CITOYENNETE ET "LEGITIMISME REPUBLICAIN" (tribune de Patrick Mignard)

mardi 31 août 2010.
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Le légitimisme, au sens commun du terme, est une forme de conservatisme qui se fonde sur le caractère définitif de certaines valeurs et principes, et sur la manière de les appliquer, qui est celle du pouvoir en place. Celle-ci, une fois établie ne saurait évoluer quelles que soient les conditions historiques.

L’instauration de la « démocratie » et de la République, révolutionnaire en son temps, a ainsi instauré un « système de pouvoir » qui s’est sclérosé au point d’être, aujourd’hui, incapable d’évoluer.

LE "CLAIR-OBSCUR" DES LUMIERES

Les Lumières en combattant l’obscurantisme religieux, l’intolérance et l’absolutisme en politique, ont effectivement fait évoluer l’esprit humain dans le sens de l’instauration de systèmes politiques fondés sur la raison et la tolérance… Ce qui a fondé ce que nous appelons aujourd’hui la démocratie.

Pourtant, contrairement aux apparences, l’esprit des Lumières n’a pas totalement façonné l’Histoire dans le sens philosophique qui était le sien. Il a en fait aidé à l’émergence d’un système de relations sociales – le système marchand – et à asseoir son hégémonie. De ces valeurs – celles des Lumières - ce système en avait besoin pour abattre l’ancien, au point que c’était dans ses cités qu’elles avaient émergé et s’étaient développées.

En fait, l’esprit des Lumières a nourri en son sein un système d’organisation sociale qui, tout en apparaissant comme un immense progrès par rapport aux systèmes précédents, allait se révéler particulièrement nocif pour ces mêmes valeurs… nous en sommes aujourd’hui les témoins.

Sans pour cela nier le rôle des Lumières, ne s’en tenir qu’à son aspect purement philosophique, c’est n’aborder qu’un aspect des choses et laisser dans l’ombre les véritables fondements historiques d’un système dans lequel nous vivons aujourd’hui et dont on peut juger de ses conséquences.

Or, ce « coté obscur » des Lumières est consciencieusement ignoré par la pensée officielle – de Droite comme de Gauche - qui ne s’en tient qu’aux principes philosophiques quotidiennement et systématiquement écornés. Le « coté clair » tenant d’alibi au « côté obscur ».

C’est dans cette vision « boiteuse » de la réalité historique qu’est coulée la « morale civique », celle qui fonde le Citoyen.

On en arrive ainsi, à la situation paradoxale où le « progressisme républicain » issu incontestablement des Lumières, devient de fait un conservatisme.

UN « CONSERVATISME PROGRESSISTE »

Cet oxymore qualifie bien la logique politique actuelle.

Celles et ceux qui se qualifient de « républicains » sont en fait de parfaits conservateurs… Pourtant, à leurs yeux, ils sont des progressistes… Il est vrai qu’au regard de ce qu’était l’Ancien Régime, le système monarchique, voire féodal, la République est un progrès sur le plan moral comme sur le plan politique. Mais peut-on en rester à ce simple constat ? Certainement pas,… et ce pour deux raisons :

le « clair-obscur » des Lumières. Nous venons de le voir, ne s’en tenir qu’à l’aspect formel et flamboyant des Lumières c’est faire l’impasse sur la réalité sociale du système réel qui en a émergé. Or les analyses et discours des « républicains » authentiques, progressistes, humanistes,… se fondent plus sur une interprétation et exigence rigoureuse, et au demeurant respectables, des principes des Lumières, que sur une véritable analyse critique du système marchand. Sans remettre en question les fondements de ce système, ils se limitent souvent au constat - tout à fait juste – qu’il viole allègrement et impunément des valeurs des Lumières. Ce constat tenant, en quelque sorte lieu, à leurs yeux, de remise en question ce qui est parfaitement illusoire.

le verrouillage politique du système marchand. Très tôt, le système marchand a donné toute la mesure de ce dont il était capable. C’est au nom des valeurs des Lumières qu’il les a consciencieusement piétinées par sa pratique – voir l’histoire des 19e et 20e siècles – Cette extraordinaire mystification idéologique lui a permis de verrouiller toute véritable contestation et démarche critique. La faillite des expériences « socialistes », fondées sur une analyse fausse de ce qu’il était, et de ce qu’il y a avait lieu de faire pour le dépasser, a été, et constitue un puissant argument de verrouillage politique.

Toute la conscience civique est fondée sur cette ambiguïté. Le raisonnement politique ne peut ainsi que tourner en boucle : la critique du système ne pouvant se fonder que sur des valeurs dont il serait le garant, il est donc impensable de le remettre en question au risque de violer celles-ci…

Le citoyen est prisonnier de sa propre logique.

L’IMPASSE

La suite, nous la connaissons et la vivons tous les jours.

Le citoyen, sensé être le sujet de sa propre histoire en est simplement réduit à être un simple instrument, un électeur… l’élection étant un résumé fulgurant et dérisoire de ses droits et de ses prérogatives, mais aussi de son impuissance.

L’élection, en effet, représente un double avantage pour le système :

elle respecte formellement les grands principes des Lumières : liberté, égalité, tolérance… de ce fait elle ne peut-être remise en question ;

elle verrouille en fait toute possibilité de changement par le conditionnement politique, l’accaparement de fait de l’information par l’argent, la constitution d’une classe politique parasite qui, en pratiquant l’alternance, évite toute sortie du système.

L’élection illustre parfaitement non seulement ce qui reste au citoyen pour exister politiquement – du moins officiellement- mais justifie aussi le « légitimisme républicain »…. Le citoyen croyant, en toute bonne foi jouer un rôle essentiel par cet acte se contente uniquement d’exercer un droit formel qui n’offre aucune perspective de changement.

Cette situation illustre l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Elle conforte un sorte de confort passif qui, en l’absence de contradictions explosives, du moins pour le moment, permet une continuation, sans grands soubresauts, de la situation sociale et politique.

La République, mot magique qui a remplacé Dieu, dans l’inconscient collectif se suffit à lui-même et permet toute les manipulations et dérives politiques. La croyance citoyenne en un absolu institutionnel fige l’action politique dans une attitude de soumission au bénéfice d’un système qui peut ainsi se pérenniser.

Le concept de citoyenneté est vidé de son sens originel.


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