La gauche en débats (Laurent, Mélenchon, Besancenot, Désir) Dossier de L’Humanité

mercredi 13 octobre 2010.
 

1) Pierre Laurent : « L’intervention populaire peut faire bouger les choses »

Pour le secrétaire national du Parti communiste français, le projet partagé du Front de gauche doit être le fruit d’un débat public et transparent afin d’énoncer ce que la gauche devrait faire pour réussir à changer vraiment la vie en 2012. Entretien : Sébastien Crépel

Pensez-vous qu’il est encore possible de faire reculer le pouvoir sur la réforme des retraites ?

Le gouvernement a perdu la bataille des idées. La journée du 2 octobre a montré que l’élargissement du nombre de personnes dans l’action se poursuit. C’est la clé de la victoire, qui sera possible si la majorité d’idées qui unit le pays contre cette réforme se transforme en majorité dans l’action. Les jours à venir, la grève du 12 octobre et ses suites seront décisifs.

La nouveauté à gauche est que, désormais, toutes ses composantes se rencontrent et parlent de rassemblement. Est-ce un signe positif pour l’alternative en 2012 ?

Ça bouge à gauche parce que ça pousse dans tout le pays. Mais ces manifestations d’unité, essentielles pour battre Sarkozy, ne résolvent pas à elles seules tous les défis posés à la gauche. Pour crédibiliser une alternative, il faut que la gauche ait du courage face aux marchés financiers et s’accorde sur les objectifs politiques à réaliser. Or le débat demeure, comme on le voit sur les retraites. La lumière ne jaillira pas du face-à-face entre formations. Seule l’intervention populaire peut faire bouger les choses. C’est le sens du Front de gauche. De même que leur entrée dans l’action contre la réforme des retraites change la donne, l’irruption des citoyens sur le terrain politique peut déplacer les lignes à gauche.

Quelles sont les conditions pour que la gauche gagne les élections de manière durable et ne se contente pas d’une victoire par défaut ?

N’allons pas trop vite en besogne, ce n’est pas parce qu’un pouvoir est en grave difficulté qu’il a perdu. Non seulement les gens qui souffrent ont besoin de gagner tout de suite, mais ce sont ces victoires qui peuvent le mieux préparer celle de 2012. Donc, ne lâchons rien sur les retraites. Ensuite, pour construire une victoire solide et durable, il faut énoncer les grandes questions auxquelles la gauche ne doit plus se dérober  : la construction de nouveaux droits sociaux contre les marchés financiers  ; la nécessité de redonner du sens au travail, à la production, aux missions publiques, aux choix de développement pour faire reculer la dictature des logiques de profit sur nos vies  ; le besoin de reconstruire la démocratie en reconquérant des pouvoirs contre l’argent, en réorientant les richesses vers les dépenses publiques utiles via la fiscalité, en se réappropriant le crédit et la banque grâce à un pôle public financier, en changeant la politique européenne.

Vous partagez donc l’idée qui s’exprime à gauche que l’antisarkozysme ne suffit pas ?

Quand on est face à un pouvoir qui démolit la France, lui résister est un devoir. Si l’antisarkozysme ne suffit pas, il est indispensable. Mais il doit être conséquent, c’est-à-dire aller au bout de la critique et être capable de dire par quelle politique nous voulons remplacer la sienne. Je n’oppose donc pas l’antisarkozysme à la construction d’une alternative.

Où en est le Front de gauche après le lancement de son projet partagé à la Fête de l’Humanité ?

À la Fête de l’Humanité, plusieurs milliers de personnes ont souhaité s’associer à cette démarche. Des initiatives de lancement se préparent dans les départements et nous éditons des «  cahiers  » du projet pour élargir le processus. Des initiatives nationales sont prévues avec nos partenaires du Front de gauche sur les retraites et sur la République, les droits et les libertés. Des fronts thématiques sont envisagés sur les enjeux économiques et la jeunesse. Les 27 et 28 novembre, le PCF tiendra un colloque national très ouvert pour enrichir sa contribution. Ces travaux convergeront progressivement pour aboutir au projet partagé.

Vous engagez avec le Front de gauche ce projet partagé et, simultanément, le PCF propose un pacte d’union populaire. Pouvez-vous préciser la place respective de ces offres ?

Il n’y a pas deux mais une seule démarche. Nous voulons construire un projet partagé. Pour dire quoi  ? Ce que la gauche devrait faire pour réussir vraiment à changer la vie. Nous parlons de projet partagé parce qu’il doit, à nos yeux, être établi en commun par les forces du Front de gauche et par toutes celles et tous ceux qui partagent des ambitions claires sur le contenu d’un projet de gauche. Comment construire ce projet  ? Nous pensons au PCF qu’il faut le faire dans un débat public, populaire et transparent. C’est cela le pacte d’union populaire, l’outil du rassemblement qui permettra à toutes les forces mobilisées dans la société de s’engager dans ce débat pour exprimer ensemble le contrat qui devrait lier toutes ces forces et ces citoyens.

