Le défi à relever de la domination néolibérale

mardi 26 octobre 2010.
 

L’économie américaine est prise dans un bourbier, même le président de la Federal Reserve Bank, Bernanke, s’inquiète sérieusement d’un retour de la récession. En dépit de cela, à Washington, l’essentiel du débat politique dérive dangereusement vers la diminution du déficit fédéral par la réduction des dépenses sociales, loin du combat contre le chômage de masse et l’hyperspéculation de Wall Street. Or, les États et les gouvernements locaux ont déjà imposé de fortes coupes dans l’assurance maladie, l’éducation et les services sociaux. C’est une des causes de l’augmentation du chômage, qui atteint 9,5 %, mais une plus juste évaluation serait proche de 20 %. De nombreux travailleurs licenciés durant la récession ont été réembauchés en subissant d’importantes baisses de salaire.

À long terme cela contribuera à aggraver la situation de l’économie en augmentant les inégalités. La logique est simple. Quand la plus grande part des richesses produites est largement partagée, davantage de personnes peuvent dépenser, ce qui, en retour, soutient la demande, encourage l’investissement et contribue à la création d’emplois, qui pousse la demande sur le marché. À l’inverse, quand une part excessive des revenus de l’économie est concentrée au sommet, davantage d’argent va au casino de Wall Street. C’est ce qui s’est passé en 2008 et 2009.

La part des revenus allant au 1% les plus riches a plus que doublé entre 1950 et 2005, passant de 10,2 % à 21,8 %. Encore plus extraordinaire, dans la même période, la part des mille foyers les plus riches a plus que triplé, passant de 3,2 % à 10,9 %.

Bien entendu, l’économie capitaliste n’a pas pour but de produire de l’égalité. Elle est supposée trouver la force motrice pour produire toujours plus et créer de plus grandes richesses en récompensant les gagnants de la compétition et en punissant les perdants. Mais cela ne suffit pas à expliquer pourquoi le capitalisme américain crée, aujourd’hui encore, plus d’inégalité.

Et le débat sur ce sujet fait rage aux États-Unis. Un livre récent, Une démocratie inégale. L’économie d’un nouvel âge d’or, de l’éminent professeur de sciences politiques de l’université de Princeton, Larry Bartels, fournit d’importantes données sur la situation mais néglige certaines questions au profit d’une explication simple  : le Parti démocrate accorde un soutien plus important à l’égalité que le Parti républicain, or ce sont ces derniers qui ont dominé la vie politique depuis 1960.

Avec Obama à la Maison-Blanche depuis dix-huit mois et une majorité démocrate dans les deux chambres du Congrès, Bartels suggère que l’égalité est en marche. Mais on n’en est pas là avec la récession qui continue, les lois sur l’assurance maladie et la régulation financière qui ont donné lieu à des concessions importantes au grand patronat, l’absence de mesures qui renforcent les droits des travailleurs. Bartel néglige les transformations dramatiques intervenues dans les cercles politiques. L’influence de la conception sociale-démocrate keynésienne a fait place à la domination du néolibéralisme dont les intellectuels les plus influents sont Milton Friedman et ses collègues du département économique de l’université de Chicago. Et ce changement s’est produit au temps du démocrate Jimmy Carter. C’est durant sa présidence que le mouvement de dérégulation des affaires, incluant en particulier le commerce mondial et les marchés financiers, a connu une forte poussée. L’action législative la plus importante dans ce sens fut accomplie sous la présidence Clinton, quand ce qui restait des mesures de régulation du système financier prises dans les années 1930 fut supprimé. Contrairement à ce que pense Bartels, l’élection de démocrates à la présidence n’apporte pas, par elle-même, plus d’égalité. Le défi fondamental reste l’éviction de la domination néolibérale, avec un programme qui actualise le New Deal (1) en y ajoutant des propositions concernant l’environnement. Un tel programme qui prendrait l’ascendant sur Wall Street et le grand patronat pourrait viser des objectifs d’égalité.

Par Robert Pollin, professeur d’économie politique à l’Université du Massachusetts-Amherst.

Extraits (avec son accord) d’une intervention prononcée par l’auteur lors du forum 
de la fondation d’une nouvelle Amérique. Traduction de l’anglais (États-Unis) par Jacques Coubard.

(1) Le contrat social du président Roosevelt lors 
de la dépression 
des années 1930.


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