a publié le témoignage de deux victimes.

Comment avez-vous été amenée à vous mobiliser pour les victimes du lynchage de 2001, à Hassi Messaoud  ?

Nadia Kaci. J’ai toujours eu du mal à supporter l’indifférence dans laquelle baignent les femmes victimes de violences en Algérie. J’ai été profondément choquée par l’affaire de Hassi Messaoud et je n’ai pas compris comment un tel pogrom pouvait, d’une part, avoir lieu, d’autre part, sombrer aussi vite dans l’oubli. Quand je demandais des nouvelles des victimes, on me répondait que seulement 3 femmes continuaient à se battre mais que, vu leur détermination, il se pouvait qu’à elles seules, elles finiraient par obtenir réparation pour toutes les autres femmes. Le lynchage a fait 105 victimes officiellement, mais en réalité certainement plus. Malgré les nombreuses promesses du gouvernement, les femmes n’ont pas obtenu réparation. De la horde des 500 hommes qui les ont agressées, seulement 29 ont été inculpés, et 3 ont effectué des peines de prison. D’autres ont des peines par contumace, et, jusqu’à aujourd’hui, ils peuvent rentrer chez eux sans être inquiétés.

Qui étaient les agresseurs de ces femmes venues chercher du travail dans cette région pétrolière  ?

Nadia Kaci. Ce sont des hommes de la région. De bons fils et de bons pères de famille qui, souvent, louent leurs garages (ou gourbis) en guise de maisons pour des prix faramineux à ces femmes. Ils sont leurs voisins, les côtoient au quotidien. Certains, comme les femmes, sont venus du nord à la recherche d’un emploi. Ce qui les unit, c’est leur haine grandissante au fur et à mesure que les femmes arrivaient. Ils sont persuadés que ces femmes, qui remettent en question leur autorité, leur pouvoir de mâle dominant, puisqu’elles ne sont plus à leur place de femme, fille ou sœur à surveiller et à protéger, leur volent leur emploi. Organisés en comités de quartiers, ils réclament à la wilaya (préfecture) l’arrêt de la migration des femmes. L’imam de la mosquée envenime les rapports, en accusant les femmes, dans ses prêches, d’être la raison de tous les maux de ces hommes. C’est lui qui donnera le feu vert pour le lynchage… Le lendemain, un délégué des comités de quartiers se présente au wali avec une liste de revendications : l’eau potable, le logement, l’emploi, mais aussi… la fermeture des portes à ces femmes pour qu’elles ne souillent plus leurs quartiers et libérer les hommes qui ont été appréhendés  ! Pour eux, loin d’être criminelle, l’agression est légitime. Ils ont souvent été présentés comme des jeunes mineurs ou des hommes sans emploi. On s’est rendu compte, lors des procès, qu’ils n’étaient ni mineurs ni chômeurs. L’imam, après avoir été arrêté quelques heures, a été aussitôt relâché, et il a aujourd’hui une mosquée plus importante à Hassi…

Qu’est-ce qui a rendu ce pogrom possible, d’après vous  ?

Nadia Kaci. Une combinaison de faits. La société algérienne est conservatrice et fonctionne dans bien des régions sur un mode patriarcal tribal. Autre facteur, le Code de la famille, qui place les femmes officiellement sous l’emprise des hommes. Ce code légitime l’injustice, désigne les femmes comme défouloir de la société. Il y a aussi l’héritage de la décennie noire du terrorisme  : des groupes islamiques armés ont kidnappé des milliers de femmes dans les maquis, les ont torturées, violées, soumises à l’esclavage, assassinées. Et ils n’ont jamais été condamnés  ! Ici encore, c’est un message fort qu’on envoie à la société.

Les deux victimes qui témoignent dans votre livre, Rahmouna et Fatiha, donnent une leçon de courage…

Nadia Kaci. En effet. Loin de se comporter en victimes passives, elles ont frappé à toutes les portes durant neuf ans pour obtenir réparation. Elles ont fait des centaines de kilomètres pour se rendre aux procès, ont bravé les pressions de leurs agresseurs. On leur demandait de se taire, elles n’avaient de cesse de dénoncer l’arbitraire et l’injustice. On leur demandait d’attendre sagement chez elles, elles se déplaçaient dans les ministères pour rappeler les promesses non tenues. Leur détermination dérange  : lors de la sortie du livre, le ministère algérien de la Solidarité les a calomniées dans la presse en affirmant qu’elles avaient été largement indemnisées. En vérité, elles ont vécu dans la misère la plus noire et n’ont eu en tout et pour tout, en neuf ans, qu’une aide de 270 euros et… des lentilles et des macaronis. Poursuivant dans la politique du déni, le ministre a prétendu que les récentes nouvelles attaques contre des femmes à Hassi Messaoud n’existaient pas, mais qu’elles avaient été montées de toutes pièces par Rahmouna et Fatiha qui conspiraient avec la main de l’étranger…

Laissées pour mortes, de Nadia Kaci, Éditions Max Milo, 2010.

Entretien réalisé par Karima Goulmamine


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