Le " mélenchonisme " et le bon usage du populisme (Article Le Monde Analyses)

jeudi 16 décembre 2010.
 

Je suis le bruit et la fureur. " Reprenant William Faulkner, Jean-Luc Mélenchon ne cache pas qu’il veut déranger. Depuis deux mois, le président du Parti de gauche (PG) attaque au lance-flammes le Parti socialiste, développe un discours radicalement antisystème et multiplie les piques contre les médias.

Ses anciens camarades le taxent de populisme, l’assimilent même à l’extrême droite. Et pourtant ce nouveau ton, faisant vibrer les souvenirs de la fierté de la classe ouvrière et de ses luttes, attaquant l’" oligarchie " et ses " laquais ", porté dans cette posture de tribun façon IIIe République, ça marche.

Le " mélenchonisme " a trouvé son public.

Porté par son envie présidentielle, le député européen est parti en campagne. Un jour contre les " patrons hors de prix ", le suivant à l’assaut de la " caste médiatico-politique ", fulminant encore contre les socialistes " politiquement stériles "... c’est un vrai festival. On l’a vu partout sur les plateaux de télévision, entendu à presque tout ce que le PAF (paysage audiovisuel français) compte d’émissions importantes et aperçu dans tous les défilés contre la réforme des retraites. Il frappe, il cogne et tape souvent juste. Tout en répétant : " Populiste ? J’assume. " " Mélenchon " est presque devenu une marque.

Ce profil dérangeant commence à payer. Dans le dernier sondage TNS-Sofres pour LeNouvel Observateur du 25 novembre, il obtient entre 6 % et 7 %, selon le candidat socialiste en lice. Pour Paris Match, IFOP le donne entre 6 % et 7,5 %. Soit un score égal ou supérieur à celui d’Olivier Besancenot. La campagne n’a pas encore démarré, le candidat du Front de gauche - l’alliance entre le Parti communiste, le Parti de gauche et la Gauche unitaire - n’a même pas été désigné. Mais on sent poindre un réel engouement à la gauche de la gauche.

Le député attire un public nouveau dans ses meetings. Le blog qu’il anime est l’un des plus visités dans la blogosphère radicale. Son livre, Qu’ils s’en aillent tous ! (Flammarion, 142 p., 10 euros), est devenu un best-seller politique. Et son passage à l’émission " Vivement dimanche " a attiré 3,7 millions de téléspectateurs, frôlant l’audience d’une Ségolène Royal. "C’est les petits miracles de la vie ", se félicite l’ancien socialiste, qui préfère les " dialogues fracassants " parce que " le consensus c’est la mort ".

Après le mouvement sur les retraites, la séquence politique semble propice aux discours radicaux assumés. Le PS prend son temps pour affiner son programme et se querelle sur ses primaires. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), en perte de vitesse depuis un an, n’est plus le seul sur les créneaux de la gauche radicale. Et le PCF tente de donner le change avec André Chassaigne, mais il ne convainc pas.

" Le discours tranchant et singulier de Mélenchon sort des codes et sa voix dissonante est clairement identifiée ", remarque Jérôme Fourquet, directeur de l’IFOP. " Son écho est lié au creux duPS, sans leadership fort ni projet crédible ", renchérit Stéphane Rozes, président de Conseil analyses et perspective. M. Mélenchon profite du vide à gauche et séduit à la fois les militants en quête d’une alternative au PS et ceux qui veulent le réveiller, le jugeant trop mou.

Et puis, son refrain antimédias rencontre un écho certain. On savait que chez les militants la méfiance vis-à-vis de la presse écrite et audiovisuelle était prégnante.

Depuis le référendum de mai 2005, sur le projet de traité constitutionnel européen, où la majorité des médias ont suivi, voire relayé le discours favorable au oui, la défiance est palpable. Avec la crise, elle s’est élargie à des franges moins politisées. " Sa critique des médias est bien fichue. Les attaques contre son populisme ont donné une image d’une corporation qui ne sait pas se remettre en cause ", souligne Vincent Tiberj, chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po. M. Mélenchon avait prévenu dès la Fête de L’Humanité, à la mi-septembre : " Ça va secouer ! " Il voulait élargir son public. Atteindre les abstentionnistes et ne pas laisser les couches populaires, revenues de tout, au Front national.

Mais le président du PG joue gros.

A force d’accentuer les divisions à gauche, de taper comme un sourd sur ses anciens camarades, il s’est attiré des critiques parmi ses alliés. " On ne peut mener une campagne sur le populisme ", a prévenu Pierre Laurent, numéro un du PCF. M. Mélenchon risque de brouiller son image alors que l’aspiration à battre la droite est très forte dans l’électorat de gauche. Pour durer, il va falloir sortir d’un positionnement tourné contre le PS, parler à toute la gauche. Et convaincre que, avec lui, le Front de gauche a des solutions.

L’aspirant candidat semble l’avoir entendu. En marge du congrès de son parti le 19 novembre, il a remisé son slogan " Qu’ils s’en aillent tous ! ", préférant un " je ne suis pas avec le peuple, je suis du peuple ". Sa cible au PS s’est recentrée sur le seul Dominique Strauss-Kahn, " bête noire " de la gauche radicale. Mais il prévient : " La violence des réactions me prouve que j’ai tapé juste. Ma manière d’être n’a pas fini devous dérouter. " Pour l’instant, ça marche.

Mais il ne devrait pas oublier que le roman de Faulkner se termine mal.

Sylvia Zappi


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