Frédéric Desmons

vendredi 17 mai 2013.
 

En cette année de commémoration de la loi de 1905, il nous a semblé nécessaire de rendre hommage au combat de Frédéric Desmons pour la séparation des Eglises et de l’Etat

Enfin en tant que Libres Penseurs, il nous faut rappeler qu’il fut l’un des nôtres

Frédéric Desmons est né à Brignon le 14 octobre 1832. Pasteur, jusqu’en 1881 (il quitte son pastorat pour les élections législatives), il sera tout d’abord conseiller général en 1877, puis député en 1881 et enfin sénateur de 1893 jusqu’à sa mort en 1910. Entré au Grand orient de France en 1863, il y aura ses premières responsabilités nationales dés 1873 et les exercera là aussi jusqu’à sa mort. Il sera président à 5 reprises, soit 10 ans au total.

Comme pasteur, il est de ces libéraux anti-dogmatiques, position fort inconfortable qui va en pousser plus d’un hors du pastorat. L’anti-dogmatisme et l’amour de la pensée libre vont se développer chez lui au travers des querelles qui se font jour au sein de l’Eglise protestante et de l’attitude autoritaire de la majorité de l’époque.

Son positionnement pour assurer la liberté de conscience face à l’emprise des dogmes et des Eglises, on le retrouve dans un grand nombre de discours, lorsqu’il intervient sur le terrain du combat laïque.

Ainsi celui qu’il prononce comme rapporteur de la commission qui a examiné le projet de modification de la constitution du Grand Orient, établissant comme principes absolus au sein de la Franc-maçonnerie, la liberté de conscience et la solidarité humaine : « …Laissons aux églises, laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes. Laissons aux églises autoritaires le soin de formuler leur syllabus. Mais que la Maçonnerie reste une institution ouverte à tous les progrès et toutes les idées morales et élevées, et toutes les aspirations larges et libérales. Qu’elle ne descende jamais dans l’arène brûlante des discours théologiques qui n’ont amené, croyez-en celui qui parle, que des troubles et des persécutions. Qu’elle se garde de vouloir être une église, un concile, un synode, car toutes les églises, tous les conciles, tous les synodes ont été violents et persécuteurs et cela pour avoir toujours pris pour base le dogme qui, de sa nature est essentiellement inquisiteur et intolérant…. »

Dés le début de sa vie politique au sein du conseil général (1877), il est de tous les combats pour l’instruction publique, pour l’école publique laïque.

Il réclame la construction de maisons d’écoles, le versement d’indemnités aux instituteurs laïques en déplacement (qui sont remises en cause aujourd’hui), l’obligation de l’école et son complément indispensable, la gratuité. Il réclame pour chaque commune du Gard une école convenable afin de réaliser le désir exprimé par le ministre des affaires étrangères de l’époque « ..qu’un citoyen illettré, devienne un phénomène introuvable dans la République.. ». Il se bat pour l’ouverture d’écoles normales de filles afin de faire cesser le scandale d’enseignantes congréganistes très nombreuses, et le plus souvent sans diplômes.

UNE SEULE ECOLE POUR TOUS LES ENFANTS D’UNE MEME COMMUNE QUEL QUE SOIT LEUR CULTE

Enfin il demande « …une seule école pour tous les enfants d’une même commune quel que soit leur culte … » et déclare : « la laïcité ne doit pas être partielle, elle doit être entière. Pour la sécurité et le repos du pays, nous avons besoin que l’instruction soit nationale, que l’Etat puisse exercer son droit de contrôle et de surveillance dans tous les établissements d’éducation (…)Nous ne voulons pas que la jeunesse soit divisée en deux camps hostiles, par suite de l’éducation différente qu’elle aura reçue…Nous ne voulons pas le rôle de dupes et, sous prétexte de respecter la liberté d’autrui, nous exposer à voir supprimer la nôtre… ».(je vous laisse méditer sur cette dernière phrase qui me semble bien d’actualité.).

Ces propositions, rejetées en 1878, seront adoptées l’année suivante. A l’élection partielle de juin 1881, Desmons se présente comme député dans la circonscription d’Alès. Il démissionne de sa charge de pasteur afin de mette fin aux objections mises en avant, pour sa candidature, dans son camp et les attaques du camp adverse. Le programme qu’il présente est parmi les plus radicaux de l’époque.

