« Je serai là où le devoir commande », un entretien avec Jean-Luc Mélenchon dans Politis

dimanche 3 décembre 2006.
 

Sévère sur la victoire de Ségolène Royal et l’évolution du PS, l’ancien ministre Jean- Luc Mélenchon soutient la tentative d’union de la gauche antilibérale, à laquelle travaillent déjà ses amis de PRS au sein des collectifs. Peut-il être le candidat qui incarnera ce rassemblement en 2007 ? S’il ne dit pas « oui », le sénateur de l’Essonne n’exclut pas non plus cette hypothèse.

La désignation de Ségolène Royal est-elle un événement banal dans l’histoire de la social-démocratie française ou marque-t-elle un changement de nature ? Jean-Luc

Mélenchon : C’est un changement d’époque. Aucune formation politique ne pourra l’ignorer. Car cela découle de changements fondamentaux dans le champ politique lui-même. Le cadre de la Ve République a changé avec le quinquennat. C’est plus que jamais autour de l’élection présidentielle que la vie politique s’organise, et cette exagération est l’antichambre de toutes les dictatures. Celle de l’opinion des sondés, celle de la personnalisation de la politique et ainsi de suite. Surtout, la France est en état d’urgence politique. Le décrochage de la représentation politique est criant.

Depuis le référendum, nous sommes à un paroxysme. Chirac a réussi ce tour de force de dire au peuple français : ce que vous décidez n’a aucune espèce de conséquence, ni pour moi ni pour le monde. Il n’a pas retiré la signature de la France au bas du traité ; il est resté et a nommé un autre Premier ministre, qui a approfondi un cours libéral en contradiction absolue avec le vote du suffrage universel. Dès lors, tout le reste suit : une volonté irrépressible de renouveau. Parfois pauvre en contenu. C’est le cas de l’idée qui voudrait que le renouvellement passe par le changement de sexe à la tête de l’État. Enfin, la forme de la désignation tourne aussi une page interne parce que si, au bout du compte, l’affrontement des idées se concentre sur les personnes au moment de l’investiture, à quoi servent les congrès ? Quelle est la signification des anciens courants ? Ils sont allés en quelque sorte au bout d’eux-mêmes. Ce n’est pas l’écurie qui fait le cheval, mais le cheval qui fait l’écurie.

Est-ce qu’on peut charger cette désignation d’un contenu politique dans le sens de plus de libéralisme ?

Absolument. Qu’ils le veuillent ou non, les vainqueurs participent d’un processus politique qui renforce les bases du libéralisme : peu pour la loi, tout pour le contrat ; adieu la République une et indivisible, vive les régions ! Les corps représentatifs ne sont plus pertinents pour exprimer l’intérêt général, des jurys y suffisent ; la démocratie de délégation est un frein, mieux vaut la démocratie de l’instantané, convocable à tout moment sous forme de panels. Certes, tout moyen qui explose les corps représentatifs pour raccourcir la distance à celui qui veut parler peut donner l’apparence d’une plus grande transparence et d’une plus grande efficacité. En réalité, c’est une dépossession du pouvoir citoyen : le pouvoir de prendre une décision tous ensemble et de la voir s’appliquer à tous.

Le schisme au sein de la gauche française entre une gauche qui se veut encore antilibérale et le parti socialiste ne s’est-il pas aggravé ?

C’est le risque majeur du moment. Il existe au PS des gens dont la stratégie toujours pensée, jamais dite, consiste à organiser un partage des rôles entre une gauche de gestion et une gauche de protestation. La gauche de gestion se trouvant incapable à elle seule d’atteindre la majorité, il lui faudra alors trouver des alliés disponibles ailleurs. Pour cela, il faut en face un autre pôle de gauche qui accepte cette coupure et joue le rôle de la protestation impuissante. Il faut absolument empêcher cela. C’est la raison pour laquelle je me suis battu pour l’union des gauches sans exclusive. J’ai compris chemin faisant que l’union serait déséquilibrée avec un PS tout puissant et une poussière de partis autour. Il faut donc une candidature commune de l’autre gauche.

Cette évolution laisse-t-elle encore une place au PS à des gens qui, comme vous, considèrent que le « non » est un acte fondateur ?