Vous vous êtes porté garant de l’absence de guerre des ego au Front de gauche concernant la candidature à la présidentielle de 2012. Comment allez-vous faire concrètement ?

D’abord en approfondissant cette démarche sur le projet qui, si nous n’y prenons pas garde, sera marginalisé par la mécanique présidentialiste. La désignation d’une candidature commune pourra alors s’appuyer sur un contrat politique partagé et des objectifs qui nous réunissent. C’est la garantie d’une ambition collective. Que ce soit Jean-Luc Mélenchon, André Chassaigne ou une autre personnalité, ce dispositif collectif permettra que nos formations et leurs adhérents effectuent un choix sur la base d’un contrat clair, sans conduire à la guerre des ego ou à l’éclatement du processus.

Ne craignez-vous pas une répétition de l’échec des collectifs antilibéraux en 2007 ?

Ce que nous construisons avec le Front de gauche est d’ores et déjà très différent et peut devenir plus solide encore si nous parvenons à franchir les étapes souhaitées. Vous savez, je suis le premier à ne pas vouloir revivre 2007. Je peux vous dire qu’au PCF nous abordons cet enjeu dans un esprit constructif, sans arrogance et avec l’envie d’aboutir à une construction réellement partagée.

2) Jean-Luc Mélenchon : « Les différences entre partis ne sont pas ...‎"

3) Olivier Besancenot « La réforme des retraites doit être enterrée »

En dépit de la forte mobilisation, pourquoi le gouvernement s’acharne-t-il à promouvoir son projet 
de réforme des retraites ?

Olivier Besancenot. Du côté de l’oligarchie financière, on commence sans doute à croire que Nicolas Sarkozy n’est peut-être pas la bonne réponse à droite pour sortir de la crise. D’où les dissensions que l’on connaît actuellement au sein de l’UMP. Nicolas Sarkozy a donc besoin de réunifier son camp pour préparer 2012. Mais, plus profondément, la retraite est un sujet qui touche au rapport entre le capital et le travail. Du point de vue des capitalistes, il est plus important encore que le CPE. Avec la retraite, on est au cœur du conflit de classes. Le chef de l’État est donc déterminé à jouer quitte ou double justement pour réunifier son camp.

Le mouvement de contestation s’élargit, certes, mais ne pensez-vous pas que les citoyens estiment malgré tout nécessaire une réforme des retraites ?

Olivier Besancenot. Proposer une loi qui casse la retraite à 60 ans n’est pas populaire. Le problème n’est donc pas de convaincre que cette réforme n’est pas bonne, il est dans notre capacité à restaurer une confiance collective sur le fait que l’on peut gagner son retrait. Nous avons fait un pas supplémentaire dans ce sens samedi dernier. Dans la population, on commence à y croire. Quand, au début mai, nous avions entamé la campagne unitaire, initiée par la Fondation Copernic et Attac, nous pensions que la pire des défaites aurait été une défaite morale, menée sans bagarre. Après ce mois de septembre de lutte, on se bat dorénavant pour gagner.

Mais ne pensez- vous pas qu’il subsiste un doute sur un contre-projet crédible à gauche ?

Olivier Besancenot. Les hésitations sont moins liées, me semble-t-il, au manque de crédibilité d’un projet alternatif qu’au doute sur la possibilité de bloquer ou non le gouvernement. C’est pour cette raison que la gauche ne doit pas s’inscrire dans une logique d’amendements ou de réécriture mais de retrait. Cette réforme doit être enterrée ! Cependant, il existe des interrogations sur la possibilité de trouver les moyens pour financer la retraite à 60 ans à taux plein. Pour cela, il faut partager le temps de travail et les richesses. En six mois, les profits du CAC 40 ont augmenté de 85%. Pour financer les retraites, il faudrait y consacrer, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), 3 % du PIB alors que les profits accaparent 17 % de ces richesses produites par les salariés.

Cette explication est-elle difficile parce que la gauche, qui affiche son unité dans les luttes, n’a pas un contre-projet commun ?

Olivier Besancenot. Il ne peut y avoir de projet alternatif commun entre le NPA et le PS sur la question des retraites, ne serait-ce que parce que nous, contrairement au PS qui veut augmenter les annuités, nous proposons la retraite à 60 ans à taux plein. Maintenant, nous sommes pragmatiques : si toute la gauche est d’accord pour défendre l’héritage du mouvement ouvrier que représente la retraite à 60 ans, il faut le dire ensemble, gauche sociale et gauche politique.

