Mgr Centène, évêque de Vannes, et Mgr Schockert, évêque de Belfort-Montbéliard, dénoncent « une recrudescence de la stigmatisation » des Roms

lundi 30 août 2010.
 

Suite aux épisodes de violence dans lesquels ont été impliqués des membres de la communauté des Gens du voyage, survenus dans la vallée du Cher, Mgr Centène, évêque de Vannes, et Mgr Schockert, évêque de Belfort-Montbéliard, mettent en garde contre « les généralisations hâtives » et « une recrudescence de la stigmatisation » dont sont victimes les Gens du voyage.

De tristes événements mettant en cause des personnes de la communauté des Gens du Voyage sont survenus récemment dans la vallée du Cher. En plaçant l’ensemble de cette communauté, ainsi que celle des Rom, sous le feu des projecteurs médiatiques et politiques. Ils ont servi de prétextes à des généralisations hâtives et à une recrudescence de la stigmatisation dont sont victimes ces populations. Nous le déplorons vivement.

Des enquêtes sont actuellement en cours sur ces événements. Il ne nous appartient pas de les commenter et nous faisons confiance à ceux qui en ont la responsabilité pour les conduire avec rigueur et équité.

Plusieurs associations se sont exprimées sur le sujet, parmi lesquelles l’Association Nationale des Gens du Voyage Catholiques (ANGVC) avec laquelle nous sommes spécifiquement liés. Nous saluons la qualité de leurs propos qui se rejoignent pour présenter des analyses lucides, invitant à prendre du recul et à porter sur la situation un regard nuancé. Fait exceptionnel, c’est par un communiqué commun que les quatre principales associations de Gens du Voyage appellent à renoncer aux effets d’annonces pour rechercher des « réponses publiques, concertées et volontaristes ». Nous appuyons cette revendication et renvoyons à leurs textes pour ce qui concerne la situation quotidienne de personnes qui ont de grandes difficultés à faire valoir leurs droits au stationnement, au voyage, à la scolarisation, au travail, à la santé, à la citoyenneté.

Disciples du Christ qui a affirmé avec force : « Ce que vous aurez fait à l’un de ces petits c’est à moi que vous l’aurez fait » (Évangile de Matthieu/ 25, 40), l’aumônerie catholique des Gitans et Gens du Voyage ne peut se résoudre à voir les Rom et Gens du Voyage victimes de préjugés et d’amalgames, boucs-émissaires désignés des difficultés de notre société, alors qu’ils en sont souvent les premières victimes. Nous sommes convaincus que le remède à la peur et à l’insécurité ne se trouve pas dans une surenchère sécuritaire mais passe par une action de longue haleine nourrie de respect et de connaissance réciproques.

Nous appelons nos frères et sœurs en Christ, mais aussi tous les hommes et femmes de bonne volonté, Gens du Voyage et sédentaires, Rom et gadjé, élus ou simples citoyens, à nous rejoindre sur le chemin d’un « vivre ensemble », gage possible d’un avenir partagé et d’une société pacifiée.

Mgr Raymond Centène Évêque de Vannes, En responsabilité pour la pastorale des gens du voyage

Mgr Claude Schockert Évêque de Belfort-Montbéliard, Évêque en charge du SNPMPI

2) Mgr Claude Schockert "Il faudrait parler plus positivement des étrangers"

Dans l’appel que vous avez publié le 27 juillet avec l’évêque de Vannes, vous regrettez une « recrudescence de 
la stigmatisation des Roms et gens du voyage ». Que vous inspire, un mois après ce texte, le traitement réservé actuellement à ces populations  ?

Monseigneur Schockert. Les démantèlements de camps de Roms et leur expulsion existaient déjà mais de façon ponctuelle et individualisée. Après les événements de Saint-Aignan, c’est devenu plus organisé et plus collectif. On pointe du doigt ces populations. Des mesures sécuritaires sont prises à leur encontre car cela séduit une partie de la population. Or c’est pour fuir les difficultés économiques de la Bulgarie et la Roumanie que les Roms viennent chez nous. Il faut donc trouver des solutions au niveau européen, afin que ces deux pays s’intéressent un peu plus à leurs ressortissants. La France les renvoie mais comment vont-ils être reçus  ? Il ne s’agit pas simplement de leur donner 300 euros pour qu’ils partent. Dans ces conditions, ils risquent de revenir.

On observe ces derniers jours 
un sursaut assez inédit de la part 
des gens d’église...

Mgr Schockert. Tout d’abord, au nom de l’Évangile, on se doit de dire certaines choses du point de vue de l’humanitaire et de l’accueil de l’étranger. C’est dans ce sens que le pape a évoqué dimanche la « fraternité universelle ». Pour nous, la non-fraternité qui s’exprime dans les mesures actuelles amène automatiquement les évêques à réagir. Ça n’est pas une opposition directe à ceux qui nous dirigent. Nous intervenons afin de rappeler qu’il n’y a pas des bons et des mauvais et que tout homme dans l’humanité est un frère.

