Retraites : un mouvement social exceptionnel On lâche rien ! (SUD SOLIDAIRES)

mardi 21 décembre 2010.
 

1) Un contexte de crise économique et sociale marqué par les affaires

La crise bancaire et financière, née aux Etats-Unis, a rapidement touché l’Europe et s’est transformée en récession. Entre le deuxième semestre 2008 et le deuxième semestre 2009, le Produit Intérieur Brut (PIB) a reculé de près de 3 %. Les conséquences de cette récession ont été immédiates : licenciements et explosion du chômage, montée de la précarité, baisse de pouvoir d’achat. Cette situation aurait pu entraîner un climat de résignation, une acceptation fataliste de la crise et de ses conséquences. Tel n’a pas été le cas en France. Après le refus du Traité Constitutionnel Européen en 2005 et du Contrat Première Embauche en 2006, la population a confirmé son opposition au libéralisme.

Résistances sociales

Dans le secteur privé, malgré l’éclatement du salariat, les mouvements de grèves, souvent dures, contre les licenciements se sont multipliés et, la plupart du temps, les salarié-e-s ont réussi à obtenir des indemnités très nettement supérieures à ce que les employeurs prévoyaient d’accorder. Certes, cela n’a pas empêché les licenciements, mais la capacité de résistance des salarié-e-s a limité les dégâts.

De plus, face à la crise, et cela a été un élément décisif, le mouvement syndical est apparu uni. La constitution de l’intersyndicale s’est traduite par un document d’orientation commun adopté en janvier 2009 qui posait la question du partage des richesses comme un élément de réponse à la situation. Sur cette base, deux journées de grèves et de manifestations ont été organisées qui ont regroupé plus de 2 millions demanifestant- e-s le 29 janvier et près de 3 millions le 19 mars 2009.

Une dynamique de mobilisation avait été créée. Mais celle-ci s’embourba car les divergences de stratégie au sein de l’intersyndicale n’ont pas permis le rebond rapide qui aurait pu l’amplifier et les échéances suivantes (1er mai, 24 mai et 13 juin 2009), ont été démobilisatrices, car trop lointaines. La question de l’efficacité d’une stratégie syndicale réduite à une suite de journées saute-mouton était posée.

Contre un gouvernement au service des riches

Au-delà, l’incapacité du gouvernement à répondre aux effets de la crise sur la population, alors même que, sans problème, des liquidités énormes avaient été mobilisées pour sauver le système bancaire, commençait à installer un sentiment de profonde injustice. Les avatars de l’affaire Woerth-Bettencourt qui révélaient au grand jour les liens étroits entre le pouvoir et les plus grandes fortunes de France, l’annonce de plans d’austérité destinés à satisfaire les institutions financières déjà sauvées par de l’argent public, la poursuite des attaques contre les services publics qui garantissent encore un minimum de droits à tous, ancraient dans les esprits le fait que ce gouvernement ne gouvernait que pour les plus riches. Sa légitimité était d’autant plus remise en cause que son projet sur les retraites contrevenait à une affirmation du président de la République qui avait explicitement indiqué, quelque temps auparavant, qu’il n’avait aucun mandat pour remettre en cause la retraite à 60 ans.

2) Caractéristiques du mouvement

Tout mouvement social d’ampleur est porteur de caractéristiques qui lui sont propres et qui ne sont pas réductibles à celles de mouvements antérieurs. Le mouvement de 2010 se situe dans la lignée de ceux de 1995 contre le plan Juppé, de 2003 contre la réforme Fillon des retraites et de 2006 contre le CPE. Il a avec ces mouvements deux points communs. Le premier est l’importance donnée par les salariés au fait de descendre dans la rue. La manifestation est devenue, mouvement après mouvement, le moyen essentiel pour les salariés d’exprimer leur mécontentement et de montrer leur force. D’où l’enjeu de la controverse avec le pouvoir sur le nombre de manifestants, celui-ci devenant le baromètre du rapport de forces. Le second est l’enracinement en profondeur de la mobilisation, phénomène encore plus important cette fois. Plus les villes étaient petites et plus, proportionnellement, les manifestations étaient importantes.

L’irrigation du tissu social est en effet plus facile dans des petites villes que dans des grandes métropoles, la région parisienne étant l’exemple emblématique d’une situation où le rapport entre le nombre d’habitant- e-s et le nombre de manifestant-e-s était particulièrement faible.

Des formes inédites et combinées

Cependant, au-delà de ces caractères traditionnels, le mouvement de 2010 possède des traits inédits qui méritent attention. L’un renvoie à la question de la grève. Lors des journées nationales décidées par l’intersyndicale, les chiffres de grèves n’étaient pas négligeables, alors même qu’une proportion de manifestante- s, qu’il est difficile d’évaluer, n’était pas en grève. Si cette attitude peut s’expliquer par des raisons pragmatiques - pourquoi perdre de l’argent lorsque l’on peut poser une RTT ?-, le relatif faible nombre de grévistes a été un handicap dans la construction des rapports de forces. De plus, les attaques tous azimuts menées par Nicolas Sarkozy depuis 2007 ont donné le sentiment d’un rouleau compresseur très difficile à arrêter ; beaucoup se posaient la question des moyens et de la hauteur du rapport de forces nécessaires pour pouvoir y mettre un coup d’arrêt.