En voici les points principaux : « Révision de la constitution pour plus de démocratie ; Suppression du Sénat ; Chambre unique ; Administration de la République confiée entièrement à des fonctionnaires républicains ; Réformes administratives pour une plus grande indépendance au département et à la commune ; Liberté de la presse, de réunion, d’association, liberté absolue de conscience ; Instruction primaire gratuite, obligatoire et laïque ; Instruction secondaire et supérieure gratuitement donnée à tous les enfants reconnus capables après examens et concours publics ; Séparation des Eglises et de l’Etat ; Suppression de l’inamovibilité des magistrats. Répartition équitable de l’impôt entre les citoyens ; Obligation pour le citoyen valide, du service militaire réduit à trois ans ; Suppression du volontariat d’un an ; Abolition de la peine de mort. »

Il est réélu aux élections d’octobre sur un programme identique, enrichi de la question sociale : Election des juges ; suppression des sous-préfectures. Election et nomination des maires par les conseils municipaux ; Nomination des instituteurs par les recteurs, Augmentation du traitement du personnel enseignant ; Défense aux députés et aux sénateurs de faire partie du conseil d’administration d’une société financière ; Amélioration du sort de la classe ouvrière, création d’une caisse nationale de retraite pour la vieillesse et les invalides du travail »

Deux mois après son élection, à l’occasion de la grève des mineurs de la Grand Combe, sur lesquels s’est abattue la répression, il fait sa première intervention à la chambre : « … Les patrons (…), qui étaient disposés à accueillir certaines réclamations de la part de leurs ouvriers, lorsqu’ils ont vu la troupe se diriger du coté de la grève, ont abandonné les concessions qu’ils étaient disposés à faire ; et c’est ainsi que, j’ai raison de le dire, la présence des troupes a été oppressive (…) les ouvriers sont rentrés, ils ont du passer par la porte de l’Eglise et du Temple, afin de faire amende honorable aux ministres des cultes qu’ils avaient prétendait-on offensés en refusant d’écouter leurs conseils et ce n’est qu’après avoir obtenu leur grâce qu’ils ont été acceptés par les patrons (…).les ouvriers ont été livrés à la merci des directeurs et souvent ont perdus leurs droit à la retraite (… )les ouvriers qui ont été renvoyés étaient les plus républicains (…) ce n’est pas parce qu’ils ont fait la grève, mais c’est parce qu’ils fréquentaient les cercles (…) où ils s’inspiraient des idées malsaines, subversives entendez par ces mots les idées opposées à celles que Messieurs les Directeurs considéraient comme les seules idées saines, morales et vraies… »

Et il ajoute : « …Messieurs, le premier Président de la République a pu dire : « la république sera conservatrice et sociale ou elle périra, je déclare moi que la république sera démocratique et sociale ou elle périra. »

En 1884, année du vote des lois sur l’organisation de l’enseignement, il intervient à plusieurs reprises, dans le sens du programme qu’il défendait déjà comme conseiller général du Gard.

A partir de 1891, en lien avec les grèves de Carmaux et la fusillade de Fourmies, il évolue rapidement et sera l’un des 34 premiers à adhérer au groupe républicain Radical Socialiste que cherche à constituer Pelletan.

Durant son mandat au Sénat qui débute en 1893, il intervient peu. Ses positions, il les exprime dans de nombreuses réunions et conférences auxquelles il participe comme représentant du Grand Orient de France.

LE CLERICALISME EST ET SERA TOUJOURS L’ENNEMI

Ainsi en 1896, lors du banquet pour le 104ème anniversaire de la République : « …on vient de vous dire, que nous avons aujourd’hui, comme par le passé, à redouter les mêmes adversaires, et on vous rappelait une parole que quelques uns regardent aujourd’hui comme une formule complètement usée et démodée : « le cléricalisme, voilà l’ennemi ». Citoyens et francs maçons, ne craignons pas de le dire et de le répéter bien haut, le cléricalisme est et sera toujours l’ennemi. » Il est de ceux qui souhaitent voir rapidement se réaliser la séparation entre les Eglises et l’Etat qui tarde à venir, certains parlementaires préférant un concordat pour, disent-ils, contrôler l’Eglise.

