L’AQMI et les appétits concurrents des grandes puissances au Sahel

samedi 25 septembre 2010.
 

Que peut-on dire d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) aujourd’hui ? Qu’est-ce que ce groupe ?

André Bourgeot : Il faut resituer AQMI dans un processus de transformation du Front islamique du salut (FIS), qui avait remporté les élections en Algérie. Il a donné naissance au Groupe islamique armé (GIA) puis au GSPC (Groupement salafiste pour la prédication et le combat), et enfin à AQMI depuis 2006-2007. On constate une modification dans les stratégies des islamistes politiques qui utilisent les pratiques armées et la prise d’otages. Autant, au début, c’était la prise du pouvoir politique central, autant, avec AQMI, ce n’est plus le cas. Leurs pratiques, dans cet espace saharo-sahélien, visent à déstabiliser les pouvoirs centraux. L’objectif est aujourd’hui de procéder à des partitions territoriales en installant des émirats dans des espaces militairement et politiquement peu ou pas contrôlables à cause de l’immensité du territoire et des frontières poreuses. On parle de l’influence d’émirs de l’AQMI, dont la « tête » serait en Algérie, et plusieurs autres, qui sont en situation de compétition pour le pouvoir et qui se disputent la création et le contrôle de nouveaux territoires au sein d’États-nations qui tendent ainsi à perdre une partie de leur souveraineté nationale. C’est notamment le cas du Mali.

Existe-t-il un lien entre l’établissement d’AQMI et l’accroissement des trafics, dont celui de la cocaïne en provenance d’Amérique latine ?

Il y a des liens entre les itinéraires empruntés par les anciens trafics de cigarettes, qui existent toujours, et ceux qui acheminent la cocaïne. La fraude sur les cigarettes, impunie et génératrice de corruption, a servi de test pour l’acheminement de la cocaïne. Dans le cas du Mali, il y a une forte compétition pour savoir quelles seront les multinationales qui pourront exploiter le pétrole du nouveau gisement de Taoudeni (750 kilomètres au nord de Tombouctou) et dans la partie saharienne mauritano-algéro-malienne du désert du Tanezrouft. Ce gisement est à cheval sur le Mali et la Mauritanie. C’est dans ce contexte-là qu’AQMI intervient et recourt de plus en plus à des pratiques criminelles. Cette organisation politico-militaire, avec sa capacité à prendre des otages, instrumentalise des locaux qui lui donnent des informations sur la présence ou les déplacements d’individus. Elle s’appuie sur ces criminels locaux qui passent à l’action et lui vendent les otages comme des marchandises. En établissant des relations entre drogue, industries extractives et trafic d’armes, on assiste à un développement des activités criminelles, souvent dans des situations d’impunité. Je ne dis pas qu’il y a des liens organiques entre ces trois éléments, mais il y a des interventions ponctuelles. D’ailleurs, les prises d’otages ne visent plus exclusivement les étrangers. On ne peut donc appréhender les interventions d’AQMI indépendamment des contextes d’évolution et de transformation des trafics de produits illicites et de l’implantation des industries extractives, notamment l’uranium, le pétrole et l’or.

Quelle est l’attitude de l’Algérie ?

L’Algérie joue un rôle important. Récemment, il y a eu la création de ce qu’on a appelé « l’Otan à Tamanrasset », chef-lieu de l’extrême-Sud algérien, où trois zones militaires ont été créées. Celles-ci visent justement à protéger ses frontières avec le Mali, le Niger et la Mauritanie. Il y a eu des accords internationaux signés, qui confèrent à l’Algérie la capacité d’organiser la lutte sécuritaire contre ces pratiques criminelles existantes dans ces quatre pays signataires, ce qui lui confère un rôle prépondérant. On retombe sur le problème de l’Africom (commandement régional américain pour l’Afrique, localisé à Stuttgart), que les Américains souhaitaient voir basé en Algérie. Une proposition évidemment rejetée. Actuellement, les militaires américains sont positionnés à Tombouctou. Auparavant, ils étaient à Gao. Mais Taoudeni, zone pétrolière, dépend de Tombouctou. Le transfert des militaires de Gao à Tombouctou recèle une signification politique. Par ailleurs, le contrôle des communications, dans cette zone, dépend des Américains. Donc, si on veut obtenir des informations, il faut passer par eux et ils ne délivrent que ce qu’ils veulent. On retombe dans une forme de compétition dans le « pré carré français » entre Américains et Algériens, alors que le Mali, le Niger et la Mauritanie, États beaucoup plus faibles, ont besoin de soutiens technologique et politique à la fois de l’Algérie, des États-Unis et de la France. Mais il y a, en même temps, des accords entre Alger et Washington dans le cadre de ce qu’ils appellent « la lutte contre le terrorisme islamiste ».

Existe-t-il une compétition entre les grandes puissances dans cette zone ?

Oui, et cette compétition entre les puissances occidentales et l’émergence de l’Algérie concerne le contrôle des ressources naturelles. C’est dans ce contexte que les pratiques d’AQMI et des rébellions touarègues posent le problème de la recomposition des zones d’influence dans cet espace saharien, qui devient une zone de non-droit. La multinationale américaine Exxon-Mobil avait ainsi obtenu des permis de recherche au Niger. Elle voulait un permis d’exploitation de pétrole à Agadem, dans le Ténéré nigérien, non assorti de la création d’une raffinerie. Les autorités nigériennes ont donné ce permis d’exploitation à la Chine, qui, elle, s’est engagée à créer une raffinerie - en cours de construction- à 40 kilomètres de Zinder, ainsi qu’à développer le réseau routier, qui vise à créer les conditions d’une autonomie relative du Niger par rapport au Nigeria, ce qui diffère sensiblement des conceptions occidentales. Ils font la même chose au Tchad. Alors qu’Areva et les autres considèrent ces pays comme étant seulement à exploiter en exportant leurs richesses nationales.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey

Paru dans l’Humanité du 21 septembre 2010


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