Le patronat attaque les arrêts de travail

mardi 7 décembre 2010.
 

Les salaires, les primes et les « charges sociales » sont, pour l’essentiel, la partie du capital tournant que les patrons et leurs services se sont toujours efforcés de comprimer au maximum. Entre autres « charges » que le patronat voudrait voir disparaître, on remarque les indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail pour maladie, accident du travail ou de trajet. Il ne faut pas confondre ces indemnités avec les reversements de la Caisse d’assurance maladie (CAM). Le patronat étant dans l’obligation objective d’entretenir la force de travail de ses salariés, il cherche par tous les moyens à réduire les arrêts de travail qui le contraignent à verser des indemnités au travailleur malade ou accidenté. Un décret du 24 août 2010 publié au JO du 26 août vient compléter le dispositif de contrôle des arrêts de travail déjà existants. Dans la novlangue bureaucratique et déshumanisée du patronat « Le renforcement du contrôle des arrêts de travail s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la fraude et vise à réduire le volume d’indemnités journalières » (L’Officiel des Transporteurs. N° 2572 du 12 novembre 2010).

La médecine libérale suspectée par le patronat

Quand un salarié est malade ou a été victime d’un accident professionnel, c’est le plus souvent un médecin libéral qui prescrit un arrêt de travail. L’indépendance de ces médecins et les liens nécessairement cordiaux qu’ils entretiennent avec leurs patients a fait soupçonner les travailleurs de « frauder », et ainsi d’escroquer les CAM et les employeurs qui versent des indemnités au salarié malade ou accidenté professionnel. Le mythe des prescriptions médicales frauduleuses est une vieille rengaine des confédérations patronales, de certains directeurs de CAM … et de l’extrême droite en direction des immigrés.

En 2002-2003, la Sécurité Sociale a étudié sérieusement les cas de fraudes. Elle a reconnu, avec des critères rigoureux et moins de compassion que les médecins qui prennent en compte le stress au travail, en cas d’accident, d’agression et de harcèlement, que les arrêts non justifiés ne dépassaient pas 6 % ! La légende du « trou de la sécu » alimenté par les prescriptions de complaisance s’effondrait. Dès lors le patronat dû reconsidérer sa stratégie. Des « abus » des salariés qui se font porter raides, on est passé au « laxisme » des médecins de ville qui veulent flatter leur clientèle pour ne pas la perdre. Plutôt que de traquer des « abus » marginaux, généralement de faible durée et ne nécessitant pas de soins onéreux, le patronat estime maintenant plus intéressant de réduire l’ensemble des arrêts de travail. Il existe déjà dans de nombreuses entreprises des systèmes de primes qui sanctionnent « l’absentéisme » et les arrêts de travail, qui menacent les travailleurs précaires et les incitent à continuer le travail même quand ils sont tremblants de fièvre.

Après la découverte que les fraudes avérées étaient marginales et n’avaient qu’une faible incidence sur le montant des contributions patronales aux indemnités journalières des salariés placés en arrêt de travail, on vit apparaître des médecins généralistes payés jusque 80 euros par visite, qui contrôlaient les salariés malades ou accidentés en se rendant chez eux sans avertissement. Ces contrôles effectués par des agents rémunérés par le patronat avaient un statut légal incertain et les patrons restaient impuissants face à un salarié en arrêt de travail et déterminé à s’en tenir à la prescription initiale de son médecin traitant. Des salariés refusèrent d’ouvrir leur porte. Quelques « contrôleurs » qui s’étaient introduits grossièrement ou par surprise dans une demeure prirent des gnons. Des généralistes dénoncèrent ce flicage médical qui s’exerçait sur les salariés les plus vulnérables, culpabilisés par un contrôle inattendu pour suspicion d’arrêt de complaisance, et sans relais syndical ou associatif pour connaître leurs droits. Pour le patronat, il convenait de légiférer pour réduire les versements des prestations sous couvert « d’abus » ou de volonté « d’alléger le déficit de l’assurance-maladie (sic) ». Mais la vraie raison est que le patronat veut interdire les refus des contrôles, si possible les sanctionner, légaliser complètement les contrôles patronaux et systématiser les contre-visites par un médecin choisi par l’entreprise dès lors que celle-ci verse au salarié des indemnisations complémentaires. Il voudrait aussi rendre les avis des contrôleurs prioritaires devant les prescriptions des médecins traitants.

