Laïcité, extrême droite, assises sur l’islamisation… Mise au point et mise en garde

jeudi 23 décembre 2010.
 

Pour l’interdiction des « Assises contre l’Islamisation de l’Europe » (communiqué et arguments)

Réaction à la décision de la Préfecture de police de Paris de ne pas interdire la tenue des « Assises sur l’islamisation »

Assises contre l’islamisation : Oui à la laïcité, non au racisme !

Est-il interdit d’interdire ? J’aimerai, mais je ne le crois pas. C’est un sujet délicat. Par exemple, en 1936, le gouvernement de Front Populaire avait su interdire les ligues fascistes qui menaçaient la République. Il est d’autres exemples similaires dont je me réclame. Mais, il faut aussi garantir la liberté d’expression et, bien entendu, de critique. Toutefois, pour moi, la République n’est pas un régime neutre. Elle n’est pas une démocratie molle, où chacun peut faire et dire ce qu’il veut. L’incitation fielleuse à la haine raciale, systématique et répétée n’a pas droit de cité. Car souvent cela tue. Qu’on se le dise. La République est la forme institutionnelle d’un projet politique : vivre ensemble dans l’égalité sociale et la solidarité, la justice, la fraternité et la concorde. La laïcité est une des conditions inaliénables de ce « vivre ensemble ». Elle seule permet l’émancipation et garantie la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire. Elle n’est pas l’adversaire des croyants. Au contraire, elle les respecte, car nous avons tous à vivre ensemble, quelles que soient nos options spirituelles. Principe politique forgé au cours de l’Histoire, après des siècles de fanatismes et de nombreuses guerres de religions, la laïcité est un bien précieux. La grande loi laïque du 9 décembre 1905, en est un des piliers essentiels en France. Pour garantir un espace public non soumis à toute forme de pression religieuse, la laïcité doit être tous les jours respectée, par des rappels à la loi et des interdits si nécessaire. C’est la condition de l’émancipation de toutes et tous. Et c’est pourquoi il faut savoir interdire parfois, pour que la laicité soit respectée. J’ajoute qu’on a le droit de critiquer en toute liberté les religions, de ne pas être d’accord avec elles. Mais je crois absurde que l’on généralise et grossisse les problèmes posés, que l’on cherche à blesser les fidèles et que l’on s’acharne sur une seule religion, prétendument porteuse de tous les maux. S’appuyant sur la fermeté de la loi, la laïcité doit toujours être une pédagogie et un humanisme.

Dans les lignes qui suivent je vais donc aborder les récentes déclarations de Marine Le Pen, la conception de la laïcité pour le FN, et la tenue « d’Assises sur l’Islamisation de nos pays » évoquées lors de mon billet précédent.

