Où vont les syndicats ? Nouvelles structures syndicales pour nouveaux salariés (Monde diplomatique)

dimanche 5 décembre 2010.
 

« Ce n’est pas aux salariés de s’adapter à la CGT, mais à la CGT de s’adapter aux salariés ! » Mohammed Oussedik, secrétaire confédéral depuis le congrès de Nantes, est convaincu que la Confédération générale du travail doit faire évoluer ses structures pour mieux représenter le salariat d’aujourd’hui (lire « Où vont les syndicats ? », Le Monde diplomatique, décembre 2010). « On est présent dans toutes les entreprises de plus de trois cents salariés, mais quasiment absent dans celles qui en comptent moins de cinquante, alors qu’elles représentent plus de la moitié du secteur », regrette le secrétaire général de la Fédération Verre-Céramique (1).

Pour y remédier, la CGT a mis en place de nouvelles structures qui dépassent le périmètre des entreprises. « On a créé des syndicats professionnels de territoires, comme dans la région de Cognac, qui regroupe environ trente-cinq adhérents dans le secteur des flacons », précise Oussedik. Ces regroupements permettent de mieux faire appliquer les conventions collectives. Il cite également le cas d’un « syndicat de site », rassemblant une petite trentaine de salariés, à Draguignan (Var), dans le domaine des carreaux. Juridiquement, celui-ci est basé à l’Union locale (UL) CGT, les syndicats de site n’ayant pas d’existence juridique reconnue.

C’est un vrai problème. « Nous manquons de moyens, nous n’avons pas de local dans le centre commercial », déplore Marie-Hélène Thomet, responsable du syndicat de site Part-Dieu à Lyon (Rhône), créé en février 2008. Dans ce vaste centre commercial, la CGT disposait d’implantations dans ses plus grosses entreprises, comme la Fnac, Carrefour et les Galeries Lafayette. Le syndicat de site lui permet d’intervenir dans de plus petites enseignes : « En dix-huit mois d’existence, nous avons un peu plus que doublé le nombre de nos adhérents, pour arriver à une quarantaine. » Les salariés du centre subissent des conditions d’exploitation très proches : « Les écarts de revenus sont faibles, et tous les salariés du centre souffrent de la même pénibilité avec la chaleur, le bruit ou le travail le dimanche. » La difficulté est toutefois de trouver un interlocuteur : « On voudrait créer un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais le directeur du Groupement d’intérêt économique, qui rassemble les entreprises du site, refuse de prendre contact avec nous ! »

Les syndicalistes sont de plus en plus confrontés au problème de l’engagement des salariés appartenant à des entreprises sous-traitantes. François Debrand témoigne de l’expérience du syndicat des cheminots de Lyon-Guillotière, qui s’est ouvert aux salariés extérieurs à la SNCF, comme ceux du nettoyage. « Leurs patrons refusaient de me parler. On a rencontré de grandes difficultés juridiques, mais c’est une de mes meilleures expériences syndicales », confie-t-il. « Avec le développement de la sous-traitance, on ne peut plus prétendre défendre les intérêts de salariés en se limitant à l’entreprise. C’est en élargissant la lutte qu’on protège finalement le mieux les salariés des entreprises donneuses d’ordre », estime Oussedik.

L’Isère est un autre lieu d’expérimentation privilégié. « On essaie d’établir de nouvelles solidarités et pas seulement des solidarités de métier, rapporte Patrick Varela, secrétaire général de l’Union départementale jusqu’en juin 2010. On avait dix-neuf UL, on les a regroupées en six territoires à partir de quelques objectifs clef. » Un pôle Nouvelles technologies autour du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de Schneider a ainsi été créé. Il s’occupe aussi bien des lieux de restauration collective que du statut des salariés sous-traitants. Dans le nord du département, c’est sur une importante plate-forme logistique que la mutualisation des moyens syndicaux s’est révélée payante. « Dans ce qui était un désert syndical, on est passé de zéro à deux cents adhérents en dix ans », se félicite M.Varela.

Paul Fourier, secrétaire général de la CGT Transports, est également conscient de la nécessité de faire bouger les structures. Une Union interfédérale transports coordonne déjà plusieurs fédérations professionnelles, celles des Transports, des Cheminots, de la Marine Marchande et de l’Equipement. Steward basé à Roissy, Fourier évoque avec prudence la possibilité de créer un syndicat de site sur le grand aéroport francilien. « Ici, nous syndiquons à la fois un pilote à 10 000 euros mensuels et une femme de ménage payée en dessous du SMIC. C’est vrai qu’il y a de plus en plus de métiers qui sont sortis du périmètre d’Air France [pour être sous-traités] comme le ménage, l’entretien des pistes, le ravitaillement en carburant ou les autocars de transports. Il n’est pas exclu qu’on aille vers un syndicat de site, mais c’est compliqué, avec ou sans Air France... »

Les syndicats de sites ne sont certainement pas la panacée, et pas seulement en raison de leur absence de statut juridique. Comment défendre ensemble des salariés qui ne dépendent pas du même employeur ? De nouvelles structures locales, mieux adaptées à la géographie du salariat d’aujourd’hui, permettraient pourtant de mutualiser les moyens syndicaux et de faciliter l’implantation dans les petites entreprises. Mais ces évolutions ne peuvent être commandées du sommet. « La direction confédérale n’a pas la capacité d’imposer ces réformes, elle ne peut contraindre la moindre organisation », souligne Jean-Christophe Le Duigou, ancien membre du bureau confédéral devenu conseiller de Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT.

Eric Dupin.

Journaliste.

(1) Les interviews ont été réalisées pendant le congrès CGT de Nantes, en décembre 2009.


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