Georges Politzer. Le philosophe Résistant qui s’opposa au théoricien nazi Rosenberg

samedi 28 juillet 2012.
 

De très nombreux communistes ont découvert la philosophie en étudiant ses Principes élémentaires. Fusillé au mont Valérien 
en 1942, ce jeune pédagogue avait écrit 
un essai réfutant 
les thèses nazies.

Parmi les « révolutions oubliées », il faut faire une place à la révolution des Conseils en Hongrie qui, malgré sa courte durée, fut le seul exemple de prise de pouvoir réussie dans le sillage de la révolution russe de 1917. C’est dans ce contexte que quelques brillants intellectuels font leurs premiers pas politiques  : parmi eux György Lukacs, commissaire à l’Instruction publique, et un jeune homme, Georges Politzer, qui n’a alors que dix-sept ans. Après l’écrasement de la révolution et la mise en place du régime autoritaire de l’amiral Horthy, Politzer fuit le pays et arrive en France, suit des études de philosophie et obtient l’agrégation en 1926. Intéressé par la psychanalyse – il était passé avant la France par Vienne où il avait pris connaissance des théories de Freud –, il publie en 1928 Critique des fondements de la psychologie (1), essai controversé où il défend la « psychologie concrète » qui lui vaudra une certaine postérité.

Georges Politzer adhère au PCF en 1929 et devient rapidement influent dans ses cercles intellectuels, côtoie entre autres Paul Nizan et Henri Lefebvre. Il participe comme professeur à l’université ouvrière créée en 1932 par un petit groupe d’enseignants communistes sous le patronage de grands écrivains, dont Romain Rolland et Henri Barbusse. Politzer y enseigne la philosophie sous l’angle du matérialisme dialectique  ; après-guerre, ces cours, à partir des notes prises par ses élèves, seront retravaillés par Jean Kanapa et donneront lieu à un ouvrage, Principes élémentaires de philosophie (2), réédité à de nombreuses reprises comme manuel pour la formation des communistes et traduit en plusieurs langues. Ouvrage de défense intransigeante d’un matérialisme dialectique qui apparaît aujourd’hui vieillie à certains égards, il doit être compris pour ce qu’il veut être en son temps  : s’adressant à des militants de toute condition sociale, souvent dépourvus de culture philosophique, il témoigne de l’effort de pédagogie et de formation politique liée à la structuration d’une organisation politique.

Homme de revue, Politzer participe au lancement de la Pensée, revue du rationalisme moderne, en 1939. Il y signe, à l’heure du cent-cinquantenaire de 1789, un article exaltant la philosophie du XVIIIe siècle. Politzer est de ces communistes qui ont la « passion des Lumières », comme le dit Roger Bourderon dans la belle anthologie de textes de Politzer contre le nazisme. C’est en effet contre celui-ci que le philosophe va s’illustrer en 1940-1941.

Sa réfutation du discours de l’idéologue national-socialiste Arthur Rosenberg va lui donner une place d’honneur dans l’histoire de la résistance communiste. Rosenberg prononce le 28 novembre 1940 une conférence à la Chambre des députés à Paris intitulée « Sang et Or », règlement de comptes avec les idées de 1789 qui « récupère » la révolte populaire de la fin du XVIIIe siècle pour présenter le national-socialisme comme une authentique révolution nationale. Politzer répond dans Révolution et contre-révolution au XXe siècle. Réponse à « Sang et Or » de M. Rosenberg (3), texte de première importance paru sous forme de brochure au début 1941, soit avant l’entrée en guerre de l’URSS. Son propos – au-delà des débats sur l’attitude à adopter face à l’occupant entre 1939 et 1941 – montre l’ancrage d’un antinazisme qui plonge ses racines dans une continuité historique revendiquée  : s’il défend avant tout le Parti communiste et l’Union soviétique, la lutte contre l’obscurantisme nazi se fait au nom de l’exaltation de traditions antérieures, celles du rationalisme, des Lumières et surtout de la Révolution française, négation de l’hitlérisme  : autant de thèmes hérités du Front populaire, qui avait exalté les philosophes du XVIIIe siècle et 1789. À l’heure de l’occupation allemande, Politzer incarne aussi un internationalisme qui n’oublie pas « l’autre Allemagne », celle qui a été écrasée par le nazisme triomphant  ; il appelle à ne pas confondre « le peuple allemand avec ceux qui, aujourd’hui, oppriment la France » .

« Il est clair que, par ses insultes au souvenir de la Révolution française, M.Rosenberg prouve qu’il est en lutte aussi contre l’esprit allemand, dont les plus grands représentants ont toujours professé l’admiration et l’enthousiasme pour le XVIIIesiècle français et le grand acte qui a renversé la féodalité. »

Signalons que ce texte sera même traduit en allemand, probablement par Jacques Decour, même si, sous cette forme, la réception fut nécessairement confidentielle. Propos marqué par son contexte mais qui n’en développe pas moins quelques réflexions sur le mythe et l’idéologie et la façon dont elles sont productrices d’illusion, méritant d’être relues aujourd’hui. Arrêté le 19février 1942, au moment où paraît la Pensée libre – qui reprend le flambeau de la Pensée, interdite comme toutes les publications communistes –, Georges Politzer est fusillé le 23 mai 1942 avec d’autres au mont Valérien. Il avait trente-neuf ans. Republié au lendemain de l’apogée du Parti communiste en 1947, Révolution et contre-révolution au XXe siècle entre dans la légende. S’il faut attendre 1956 pour que Politzer soit reconnu à titre posthume comme « interné résistant » après une longue bataille juridique, il est une figure longtemps présente dans la mémoire communiste  : son nom est donné à des rues et établissements scolaires tandis que, s’inscrivant dans la continuité de son implication dans les réseaux intellectuels, est créé un Cercle Politzer, cercle de philosophies communistes dont fit partie, entre autres, Louis Althusser.

Par Jean-Numa Ducange, 
historien.

(1) L’ouvrage est réédité en 2003 aux Presses Universitaires de France dans la collection « Quadrige ».

(2) Réédité aux Éditions Delga en 2009.

(3) Éditions sociales, 1984.


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