Tout d’abord, les propos de Mme. Le Pen sont indignes car ils comparent une armée d’occupation, qui a causé la mort de milliers de gens sur le sol français, avec la pratique d’un culte religieux. Cette banalisation d’un des moments douloureux de notre histoire nationale est donc inepte et blessante. Je ne suis pas dupe, c’est même le but. On peut être en désaccord avec le fait que certaines personnes prient dans la rue sans utiliser des comparaisons aussi absurdes. C’est mon cas. Par exemple, je ne suis pas d’accord avec l’utilisation régulière, pour une prière, de la rue Myrrha dans le 18e. Pour autant, chacun a droit au respect. Selon ces pratiquants, il semblerait qu’il n’y ait pas un lieu clos adapté pour cela. Personne, à commencer par les fidèles ainsi réduits à prier dehors, ne se satisfait de la situation. C’est ce qu’il ressort en particulier des déclarations de nombre de responsables musulmans. Il n’en reste pas moins que, chaque semaine, la laïcité est piétinée, c’est une évidence. J’ai déjà eu l’occasion de le dire sur ce blog. Il faut que cette situation cesse. Mais comment ? C’est là que cela se complique. Pour ma part, laïque intransigeant, je dis que c’est aux croyants et à eux seuls de payer ou de louer une salle pour pratiquer leur culte. L’argent public ne doit pas servir à financer cela. C’est pourquoi, et j’ai déjà eu l’occasion de le dire au Maire de Paris et à son entourage, j’ai la plus grande réserve face au projet d’utiliser un futur Institut des Cultures de l’Islam (ICI) comme « solution » à cette occupation illégale de l’espace public. Ce nouveau bâtiment, ouvert en 2012, jouxtera une autre partie qui sera vendue à des associations cultuelles. Certains jours, si nécessaire, dans la partie culturelle, des salles pourront être louées aux associations cultuelles. Ces salles pourront aussi être louées par n’importe quelle association, aux différentes options philosophiques, ou partis politiques. En théorie. Dans la pratique, j’ai la crainte que ce lieu soit « privatisé » par des associations cultuelles qui vivront mal ce mélange des genres. Et ces associations cultuelles paieront-elles effectivement, comme prévu, ou un « arrangement financier » leur sera-t-il fait ? Voilà quelques questions auxquelles je n’ai pas de réponse précise. De plus, l’utilisation du prétexte du culturel pour financer du cultuel est une astuce pour contourner la loi de 1905. L’origine de cette « astuce » vient du rapport Machelon, impulsé et soutenu par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était Ministre de l’intérieur et des cultes. Cela avait par exemple servi pour la construction de la cathédrale d’Evry, où l’existence d’une petite partie réservée à un « Musée » (donc culturel) a servi de prétexte à des financements publics de cette cathédrale (cultuel). Nous reparlerons donc de ce dossier. Je précise qu’au sein du Conseil de Paris, je n’ai jamais eu l’occasion de voter sur le principe de l’existence de cet Institut des Cultures de l’Islam, puisqu’il fut impulsé durant la précédente mandature et je n’étais pas encore Conseiller de Paris. Les seules délibérations proposées à ce sujet depuis 2008 n’en concernent que des aspects mineurs. Je cherche donc le meilleur moment pour me faire entendre sur ce point. Il me faudra être subtil, pédagogique et ne blesser personne. Pas simple. Je suis bien conscient que de toutes façons, cela changera peu de choses puisque, pour l’heure, l’ensemble des groupes siégeant au Conseil de Paris soutient activement ce projet. Et puis, j’espère me tromper et que mes réserves trouveront des réponses rassurantes, respectueuses de la laïcité.

Mais, quoi qu’il en soit, que chacun regarde la réalité en face. La laïcité en France n’est pas menacée par ce type de prière publique. Fussent-elles inacceptables. Je considère même ces problèmes comme secondaires par rapport à d’autres. Oui, oui secondaire. J’assume. Il faut aussi et surtout mettre un terme au nombreux contournements des principes laïques. La loi doit être commune à tous, sinon l’application de la loi devient impossible. J’invite chacun à se reporter au récent billet de Jean-Luc Mélenchon . Je donne d’autres exemples. Ils illustrent un désaccord de fond avec mes amis socialistes. Lors du Conseil de Paris qui vient de terminer aujourd’hui, la majorité, soutenue par l’opposition, a présenté au vote des subventions pour 14 crèches confessionnelles et communautaires (pour un total d’environ 2,3 millions d’euros par an) qui ne respectent pas le cahier des charges de la Convention demandée par la Ville elle-même ! Cela dure ainsi depuis des années. On trouve des signes religieux ostentatoires dans les bâtiments, elles sont fermées le vendredi, etc… Pour nous, ces crèches ne sont pas laïques. Nous avons donc, avec le Groupe communiste et élus du Parti de Gauche, voté contre. Et, nous avons été les seuls à nous opposer. Les Verts et nos amis du PRG se sont abstenus (voir ici la dépèche AFP). Avant cela, j’avais dénoncé une subvention de 16 500 euros pour des travaux dans une Eglise Evangélique du 17e. La Ville n’est pas propriétaire du bâtiment. Nous n’avons pas obligation à faire ces travaux. J’en ai déjà parlé lors d’un billet précédent. Seul l’article 19 de la loi de 1905, ajouté en 1943 ( !), permet légalement ce type de contournement des principes laïques. Là encore, il n’y avait que nous, avec le PCF, à voter contre, et toutes les autres forces (Les Verts compris) ont voté pour, hormis l’abstention du PRG. Dommage. Autre point, lors du débat budgétaire, l’Adjoint chargé des Finances, s’est vanté auprès de l’opposition qu’avec la majorité de gauche, les investissements d’entretien des bâtiments cultuels, certes dont la Ville est propriétaire, avaient significativement augmenté, passant de 25 millions de 1995 à 2001, à 80 millions de 2001 à 2008, puis de 53 millions pour la mandature actuelle. Ces chiffres démontrent bien que l’on peut appliquer avec plus ou moins de zèle les « obligations » de la loi de 1905. Pourquoi la gauche, majoritaire à Paris, doit-elle se vanter d’être celle qui en fait le plus pour les bâtiments religieux (bien sûr au détriment d’autres investissements sans doute plus urgents) ? Mystère.