Vous pensez plus que jamais que seule la grève générale peut contraindre le gouvernement à renoncer à sa réforme ?

Olivier Besancenot. Face à la radicalisation du pouvoir, une grève générale reconductible est en effet le moyen pour y arriver. Cela ne se décrète pas. Des signaux peuvent être envoyés dans ce sens par les organisations du mouvement social. Elles peuvent aider à la convergence, faire en sorte que les échéances des manifestations soient le plus rapprochées possible et se dire solidaires de ceux qui tentent la reconduction de la grève dans leur secteur. Personne à gauche de la gauche ne peut se soustraire à la réalité du rapport de forces et aux moyens qu’il convient d’employer pour gagner cette bataille centrale. À ce moment précis du conflit, l’heure n’est pas à l’organisation d’un référendum qui se substituerait aux mobilisations sociales.

Ne craignez-vous pas que le mot d’ordre de grève générale fasse capoter l’unité syndicale ?

Olivier Besancenot. L’unité et la radicalité ne sont pas contradictoires. Comme pour les partis de gauche, les dissensions sur le programme et sur les modalités d’action existent au sein des organisations syndicales, sans pour autant ébranler l’unité. Si l’intersyndicale appelait à une grève générale reconductible le 12 octobre au soir, le gouvernement ne nous parlerait plus avec la même arrogance.

Le NPA se sent très à l’aise sur le terrain des luttes, mais est-ce suffisant pour transformer la politique actuelle ?

Olivier Besancenot. Quand on se réclame du marxisme, on peut avoir une approche dialectique de l’histoire de la lutte des classes dans ce pays qui combine social et politique. La séquence que nous vivons actuellement est bourrée de politique, davantage même que lors de certaines séquences électorales. Le changement se construit maintenant et non en 2012. Quand on fait le bilan de nos victoires sociales, on pense spontanément aux manifestations de 1995 contre la réforme Juppé, à celles contre le CPE et, bien sûr, au référendum sur le TCE, en 2005.

Quelles leçons tirez-vous de l’échec du NPA aux élections régionales, en mars 2010 ?

Olivier Besancenot. On assume ce revers. Objectivement, le reflux des luttes sociales ne nous a pas aidés, car le NPA est indexé sur la cote de popularité des mobilisations sociales. Au-delà, notre stratégie d’alliance à géométrie variable nous a rendus illisibles. Nous faisions jusqu’alors la synthèse d’une orientation unitaire et radicale. Là, nous avons perdu sur les deux tableaux. Le NPA se cherche encore.

Vous serez candidat à l’élection présidentielle de 2012 ?

Olivier Besancenot. Je suis candidat à la résistance sociale sur les retraites…

Le NPA présentera forcément un candidat ?

Olivier Besancenot. Nous en parlerons au congrès de décembre mais comme une incidence de l’orientation générale. Ce n’est qu’en juin 2011 que nous choisirons une candidature.

Entretien réalisé par Mina Kaci

4) Harlem Désir « Toutes les forces de gauche se sont influencées »

Eurodéputé et secrétaire national à la coordination du Parti socialiste, Harlem Désir analyse la période qui s’ouvre à gauche. Le numéro 2 du PS appelle au rassemblement et à l’élaboration d’un contrat de législature pour 2012.

Comment le Parti 
socialiste analyse-t-il 
cette rentrée politique  ?

Harlem Désir. La rentrée est marquée par une crise économique et sociale doublée d’une crise républicaine et morale. Le gouvernement s’obstine dans une politique insupportable d’injustice sur le plan fiscal et social. Je pense à la réforme des retraites mais également au sort fait à la protection sociale, aux services publics, à l’éducation nationale. Pour tenter de faire diversion, le président de la République s’est lancé dans une politique de stigmatisation des Roms et de surenchère anti-immigrés. Tout cela constitue un véritable saccage du contrat social et républicain sur lequel repose notre pays depuis l’après-guerre. Par ailleurs cette politique n’a aucune efficacité économique puisque la France ne sort pas de la crise et continue à perdre des emplois, en particulier dans l’industrie. À cela s’ajoute le mélange des genres permanents entre intérêts privés et publics dont l’affaire Woerth-Bettencourt est le symbole mais qui renvoie à une attitude constante depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy  : de la soirée du Fouquet’s aux réunions du Premier Cercle où le ministre du Budget venait promettre aux donateurs de son parti de ne jamais remettre en cause le bouclier fiscal. Dans une période de difficultés, d’assèchement des finances publiques où l’on demande au peuple de faire des efforts, tout cela est proprement impensable. Face à cela on a vu se mobiliser un mouvement social d’une force exceptionnelle parce qu’il est resté unitaire. Le gouvernement n’a su y répondre que par le mépris.

