Pourquoi Mélenchon les rend fous (par Michel Soudais, Politis)

lundi 29 novembre 2010.
 

Daniel Cohn-Bendit, Manuel Valls et Jean-Paul Huchon.Pourquoi tant de haine ? Jeudi 11 novembre, Daniel Cohn-Bendit, invité de Jean-Michel Aphatie sur RTL, charge Jean-Luc Mélenchon. Le messie d’Europe écologie accuse le président du Parti de gauche de « labourer sur les terres du FN ». Pas moins !

Pour justifier cette attaque, l’ancien étudiant en sociologie de Nanterre assure avoir lu le dernier livre de Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous (Flammarion), et y avoir découvert que le tribun du Front de gauche, parlait de « la grande France », voulait « intégrer une partie de la Belgique, la Wallonie et Bruxelles » et… horresco referens « ce qu’il dit sur les Boches, c’est insoutenable, intolérable ». A moins que le pire du pire soit encore ce qu’il dit « sur l’Europe ». « C’est indéfendable », vitupère celui qui, il n’y a pas si longtemps (moins de dix ans), rêvait ouvertement de succéder à Romano Prodi à la tête de la Commission européenne [1].

Corrigeons de suite, Jean-Luc Mélenchon n’a jamais utilisé le mot « boche » pour parler des allemands dans son dernier essai. Daniel Cohn-Bendit, s’il l’a eu entre les mains, ne l’a pas lu. Mais il a lu (vite) la tribune publiée par son frère Gabriel, jadis défenseur de la liberté d’expression de Robert Faurisson [2], la veille, dans Libération qui, le premier, affirmait, que pour Mélenchon les Allemands restaient des « boches ».

Dans la cinquième partie de son livre, intitulée « Faire une autre paix », Jean-Luc Mélenchon plaide au contraire pour des « réalisations concrètes » avec les Allemands. « Construire des relations étroites avec les Allemands, c’est un devoir permanent de notre pays. Et chacun doit s’y atteler à la place qu’il occupe », écrit-il (p.118), non sans rappeler qu’à la place qui est la sienne il a lancé le Parti de gauche, main dans la main, avec Oskar Lafontaine, alors président de Die Linke.

Deux précédents

Avant Daniel Cohn-Bendit, deux responsables socialistes avaient sonné la charge contre Jean-Luc Mélenchon, l’accusant de populisme. « Son langage et son comportement sont dangereux pour la démocratie », a déclaré Manuel Valls dans Le Parisien (7 novembre), en sous-entendant que son comportement ferait le jeu du Front national. Pour Jean-Paul Huchon, à en croire L’Express, Jean-Luc Mélenchon serait même pire que Le Pen : « Son langage est proche de celui de l’extrême droite, mais c’est plus grave que Le Pen ! Il incarne le populisme d’extrême gauche. [3] »

Ces déclarations aussi outrancières qu’insultantes ont suscité les protestations du Parti de gauche qui a écrit à Martine Aubry et interpellé solennellement Cécile Duflot. Sans réponse jusqu’ici, hormis une déclaration de Jean-Vincent Placé désavouant implicitement Daniel Cohn-Bendit.

L’offensive des partisans de l’alliance avec le centre

Si la presse a rendu compte de ses échanges, elle reste muette sur les raisons de ces attaques. Et quand elle s’y essaie, comme Jean-Michel Aphatie sur son blog, c’est pour se féliciter que Daniel Cohn-Bendit « exprime sans détours » l’aversion que provoquerait à gauche « le style, le parti pris de la violence dans le discours, la radicalité verbale, dont a choisi d’user et d’abuser Jean-Luc Mélenchon ». Bel exemple de dépolitisation de l’analyse.