Le 20 janvier 1901 à l’occasion d’une conférence de la Libre Pensée au théâtre de Château Thierry, faisant allusion à l’affaire Dreyfus et à l’alliance du sabre et du goupillon qui a mis au grand jour la nécessité de laïciser l’armée, donc de travailler d’urgence à la séparation, il déclare : « …Aujourd’hui nous jugeons l’arbre à ses fruits ; non seulement la bourgeoisie est démocratiquement morte, mais nos grandes écoles : St Cyr, polytechnique, nos grands organismes : l’armée, la magistrature, sont contaminés et au parlement, même, nos jeunes libéraux ont de trop explicables défaillances… . Parlant du danger que représentent les congrégations il poursuit : « …Cette armée du passé et de l’ignorance enrégimente, à cette heure, quarante mille prêtres et deux cents mille congréganistes, courbés sous la cohésion de l’obéissance passive, armés de milliards, mène la lutte contre la liberté moderne. Et quand nous invoquons le concordat, qui n’a pas parlé de la congrégation, le pape se lève pour solidariser les moines avec le clergé concordataire et porter la main dans nos affaires intérieures…Arrachons nos femmes à la griffe cléricale, sauvegardons la conscience de nos enfants, écrasons la Congrégation dominatrice et empoisonneuse, et, disons fièrement au pape ; notre France est à nous, français, elle n’a pas à recevoir d’ordre d’un étranger, fut-il habillé de blanc et coiffé d’une tiare. »

Cette même année il est cadre aux côtés de Ferdinand Buisson du tout nouveau parti radical, qui assurera le soutien de la politique menée par le gouvernement. En 1902 il est élu vice président du sénat et le restera jusqu’en 1905.

Il meurt en 1910 alors qu’amis, Francs maçons et hommes politiques s’apprêtaient à lui offrir une grande fête pour célébrer son triple cinquantenaire familial, politique et maçonnique.

Ses obsèques ont lieu à la Gare de Lyon devant une affluence considérable d’amis, de personnalités parmi lesquels, le Président du Sénat et de nombreux sénateurs, le Conseil de l’Ordre du Grand Orient, une importante délégation de la Grande Loge, plusieurs ministres, des magistrats, des députés, des officiers…

L’enterrement à St Geniès de Malgoires le 9 janvier, a lieu civilement selon sa volonté. Là, une foule estimée à 30 000 personnes arrive par trains spéciaux. 8 orateurs se succèdent, dont Gaston Doumergue. Le char funèbre est recouvert des draps de l’administration préfectorale, du Conseil général, des Loges du Gard, de Marseille, de groupes divers de la Libre Pensée, de secours mutuels. Les personnalités présentent sont si nombreuses qu’elles figurent sur 50 lignes dans les journaux de l’époque.

Les discours décrivent l’homme pour qui « la République, était la chose des humbles et des petits », celui dont le nom partout dans le monde « est respecté, honoré comme celui du plus grand, du meilleur des Francs-Maçons accueillit avec déférence comme vétéran de la cause de l’Humanité, que ce soit en Belgique, en Suisse, en Italie, en Espagne, en Hollande… »

Au lendemain des funérailles, la ville de Brignon votera le principe de la construction d’un monument à sa mémoire, qui se trouve à l’entrée de la commune. On peut y lire sur une face : « A la Philanthropie », et sur l’autre « la République sera démocratique et Sociale, ou elle périra. » Deux rues dans le Département portent son nom, à St Geniès de Malgoires et à Brignon. Ne cherchez pas à Nîmes, vous n’y trouverez rien, ni plaque, ni monument, alors que d’autres hommes, dont on peut toujours chercher ce qu’ils ont bien pu faire pour la République ou la laïcité (tels Jean XXIII ) ont le droit à cet honneur.

Par contre, si vous allez à New York vous y trouverez une avenue, en souvenir de sa venue, à l’occasion de l’inauguration de la statue de la Liberté en 1895.

J’achève ma bien modeste contribution, destinée à faire connaître ce personnage oublié du combat pour la République, la Laïcité et la Pensée Libre, par une déclaration qu’il fit en 1898 : « N’est ce point elle (la maçonnerie) qui m’a appris à aimer la vérité, à la rechercher et à la découvrir, non dans les dogmes d’une église quelconque, non dans les décrets d’un Pontife, d’un Concile ou d’un Synode, mais bien dans l’intelligence humaine, libre de toute attache, indépendante de toute autorité. N’est-ce point elle qui a été pour moi l’école de la Justice, de la Tolérance, et de la Liberté… ».

Claudette Coudeville

Nota : les ouvrages ou travaux relatifs à Frédéric Desmons sont peu nombreux, et, les archives éparses (Grand orient de France, Archives départementales du Gard. Le livre de Daniel Ligou, « Frédéric Desmons et la Franc Maçonnerie sous la 3ème République » est un document important, mais n’est hélas plus en vente. Il existe un mémoire de maîtrise réalisé par Frédéric Bompard qui se trouve à la Bibliothèque Universitaire d’Avignon.


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