Affaire Woerth : les barbouzes du contre-espionnage sur la piste des fuites dans la presse. Le Monde porte plainte

mardi 14 septembre 2010.
 

1) Affaire Woerth : "Le Monde" va déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources

Afin d’identifier la source d’informations parues dans Le Monde sur l’affaire Woerth-Bettencourt et de tenter de mettre un terme aux révélations sur cette enquête, l’Elysée a eu recours, courant juillet, à des procédés qui enfreignent directement la loi sur la protection du secret des sources des journalistes. En conséquence, Le Monde a décidé de déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources.

Les 15 et 16 juillet, l’enquête préliminaire sur l’affaire Bettencourt a pris un tour déterminant avec les gardes à vue de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, du photographe François-Marie Banier et de l’ex-avocat de la milliardaire, Fabrice Goguel. Ces auditions ont permis de préciser les conditions d’embauche de Florence Woerth par M. de Maistre. Le Monde a fait état de ces informations à la "une" de ses éditions datées 18-19 juillet, sous le titre "Le principal collaborateur de Liliane Bettencourt met Eric Woerth en difficulté", au-dessus d’un article signé de notre collaborateur Gérard Davet.

La publication de ces informations, à quelques jours de l’audition de M. Woerth par les policiers, prévue fin juillet a, selon des sources proches du dossier, particulièrement irrité l’Elysée. Selon plusieurs sources interrogées par Le Monde à la Direction générale de la police nationale (DGPN) ainsi qu’à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ordre a alors été donné à la DGPN de mettre fin aux fuites qui avaient abouti à la publication de ces informations dans Le Monde.

L’ACTION DU CONTRE-ESPIONNAGE

Les services de la DCRI, c’est-à-dire du contre-espionnage français, ont été mis à contribution hors procédure judiciaire, une quinzaine de jours avant qu’une enquête préliminaire ne soit ordonnée par le parquet de Paris, le 4 août. Ils ont d’abord cherché à cerner le profil de la source potentielle. Parmi les personnes qui pouvaient avoir accès aux procès-verbaux des auditions, ils se sont arrêtés sur un haut fonctionnaire, David Sénat, conseiller pénal de la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie.

Le téléphone administratif de ce dernier a fait l’objet de discrètes expertises techniques. Les identités des personnes ayant contacté ce membre de l’appareil d’Etat ont été remises à la DCRI par un opérateur téléphonique, sous forme d’un listing. C’est à cette occasion que le nom de Gérard Davet, journaliste au Monde, est apparu. La DCRI – qui a assuré au Monde avoir agi dans le cadre de sa "mission de protection des intérêts de l’Etat " – a transmis, courant juillet, ses conclusions à l’Elysée, pensant avoir identifié la source du Monde.

La hiérarchie du haut fonctionnaire soupçonné, David Sénat, conseiller pénal au cabinet de la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, a été sommée de le convoquer. Il a été appelé à quitter ses fonctions, et s’est vu proposer une "mission de préfiguration" pour la mise en place de la cour d’appel de Cayenne, en Guyane.

En faisant mener une enquête par la police pour tenter d’identifier la source de notre journaliste, l’exécutif a donc clairement enfreint la loi relative à la protection du secret des sources des journalistes, dispositif qu’il avait pourtant renforcé par la loi du 4 janvier 2010. Aux termes de cette loi, "est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources". Par ailleurs, ajoute le texte, "il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie, et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi".

Le Monde a, depuis, poursuivi son travail d’enquête et a continué à publier des informations inédites, y compris appuyées sur de nouveaux procès-verbaux d’auditions.

de Sylvie Kauffmann, Le Monde

2) Affaire Woerth-Bettencourt : des barbouses pour museler la presse ?

Le quotidien "Le Monde" va porter plainte contre X, persuadé que l’Elysée a demandé au contre-espionnage français de trouver les sources de ses informations dans l’affaire Woerth-Bettencourt.

Alors que le gouvernement est empêtré dans les affaires, la polémique autour des expulsions de Roms ou la mobilisation grandissante contre le projet de réforme des retraites, voila une nouvelle bombe qu’il sera difficile de désamorcer. Le quotidien Le Monde a annoncé ce matin qu’il portait plainte contre X pour "violation du secret des sources."

Dans ces éditions du 18 et 19 juillet, le journal relatait les gardes à vue de l’affaire Woerth-Bettencourt, à propos des conditions d’embauche de Florence Woerth par Patrice de Maistre. Le quotidien accuse le pouvoir d’avoir ordonné à la direction générale de la police nationale (DGPN) "de mettre fin aux fuites qui avaient abouti à la publication de ces informations dans Le Monde."

Le conseiller de MAM appelé à quitter ses fonctions

Comme le raconte Le Nouvel Observateur, cette enquête hors procédure judiciaire aurait fait de David Sénat, conseiller pénal de la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie, la source des fuites. Après une phase préliminaire pour établir le profil de la source potentielle, des "expertises techniques" ont été mises en place autour du téléphone administratif du conseiller, faisant apparaître le nom de Gérard Davet, journaliste au Monde, dans ses contacts. Les conclusions ont été transmises au palais présidentiel fin juillet et David Sénat a depuis "été appelé à quitter ses fonctions."

Dans une déclaration, l’Elysée "dément totalement les accusations du Monde et la présidence de la République précise qu’elle n’a jamais donné la moindre instruction à quelque service que ce soit."

Le Monde porte plainte en fonction de la loi relative à la protection du secret des sources des journalistes, renforcé en janvier dernier où "est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources."

"Le délabrement de notre démocratie"

Marie-George Buffet (Parti Communiste Français) a dénoncé lundi dans cet épisode une nouvelle étape "dans le délabrement de notre démocratie soumise aux coups de boutoirs de la "bande du Fouquet’s"", écrit l’ex-secrétaire nationale du PCF, dans un communiqué. "Ce coup fait mal à la République puisqu’il viole la liberté de la presse. Si la main de la présidence de la République se confirmait, nous serions en présence d’une affaire d’Etat. Et ceux qui auraient ainsi bafoué notre démocratie devraient en tirer les conséquences que dicte le respect de la République", conclut la députée PCF de Seine-Saint-Denis.

Frédéric Mazéas, L’Humanité


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