Voilà donc, et il y en a d’autres, quelques exemples concrets de laïcité piétinée. Désormais, il me faut dire un mot concernant le Front national que certains présentent dorénavant comme un défenseur de la laïcité (cf. la photo de M. Le Pen avec Jean-Paul II où il affirme que ce dernier lui a demandé de "lutter contre la décandence de l’Europe"). Quelle honte ! Mensonge et forfaiture. Appuyons nous sur les faits. Dans son "Programme de gouvernement de Jean-Marie Le Pen" de 70 pages pour l’élection présidentielle de 2007, dont la directrice stratégique était Mme. Marine Le Pen, le mot de « laïcité » n’apparaît quasiment pas. Une seule fois à vrai dire, il est évoqué dans le chapitre sur l’Education. Il est dit qu’il faut « faire respecter la neutralité politique et le principe de laïcité ». Point final. Ce sera tout. Chacun conviendra que c’est un minimum. Mais, restons lucides, dans le vocabulaire FN qui « euphémise » tout, cela veut dire que les syndicats doivent être moins actifs et que le porc doit être proposé à la cantine sans menu de substitution. Jamais, dans le programme du FN, il n’est évoqué la loi de 1905. Pis que cela, concernant l’école, le FN propose aux familles un « chèque scolaire » qui permettra de payer les personnels hors enseignants dans les établissements qui ne sont pas pris en charge par l’Etat ! Les parents pourront ainsi, avec de l’argent public, choisir entre le privé et le public. Cette proposition est une offensive majeure contre l’Ecole publique, et donc contre la laïcité puisque notre école en est le socle. Il en signifierait la mort clinique. De plus, le privé (majoritairement confessionnel) serait le grand gagnant : argent public pour ses personnels, pour ses enseignants (c’est déjà le cas) et frais d’inscription des familles ! Le FN demande même que « les lois Falloux et Astier [soient] modifiées afin que les collectivités territoriales ne soient pas limitées dans le financement des travaux et des équipements » des établissements privés. Quel militant laïque pourrait approuver cela ? D’ailleurs, dans quel Conseil régional, les élus FN votent contre les crédits, qui vont au-delà de la loi, pour les établissements privés ? Ne cherchez pas. Aucun. Ils sont toujours d’accord pour voter plus d’argent au privé.

Alors laïque le FN ? Quelle blague ! Mais qui peut affirmer des choses pareilles ? Qui peut sous-entendre qu’il est le seul à défendre la laïcité ? J’entends pourtant parfois ce genre de commentaires dans certains médias. C’est abbérant et il faut vraiment que la gauche ait perdu de vue le combat laïque pour que de tels assertions puissent être crues comme authentiques. Tout à l’inverse, le FN est la grande force anti-laïque de notre pays. C’est même la plus radicale et la plus déterminée pour détruire les fondements républicains de notre nation.