La gauche entre-t-elle dans une période nouvelle  ?

Harlem Désir. La gauche a une très grande responsabilité. Celle d’abord de conforter le mouvement social et d’avancer d’autres réponses aux difficultés du pays. C’est pourquoi il était important de montrer qu’une autre réforme des retraites est possible mettant à contribution les revenus du capital, reposant sur des efforts partagés, garantissant le maintien de l’âge légal à 60 ans et une prise en compte réelle de l’inégalité de l’espérance de vie et donc de la pénibilité. La gauche doit porter sur chaque sujet des solutions nouvelles. Dans ce moment de débat budgétaire, je pense à la fiscalité, par exemple, qui devrait être mise au service de l’économie réelle et non de la finance, de la redistribution et non de la rente, et du financement des besoins publics. Il nous faudra montrer que non seulement une alternance se prépare mais surtout qu’il existe des alternatives en termes de modèle économique et social, de régulation de l’économie, de rôle des travailleurs dans les entreprises, d’égalité sociale, de politique urbaine, de lutte contre les discriminations et de redressement républicain.

Sur quels sujets est-il encore nécessaire de débattre à gauche  ? 
Et avec qui  ?

Harlem Désir. Sur chacun des grands dossiers que j’ai cités il faut que nous soyons capables de proposer des orientations programmatiques qui débouchent sur un contrat de gouvernement. Le Parti socialiste assume son rôle central au sein de la gauche mais il n’a pas de prétentions hégémoniques. Il sait que seule une gauche rassemblée peut l’emporter. Il faut que nous soyons capables de construire cette maison commune que Martine Aubry a appelée de ses vœux. Notre choix stratégique repose sur le rassemblement de celles et ceux qui partagent des valeurs communes de progrès, qui souhaitent assumer les responsabilités et qui, d’ailleurs, le montrent chaque jour dans les collectivités locales que nous dirigeons ensemble.

N’existe-t-il pas une refonte des alliances à travers les accords qui se profilent avec les Verts-Europe Écologie pour les cantonales, les sénatoriales et les législatives  ?

Harlem Désir. Il faut que les scrutins à venir fassent vivre ce nouvel état d’esprit au sein de la gauche qui a prévalu au moment des régionales, c’est-à-dire le respect de ce que chacun apporte et la capacité à surmonter les différences pour travailler ensemble et se retrouver sur l’essentiel. C’est la formule gagnante de la gauche solidaire. Après l’époque Waechter, les Verts ont fait le choix clair de l’ancrage à gauche. Les accords avec les Verts-Europe Écologie découlent de cet ancrage. Mais cela ne remet pas en cause le rôle des autres forces et en particulier celui du Parti communiste.

Comment ces forces peuvent-elles surmonter leurs différences  ?

Harlem Désir. Il existe une raison de fond pour laquelle rien n’est insurmontable  : toutes les forces de la gauche se sont influencées. À beaucoup d’égards, le Parti socialiste comme le Parti communiste sont aujourd’hui des partis écologistes. Il y a eu une appropriation des questions écologiques par l’ensemble de la gauche. De l’autre côté, le mouvement écologiste aussi a évolué ; il a compris que, pour l’écologie, le choix de la régulation était nécessaire et qu’il était impossible de renvoyer dos à dos le libéralisme et la gauche. Cette alliance ne repose pas sur des arrangements artificiels entre partis mais sur des fondements profonds. La combinaison des crises, financière, sociale, écologique, qui sont les crises du capitalisme contemporain, renforce la nécessité d’inventer les réponses communes de la gauche. Cela n’empêche pas qu’il reste des sujets de difficultés. On le voit quand on discute de politique énergétique et de certains dossiers de transports ou de taxe carbone. Nous devons également hiérarchiser nos priorités. Il nous faut donc organiser ce débat sur l’articulation entre justice sociale, développement durable, croissance économique et emploi, et l’ouvrir à la société, tout en respectant le calendrier politique de chacun des partenaires de la gauche. Viendra le moment, en 2011, où nous devrons discuter du contrat de législature sur lequel nous nous engagerons auprès des Français. Il faut que nous redonnions espoir et confiance aux Français. Nous devons pour cela montrer que nous sommes capables de nous retrouver sur un programme fort et crédible de changement pour notre pays.

Entretien réalisé par Lina Sankari


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