La politique du gouvernement ne tend-elle pas justement à désigner des bons et des moins bons  ?

Mgr Schockert. Oui. On le voit bien dans la distinction opérée entre l’immigration subie et l’immigration choisie. Le phare est mis sur ceux qui vivent chez nous et qui, selon certains, n’auraient rien à y faire. Pour nous, ce sont des frères et c’est pour cela qu’on réagit.

Comment se fait-il que la voix 
de l’Église, particulièrement forte 
en ce moment vis-à-vis des Roms, 
soit moins entendue dans le cas 
des travailleurs sans papiers  ?

Mgr Schockert. Avec les gens du voyage et les Roms, nous sommes particulièrement en contact. Ils vont de pèlerinage en pèlerinage, et on les rencontre régulièrement. C’est notre devoir de défendre cette communauté. En même temps, si des gens ne sont pas en règle, il est normal que la loi s’applique. Mais on ne veut pas que toute la communauté soit stigmatisée. En ce qui concerne les autres migrants, on essaie d’intervenir, mais en dehors du concert politique. Ainsi, pour le délit de solidarité, on a fait une déclaration parce qu’on sentait que le climat en France était assez tendu. Beaucoup d’associatifs ont peur d’être inculpés pour avoir accueilli des personnes en situation irrégulière. Nous ne cherchons pas à entrer dans le jeu politique. Et ce malgré le fait qu’on nous reproche parfois d’avoir le même discours que la gauche. Les fondements de notre engagement ne sont pas les mêmes que ceux de l’engagement politique. On essaie de conscientiser les chrétiens mais ça n’est pas facile. Ils ont des peurs, comme tout le monde, telle la peur de l’étranger, de celui qui ne partage pas notre culture. Nous organisons chaque année la Journée mondiale des migrants et des réfugiés pour aider les chrétiens à réfléchir sur ces questions.

Avez-vous le sentiment que les évêques expriment le point de vue 
de la communauté catholique  ?

Mgr Schockert. On sent bien que nos réactions contre le discours actuel suscitent les réticences d’une partie des catholiques. Je reçois des lettres de protestation contre mes prises de position dans lesquelles on me dit  : « Je ne donnerai plus au denier de l’église. » Mais au nom de l’Évangile, nous nous devons de réagir. Aujourd’hui, des Mexicains, des Algériens ou des Polonais vivent en France, et le défi de la fraternité se pose de manière plus aiguë qu’avant. Il faudrait donc parler plus positivement de la présence d’étrangers chez nous. L’ouverture à l’autre et la présence de cultures différentes représentent une grande richesse. C’est ce qu’on essaie de faire, en nous appuyant notamment sur l’expérience vécue par des chrétiens qui sont proches des sans-papiers et des Roms.

Nicolas Sarkozy risque-t-il de s’éloigner des catholiques  ?

Mgr Schockert. On peut analyser cela comme on veut, mais ça n’est pas en fonction de l’Évangile que le gouvernement prend ses décisions. Maintenant, je ne sais pas si les catholiques vont s’éloigner pour autant du pouvoir. Peut-être que certains d’entre eux réagiront par leur vote ou autrement mais ça n’est pas une loi générale. La séparation de l’Église et de l’État est quand même une réalité, et nous, on essaie de la respecter, donc on ne veut pas s’immiscer dans les décisions des gouvernants.

Le ministre de l’Agriculture a affirmé que l’Église n’avait pas à intervenir dans le débat politique…

Mgr Schockert. Nous partons de la réalité et du quotidien des Roms et des gens du voyage. Nous faisons retentir la voix de l’Église sur ces sujets-là. L’Église est donc dans son rôle. Ça me rappelle Pasqua qui dans les années quatre-vingt-dix souhaitait « que les évêques s’occupent de leurs sacristies » (à propos des évêques qui protestaient contre les expulsions de sans-papiers – NDLR). Or on estime que l’Église doit faire entendre sa voix dans le débat public. C’est un éclairage que l’on donne.

Brice Hortefeux veut continuer le démantèlement des camps de Roms. L’opposition des ecclésiastiques peut-elle infléchir cette politique  ?

Mgr Schockert. Oui. Notre but est de faire prendre conscience des enjeux de cette réalité. Pour nous c’est important d’aider à réfléchir, de prendre du recul. Dans les quartiers populaires, si on agit uniquement sur les faits sans chercher à régler leur cause sociale, ça ne règle pas le problème. Beaucoup d’hommes politiques s’interrogent aujourd’hui sur ces mesures sécuritaires. La prise de position de l’Église peut donc avoir, à mon sens, une influence. On y travaille en tout cas.

Entretien réalisé par 
Virgile Dessirier


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