J’aborde à présent ces « Assises sur l’islamisation » qui m’ont valu dans mon billet précédent une pluie de messages d’insultes (cf. article aujourd’hui dans Le Parisien ). J’ai fait le choix de les laisser pour que chacun puisse juger de qui sont ces gens qui veulent se réunir le 18 décembre dans le 12e. Voici quelques exemples choisis au hasard : « le traitre Corbière n’arrêtera pas la reconquête de notre sol européen », « le PG : c’est la charia plus l’électricité ». Je suis un « Collabo » ou un « nazislamiste ». Je suis aussi « un dictateur raté », un « idiot utile », d’une « sottise infinie », un « dégénéré » et un « mauvais élu qui salit la France par sa présence ». Pour d’autres, je suis un « commissaire politique », et « fasciste et liberticide » ou mieux « l’obersturmfhürer Corbière » et le « khmaire adjoint de Delanoé ». Ne voulant pas leur servir de tribune je ne reprends pas les propos racistes et antisémites que l’on peut y lire. Je signale cependant le caractère menaçant de ces militants qui m’attaquent ad hominem. Par exemple, l’un d’eux affirme : « Corbière est un collabo qui finira pendu ». J’arrête.

Voilà ce que la plupart des participants de ces « Assises » ont dans la tête. Triste. Il me reproche d’avoir considéré que leur rassemblement, précisément pour le discours que je viens d’évoquer, va être un « trouble à l’ordre public ». Il y a parmi les principaux organisateurs des groupes comme Bloc identitaire qui sont clairement des groupes d’extrême-droite anti-républicains, qui regroupent des militants souvent violents tels « Jeunesse Identitaire ». Pourquoi me traiter de « menteur » quand j’affirme cela ? Comment qualifier des groupes comme l’English Defence League (EDL) qui s’exprimera aussi ? De républicains laïques ? Restons sérieux. En Grande-Bretagne, ils rassemblent des hooligans qui font le coup de poing contre les musulmans. Je suis affligé de voir qu’un groupe comme Riposte laïque (RL) fait alliance et tribune commune avec cette nébuleuse. J’ai des désaccords avec RL anciens. Leur obsession contre une seule religion, porteuse de tous les maux, m’indigne depuis longtemps. Mais, tant qu’il ne s’alliait pas avec l’extrême-droite, je ne faisais aucun commentaire. Je ne puis rester silencieux à présent. Ils sont une passerelle entre un groupe issu de la gauche et l’extrême droite. Triste bilan. Qu’ils se ressaisissent un instant et regardent la réalité. Ils vont organiser des « Assises » où est invité un député UMP, M. Christian Vanneste (qui a mon avis ne viendra finalement pas), parti qui vient de remettre en cause la retraite à 60 ans. Cet élu est parmi les plus réactionnaires de la droite et c’est lui qu’ils veulent faire applaudir ? A présent RL explique que Marine Le Pen est une laïque, alors qu’elle veut mettre à bas l’école publique. Quelle trajectoire sidérante pour ce petit noyau. Il participe désormais à la vieille manœuvre de ceux qui soutiennent l’injustice de notre monde : ne rien dire sur la question sociale et diviser les travailleurs entre eux, sous le prétexte de la couleur de peau ou ici de la religion. Après le formidable mouvement de résistance sur les retraites, nous voilà engager dans un grand débat, fortement médiatisé bien sûr, sur l’attitude de nos concitoyens musulmans. A pleurer.

Je conclus. Haut les cœurs ! Pour réaffirmer notre attachement à la laïcité et le refus de toute forme de racisme, des organisations de gauche et démocratiques se rassembleront pacifiquement dans le 12e samedi prochain. Je précise qu’elles refusent de se voir assimilées avec tous groupes religieux radicaux qui pourraient aller s’affronter avec les organisateurs des « Assises ». Entre le fanatisme religieux et les idées xénophobes, il existe un chemin et un discours. C’est le nôtre. C’est celui du mouvement ouvrier et démocratique. C’est celui des républicains et des laïques. La voie peut paraître étroite, mais elle est porteuse d’avenir et elle est la seule qui permette de « vivre ensemble ». Je refuse le paysage politique que certains voudraient imposer : Islamisme radical contre néo-fascisme. C’est mon combat et celui de mes amis. Nous sommes majoritaires, j’en suis convaincu. Malgré les menaces et les insultes qui voudraient nous faire taire, nous avançons.


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