Comment allier art et éducation populaire et refonder un projet culturel de gauche ?

dimanche 5 décembre 2010.
 

La « culture pour chacun » ou le populisme au service du marché

Par Alain Hayot, Délégué national du PCF à la culture.

« La culture pour chacun » contre la « culture pour tous » est désormais présentée comme la philosophie officielle du ministère de la Culture. Cela pourrait être analysé comme un rideau de fumée de plus auquel Nicolas Sarkozy nous a habitués en partant, il est vrai, de problèmes réels.

Mais ne nous y trompons pas, il s’agit de beaucoup plus que cela.

Le problème posé est celui de la démocratie culturelle, ce rêve poursuivi depuis la Libération, dont l’objectif était que les classes populaires, les jeunes, les régions, bref le peuple, accèdent à une offre artistique activement soutenue par les politiques publiques. Ce projet n’a été que partiellement réalisé et il faut en faire le constat, le modèle est désormais en panne. C’est ce qui permet au ministre Mitterrand d’avancer ses propres solutions.

Reprenant une thèse fréquemment défendue par Nicolas Sarkozy, il part du postulat que l’échec de la démocratisation culturelle serait dû, précisément, à ces politiques publiques qui ont favorisé l’offre culturelle aux dépens de la demande. On peut rendre hommage à sa constance… Ceux qui pensaient que le sarkozysme n’avait pas de projet culturel sont désormais détrompés.

L’objectif de la « culture pour tous » (décriée, paraît-il par André Malraux, que l’on cite en tronquant sans vergogne sa pensée) se serait traduit par la production d’une « culture officielle », élitiste et arrogante, « intimidatrice » pour le peuple, écarté par là même de la culture.

Le mot est lâché. Quand ces gens-là parlent au nom du peuple, pour l’opposer à une élite que seraient les artistes et les intellectuels, le populisme n’est jamais très loin. Populisme dont la vie culturelle est un des terrains privilégiés  : de l’identité nationale, nous sommes parvenus à la conception étroite du projet de Maison de l’histoire de France, qu’il nous faut combattre aux côtés de la quasi-unanimité des historiens, parce qu’il symbolise parfaitement les politiques xénophobes, sécuritaires et antisociales actuellement menées.

Populiste et en même temps profondément libéral, le démantèlement pierre à pierre des politiques publiques et du ministère de la Culture  : tout se passe comme si l’on voulait laisser l’individu, prétendu libre, seul, face au marché des produits culturels, au soutien auquel sont majoritairement consacrés les maigres crédits du ministère.

Populiste, enfin, cette idée saugrenue d’opposer délibérément la « culture pour chacun » à la « culture pour tous ». À plus forte raison lorsqu’on justifie cette contorsion par la volonté de rétablir le « lien social », non pas pour « faire société », mais pour garantir la « cohésion sociale ». Thèse qui consiste à substituer aux combats pour une centralité émancipatrice et civilisationnelle de l’art et de la culture dans les rapports sociaux, la recherche d’un lien social conçu comme un pansement sur les plaies sociales, aggravées du reste par les politiques que Frédéric Mitterrand se garde bien de remettre en question.

Sous couvert de défendre la culture populaire et d’individualiser les besoins et les choix, nous sommes bien dans la logique d’une droite « décomplexée », dans le champ culturel comme dans tout ce qui touche à l’humain  : amoindrir la puissance publique au profit des intérêts mercantiles, casser les solidarités au profit d’une segmentation du peuple.

À ce tournant doctrinal, je propose de soumettre au débat d’élaboration d’un projet culturel de gauche, deux ambitions fortes.

• Transformer notre service public de la culture, original parce que non étatique, en donnant un nouvel essor aux politiques publiques, conjuguant une responsabilité partagée par l’État et les collectivités territoriales. Sur la base d’un vaste débat national et décentralisé, il s’agit de redéfinir les contenus, les finalités et les moyens des dispositifs d’aide à la création et des cahiers des charges des équipements culturels  ; les statuts sociaux des artistes, les formes et les moyens de l’action culturelle dans le monde du travail comme en milieu urbain  ; l’éducation artistique à l’école…

• Réaffirmer et repenser notre ambition de démocratie culturelle en fondant de nouveaux liens entre, d’une part, la création artistique, indispensable à toute vision émancipatrice, et qui a besoin de libertés et de moyens accrus, et d’autre part, l’éducation populaire, à laquelle il faut donner un nouvel élan qui permette concrètement, à chacune et à chacun, à l’école, dans les entreprises, dans les villes et les territoires, non seulement d’« accéder », mais surtout de s’« approprier » et/ou de produire les arts, les savoirs et les pratiques sociales innovantes, de grandir et de s’émanciper dans le vivre ensemble et la solidarité de tous.

C’est peut-être la refondation de cet alliage entre art et éducation populaire qui permettra de retrouver les chemins de l’utopie, qui est la chose la moins partagée du moment.

Par Alain Hayot, Délégué national du PCF à la culture.


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