Une conviction commune anime Daniel Cohn-Bendit, Manuel Valls et Jean-Paul Huchon : tous trois sont favorables à une alliance avec le centre. Le fondateur et inspirateur d’Europe-écologie l’a dit et répété avant et après avoir participé l’an denier à la tentative de rassemblement du PS, du MoDem et des Verts initiée par le socialiste Vincent Peillon, à Marseille, fin août 2008. Et ne craignait pas d’afficher devant les caméras ses bonnes relations avec Marielle de Sarnez, la vice-présidente du parti de François Bayrou. Marielle de Sarnez et Daniel Cohn-Bendit, le 22 août 2009 à Marseille. Manuel Valls, qui ne cesse de répéter que « le mot "socialisme" est dépassé » et que « le PS devra, un jour, changer de nom pour être en cohérence avec notre temps », était lui aussi présent à Marseille les 21 et 22 août 2008. Nous l’avions retrouvé, le 28 novembre 2009, à une table-ronde organisée des Gracques, managée par Denis Olivennes, le directeur du Nouvel Observateur, devisant aimablement des conditions d’une alliance du PS avec le MoDem avec Marielle de Sarnez. Marielle de Sarnez et Manuel Valls, le 28 novembre 2009, invités des Gracques. Enfin, nous avons déjà montré ici même combien Jean-Paul Huchon, président (PS) de la région Ile-de-France, rêvait d’une alliance « entre les socialistes modérés et les chrétiens-démocrates » : « Sur l’acceptation du capitalisme, sa correction sociale, sur la solidarité, l’État minimum social, sur les libertés universitaires, sur l’acceptation d’une école qui ne serait pas à deux vitesses, sur la recherche, sur la décentralisation, les convergences sont évidentes, écrivait-il en 2008 [4]. J’ai la conviction que nous n’avons jamais été aussi proches de cette alliance entre la gauche et le centre. » Récemment, Jean-Paul Huchon embauchait à la région comme chargé de mission David-Xavier Weiss, ancien chef de cabinet de Roger Karoutchi lorsque celui-ci était secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Alors même que ce dernier continuait d’assister au bureau politique de son parti et « est toujours secrétaire national de l’UMP en charge des transports », un dossier sur lequel les UMPistes contestent la politique de la Région.

Les partisans d’un centre-gauche fade et sans saveur n’acceptent pas la nouvelle notoriété d’un Jean-Luc Mélenchon qui a toujours refusé leur projet d’alliance et ne veut plus se contenter de leurs demi-mesures [5]. D’où ces tentatives de diabolisation, que l’on observe aussi, quoique sous une forme très atténuée, au sein du PS, avec le réveil de la droite socialiste, hostile aux propositions contenues dans le texte sur « l’égalité réelle » présenté par Benoît Hamon. Comme si, après l’adoption de la loi sur les retraites et la fin annoncée du mouvement de contestation de cette réforme sarkozyste, les sociaux-libéraux, contraints ces derniers mois à rentrer la tête dans les épaules, avaient décidé que l’heure de la contre-offensive avait sonné.

Notes

[1] Ce qui est indéfendable, c’est plutôt ce que votent Daniel Cohn-Bendit et ses amis au Parlement européen, mais ce sera l’objet d’un autre billet sur ce blog, avant la fin du week-end.

[2] Intolérable intolérance, Collectif (Jean-Gabriel Cohn-Bendit, Eric Delcroix, Claude Karnoouh, Vincent Monteil, Jean-Louis Tristani), Le Puits et le Pendule (collection dirigée par Pierre Guillaume), Editions de la Différence, Paris, 1981.

[3] Ces propos, reproduits dans l’édition du 27 octobre et sur le site internet de l’hebdomadaire, n’ont pas été démentis par le président de la région Ile-deFrance.

[4] Jean-Paul Huchon, De battre, ma gauche s’est arrêtée. Conversations avec Denis Jeambar, Seuil, 190 p.

[5] « Je ne propose pas une alternance "à la papa". (...) Pour moi, le temps des demi-mesures socialistes est passé », déclarait-il encore dans Le Télégramme, le 11 novembre.


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