Le PS a tendance à régler la contradiction entre le « non » et le « oui » de manière nombriliste. Il s’agirait de la dépasser entre gens de bonne compagnie comme si c’était une querelle de bornage de territoire. C’est risible. Il y a une décision du peuple français. Comment prendre en compte son vote et s’appuyer dessus pour modifier la donne dans toute l’Europe ? Si on ne le fait pas, la course de vitesse avec l’extrême droite sera perdue. Dans tous les pays d’Europe, l’extrême droite est en progression. Ce n’est pas un débat abstrait. Une catastrophe politique concrète est en marche. Est-ce que des gens comme moi ont leur place au PS ? Apparemment, oui. Tout le monde peut acheter une carte au PS. Soixante-dix mille personnes ont adhéré au PS et sont venues voter. Personne ne n’est soucié de les former ni de leur donner un vocabulaire de référence commun. On a vérifié leur identité, pas leurs convictions. Ce parti est devenu tellement froid ! Depuis trois ans, je n’ai jamais eu de rencontre avec le Premier secrétaire autrement qu’à ma demande, même aux pires moments de conflit. Des entretiens toujours courtois, amicaux, souvent plaisants, mais n’ayant aucune espèce de conséquence politique particulière. Tout est rapport de force. Voyez Ségolène Royal après sa victoire. Dans le discours officiel : « Aidez-moi, j’ai besoin de vous. » Aux médias, le message à transmettre aux perdants, qui ont attendu cinq jours sa réponse à leur coup de fil, cette phrase incroyable : « Avec ce résultat, il n’y a pas besoin de réconciliation. Il n’y a besoin de négocier avec personne. » C’est en effet une autre façon de faire de la politique.

Vous avez été le seul au PS à garder le contact avec cette « autre gauche ». Comment en percevez-vous l’évolution ? Cette autre gauche s’est extraordinairement homogénéisée, sans que pour autant les groupes qui la composent se soient dilués. Elle a des référents communs, avec des mots qui sont souvent les mêmes concernant la critique du libéralisme ou du nouvel âge du capitalisme, avec aussi quelques fondamentaux de ce que pourrait être une politique alternative. Elle s’est également homogénéisée sur l’idée que c’est dans une synthèse qu’elle pourrait jouer la grande partie. Jusqu’au référendum, elle doutait d’elle-même et, au fond, s’accommodait d’un rôle de témoignage d’autant plus sympathiquement accueilli qu’il était impuissant. Avec le référendum du 29 mai, cette autre gauche a goûté à la victoire et découvert qu’elle était aussi capable de l’emporter. Il lui reste à accomplir une rupture culturelle : accepter l’idée qu’une synthèse entre ses composantes n’est pas déshonorante, qu’elle peut accéder au pouvoir et doit s’y préparer.

Y a-t-il un avenir possible au sein de cette « autre gauche » pour des socialistes comme vous ?

J’y ai toujours été bien accueilli, parce que mon raisonnement est d’une pièce. Et je demande que chacune de ses étapes soit examinée et discutée au lieu qu’il soit raillé sottement, comme le font certains dans les deux gauches. Un seul parti peut-il gagner seul contre la droite ? Non. Dès lors, comment faire gagner la gauche ? Jusqu’à présent, et sauf avis contraire, la clé, c’est le rassemblement. De toute la gauche. Donc le PS et l’autre gauche. Mais il ne s’agit pas seulement d’additionner des patrimoines électoraux, mais de créer une dynamique. Pour cela, il faut que l’autre gauche parvienne à une candidature unique. Raison pour laquelle il n’y a pas de contradiction à dire qu’on veut l’union de toute la gauche sans exclusive et que l’on est partisan de l’union de toute l’autre gauche autour d’une candidature commune. C’est ce que j’appelle l’union dans l’union. Allons plus loin : l’idéal, c’est un gouvernement de toute la gauche. Mais, au minimum, c’est un accord général de désistement. Donc une forme de compétition électorale qui le rende possible. Dans les deux sens, bien sûr. Ensuite, un groupe parlementaire a beaucoup de cordes à son arc pour agir. Le choix n’est pas aussi binaire que le croit la LCR. Il ne se limite pas au soutien sans condition ou à l’opposition sans discussion. Bref : voici ma ligne d’action. Au PS, je mène la bataille contre ceux qui ne veulent pas d’une union sans exclusive à gauche. Et pour un programme de gauche comme l’a présenté Laurent Fabius. Dans les collectifs, mes amis qui s’y trouvent essaient d’être des facilitateurs pour la candidature commune sans a priori. Et leur culture les conduit à travailler pour que le programme reste un programme de gouvernement, un programme qu’on soit capable d’appliquer s’il est majoritaire. En fait, nous ne sommes candidats à rien d’autre qu’à être utiles.

Lire la suite dans Politis n° 928

Denis Sieffert et Michel Soudais


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message