Vers l’obligation de contrôle patronal des arrêts de travail ?

Le décret du 24 août 2010 généralise à tout le territoire une mesure introduite à titre expérimental en 2008 dans une dizaine de CAM. Celles-ci suspendaient le versement des prestations en cas d’absence de justification de l’arrêt constaté par le médecin effectuant une contre-visite et rapporté au service du contrôle médical de la CAM. Autrement dit, la décision du médecin traitant cessait d’être prise en compte. Cette situation jetait aussi un doute sur la validité de ses prescriptions médicales et le professionnalisme de ses ordonnances.

Depuis le décret du 24 août, l’employeur peut diligenter officiellement une contre-visite à domicile si le salarié en arrêt de travail « bénéficie » d’une indemnisation complémentaire versée par son employeur. Autrement dit, l’indemnisation versée par l’employeur a priorité sur les versements de la CAM. La contre visite patronale peut engendrer des conséquences sur l’indemnisation versée par la CAM puisque le médecin du patron doit transmettre son rapport au médecin-conseil de la caisse au plus tard 48 heures suivant le déroulement de la contre-visite, avec pour conséquences l’arrêt des versements de la CAM.

Ainsi se met en place un mécanisme s’opposant au versement de toutes les indemnités en niant le rôle du médecin traitant qui n’a plus d’autorité dans le processus de contrôle, alors qu’il est le seul compétent pour suivre un patient qu’il connaît et dont il possède souvent le dossier médical ! D’après le décret du 24 août, un contrôleur patronal peut contester la totalité des prescriptions d’arrêts de travail des médecins traitants, entraînant automatiquement l’arrêt des versements de toutes les indemnités, sans que cela pose aucun problème judiciaire à priori, puisque le salarié ne peut « contester » que devant la CAM … qui suit les recommandations du contrôleur patronal ! L’histoire de la duplicité des scribes des gouvernements Sarkozy-Fillon reste à écrire.

Vers la transformation des CAM en organismes de contrôle patronal ?

Le salarié en arrêt victime d’un contrôle patronal négatif (dans les conditions psychologique qu’on imagine) dispose de 10 jours pour contester sa nouvelle situation après suspension de ses indemnités journalières. Sa maladie ou son accident, sa culture (certains travailleurs ne savent pas lire) ou la crainte de perdre son travail en « contestant », comme il en a expressément le droit, peut l’empêcher d’effectuer une contestation en règle. Il perd alors ses indemnités quel que soit son état de santé. Dans les secteurs professionnels comme le BTP, où les ouvriers sont souvent peu diplômés, immigrés, précaires et surexploités, le décret du 24 août est une catastrophe.

La généralisation du contrôle des arrêts de travail ouvre une perspective pour des médecins libéraux en mal de clientèle. Ceux-ci pourront former une cohorte de contrôleurs entièrement rémunérés par le patronat, avec ses critères et ses exigences de productivité, et loin du serment d’Hippocrate. « Je pense à une caissière qui s’était fait braquer dans son supermarché, déclare le Dr Didier Ménard, généraliste en région parisienne. Elle avait subi, à l’évidence, un choc psychologique. Comment pouvait-elle décrire son état, de façon objective, à un médecin chargé de l’examiner sans aucun autre élément ? Il l’a remis au travail. Je l’ai su trop tard pour intervenir [...] Imaginez l’ambiance dans laquelle un salarié reprend son travail après un contrôle. Ca se sait très vite, il passe pour un branleur, un fraudeur. Alors il se tient à carreau. Il se sent coupable d’être malade. Il se dit que la prochaine fois, il sera bon pour le licenciement et il évite de se faire arrêter à nouveau, quitte à mettre sa santé en danger. Quand l’entreprise voit l’absentéisme augmenter, elle devrait se demander quel problème de management se pose. Mais il est plus facile de considérer ses salariés comme de faux malades ». (L’Express du 18.10.2010).

Ainsi avance le rêve patronal de revenir au temps ou les travailleurs avaient pour seule contrepartie de leur travail un salaire suffisant pour rester en vie et continuer à travailler, statut social qu’un certain Karl Marx appelait « l’esclavage salarié ».

Yves Dachy


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message