La dispersion idéologique a succédé à la synthèse des droites réussie en 2007

samedi 16 octobre 2010.
 

par Pascal Perrineau, directeur du Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po)

Un des éléments décisifs de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 a résidé dans sa capacité à se situer au centre de gravité de toutes les droites françaises, pour en redevenir le patron. Ce travail avait été préparé en amont : issu de la famille néogaulliste du RPR, il pouvait prétendre en assumer l’héritage des valeurs d’ordre, de nation et de progrès. A ce bagage idéologique, il avait ajouté celui du libéralisme davantage de tradition orléaniste et celui du "sécuritarisme" porté par sa longue action à la tête du ministère de l’intérieur et sa volonté de reconquête d’une partie de l’électorat du Front national.

Contrairement à ses prédécesseurs (Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing) qui n’incarnaient qu’un des tempéraments nombreux qui composent la droite, Nicolas Sarkozy a été, en 2007, l’homme de la synthèse idéologique des droites. De "la droite de la droite" au centre, chaque famille de pensée a pu se retrouver : qui dans la fermeté contre l’insécurité, qui dans la thématique d’une immigration choisie et non subie, qui dans la dénonciation des valeurs libertaires de Mai 68, qui dans la défense d’une identité nationale pérenne, qui dans la promotion des libertés économiques, dans la libération du travail ou dans l’appel à une République exemplaire, qui dans une Europe protectrice...

Comme l’avançait le candidat Sarkozy le 17 avril 2007 : "Le vrai sujet de cette présidentielle, ce sont les valeurs." Même si la victoire de 2007 ne peut se résumer à cette victoire idéologique, la bataille a été gagnée dans les esprits avant d’être gagnée dans les urnes. Depuis 2007, l’exercice de la fonction présidentielle, les stratégies politiques mises en oeuvre, la violence de la crise économique et financière de l’automne 2008 et l’inévitable usure du pouvoir ont profondément déréglé le dispositif idéologique qui avait fait ses preuves en 2007.

A peine arrivé au pouvoir, le nouveau président a entrepris nolens, volens un travail de désymbolisation de la fonction présidentielle qui a pris à contre-pied une partie des électeurs de droite. Ceux-ci restent attachés à une certaine majesté de l’exercice de la fonction que son inspirateur, le général de Gaulle, avait imposée et que ses successeurs ont reprise. Le tempérament personnel du président, l’hyperprésidence comme legs inéluctable de la révision constitutionnelle d’octobre 2000 réduisant le mandat présidentiel à cinq ans, et le faisant entrer en concordance avec le mandat des députés, ont favorisé ce processus. Dans un tel contexte, garder la "hauteur présidentielle" et le surplomb idéologique qui lui est lié devient un défi très difficile à relever.

L’ouverture à la gauche engagée dès juin 2007 a pu donner l’impression que Nicolas Sarkozy préférait la tactique de la déstabilisation de la gauche à la stratégie de l’expression de la diversité des droites. Certaines familles de la droite et du centre ont eu l’impression qu’elles n’étaient pas suffisamment représentées dans le dispositif du nouveau pouvoir.

Le surgissement de la crise financière de l’automne 2008 s’est ensuite attaqué au coeur du dispositif de rupture libérale que M. Sarkozy avait décidé de mettre en place. A peine portées sur les fonts baptismaux, des réformes comme le bouclier fiscal ou la réforme de l’Etat ont pu apparaître comme allant à contre-courant d’un retour de la puissance publique exigé par les ripostes à la crise. Son discours de Toulon du 25 septembre 2008 exprime ces inflexions : "Il faut un nouvel équilibre entre l’Etat et le marché. Un nouveau rapport doit s’instaurer entre l’économie et la politique à travers la mise en chantier de nouvelles réglementations."

L’heure n’est plus à la rupture libérale et l’un des vecteurs forts de la spécificité idéologique du sarkozysme s’étiole.

Enfin, l’exercice du pouvoir dans un contexte de crise a usé la popularité de l’exécutif et fané le lustre de sa nouveauté. Les affaires qui ont secoué l’année qui vient de s’écouler (jugement de l’affaire Clearstream, polémique autour des écrits de Frédéric Mitterrand, candidature de Jean Sarkozy à la direction de l’EPAD, affaire Woerth-Bettencourt) ont contribué à éroder la rupture que le candidat Sarkozy appelait de ses voeux sur le terrain de la gouvernance et de l’exemplarité de la République.

Appelé par sa posture d’hyperprésident à être sur tous les fronts, le président a été successivement, au cours de ces trois dernières années, sur des créneaux idéologiques différents et multiples, parfois contradictoires, qui ont peu à peu donné l’impression d’un éclatement et d’une dispersion. A la fusion idéologique que la création de l’UMP en 2002 et la campagne de 2007 avaient engagée, a succédé une confusion où la segmentation l’emporte sur la synthèse. Le discours de Grenoble du 30 juillet 2010 par le lien direct fait entre immigration et insécurité emmène le pendule présidentiel à la droite de l’arc idéologique des droites, certains éléments du discours de Toulon relatifs à la dénonciation du capitalisme financier l’emmènent à la gauche de celui-ci. Où est le président ?

L’exercice traditionnel de la fonction présidentielle depuis 1958 voulait qu’il reste au centre du dispositif sans se déporter alternativement sur les ailes extrêmes de celui-ci, laissant à son gouvernement et à sa majorité le travail de conviction vis-à-vis des diverses familles de la droite. Aujourd’hui, les perspectives sont renversées. Le premier ministre prend une posture présidentielle et le président va au charbon du combat idéologique pour récupérer les segments épars des électorats de droite qui, demain, feront sa victoire ou sa défaite.

Certes, Nicolas Sarkozy a peut-être mieux compris que d’autres la logique du "parti attrape-tout" qu’Otto Kirchheimer avait décrit dès la fin des années 1960 dans les démocraties modernes. Dans des contextes de dépolitisation et d’érosion des grandes idéologies vécues comme des religions séculières, le politologue allemand prévoyait le développement de partis de rassemblement du "peuple" abandonnant toute ambition d’encadrement intellectuel et moral des masses et "s’intéressant pleinement à la vie électorale dans l’espoir d’échanger une action en profondeur contre un public électoral plus vaste et des succès électoraux plus tangibles".

Pour cela, il est utile de promouvoir "une doctrine de l’unité et de l’ambition nationales, assez vague et souple pour permettre les interprétations les plus variées mais néanmoins assez attrayante pour servir de point de ralliement à de nombreux groupes et à des individus isolés".

Une chose est de ramener les diversités de la droite à cette "doctrine". Mais autre chose est de se porter successivement dans des lieux idéologiques éclatés au risque de la dispersion.

Pascal Perrineau, directeur du Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences Po)


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