Ce mouvement a connu une dimension intergénérationnelle, avec l’entrée dans le mouvement de lycéens et, dans une moindre mesure, des étudiant-e-s dont les organisations se sont impliquées dans les journées de mobilisation aux côtés de l’intersyndicale. Dans ce cadre, le travail d’explication fait en direction de la jeunesse scolarisée a permis que le pouvoir ne puisse s’appuyer sur un soutien de la jeunesse alors même que cette réforme était présentée au nom « des intérêts des jeunes générations » !

Il faut noter que la question des inégalités entre les femmes et les hommes a été particulièrement présente dans ce mouvement, contrairement à 2003. Les conséquences pour les femmes de l’allongement de la durée de cotisation, ont été un des ressorts de cette mobilisation, avec une présence forte des femmes dans les manifestations.

De la nécessité de la grève reconductible ...

Au-delà des journées décidées par l’intersyndicale, des grèves reconductibles ont éclaté dans un certain nombre de secteurs (SNCF, raffineries, énergie, collectivités territoriales, culture...) dans la foulée de la journée nationale du 12 octobre, après donc le vote à l’Assemblée nationale, mais avant celui du Sénat. Mais pourquoi si tard ? Sans doute parce que les salarié-e-s ne se lancent jamais de gaîté de coeur dans un mouvement de ce type et qu’ils ont espéré jusqu’au dernier moment pouvoir échapper à cette perspective.

Il a également fallu du temps dans ces secteurs pour convaincre les autres organisations syndicales. De plus, la grève reconductible n’est crédible pour les salarié-e-s qu’à partir du moment où les conditions d’un très haut rapport de forces ont été créées.

Dans les raffineries, les équipes de SUD Chimie Solidaires ont trouvé à leurs côtés des collectifs CGT clairement appuyés par leur fédération, qui avait réellement préparé cette grève reconductible. A la SNCF, SUD-Rail a d’abord privilégié l’unité syndicale, pour créer et faire grandir le rapport de forces : c’est l’appel commun à 24 heures, le 7 septembre. Ensuite, SUDRail a amené toutes les organisations à débattre de la grève reconductible, en menant campagne et posant un préavis illimité à compter du 23 septembre ; c’est ce qui a permis l’appel unitaire avec CGT, UNSA, CFDT, à partir du 12 octobre. Dans les Bouches-du-Rhône ou la Seine-Maritime, la grève reconductible a d’emblée touché plus de secteurs, parce que des appels intersyndicaux départementaux étaient lancés.

Ce mouvement a touché nombre d’entreprises du secteur privé, mais les équipes militantes à l’initiative (Solidaires, mais souvent CGT, parfois CFDT, FO…) n’ont pas pris le risque de l’isolement en constatant que « ça ne prenait pas » dans des secteurs réputés plus facilement mobilisables (Education nationale, La Poste, hôpitaux…). A cela s’ajoutait, soit la faiblesse de la structure syndicale interprofessionnelle locale, soit le refus de celle-ci d’appuyer réellement les secteurs en grève.

Ces grèves ne se sont pas généralisées.

Il n’y a eu aucune extension de la grève reconductible, même dans les endroits où des syndicats de Solidaires étaient fortement implantés. Les secteurs en grève reconductible n’ont pas été rejoints par les autres salariés.

3) Les débats de l’intersyndicale

L’unité syndicale a permis que la mobilisation prenne le tour massif que l’on a connu. Cette unité a donné confiance aux salarié-e-s et a isolé le pouvoir qui, contrairement à ce qui c’était passé en 2003, n’a pu compter sur aucune organisation syndicale pour accompagner son projet. L’attitude du gouvernement, qui a refusé de négocier la moindre mesure significative, a obligé toutes les organisations à considérer que le projet de loi était inacceptable.

Cependant, cette unité n’a pas empêché que s’expriment des divergences plus ou moins importantes.

Plusieurs débats ont traversé l’intersyndicale  : le contenu des revendications, la place des retraites dans la mobilisation et la stratégie d’action.

Un projet alternatif pour un enjeu central

Le premier a porté sur le contenu du dossier des retraites. Si les organisations syndicales étaient opposées au report des âges de départ à la retraite, des divergences importantes existaient sur le reste du dossier. Par exemple, la CFDT est favorable à l’augmentation de durée de cotisation et à une « réforme systémique  » visant à transformer le régime actuel en régime par points ou par comptes notionnels. Il a donc été impossible d’élaborer des propositions communes qui auraient pu servir de projet alternatif. Cependant ces divergences importantes ont peu pesé sur les mobilisations.

En effet, le gouvernement refusant de négocier, les points qui auraient pu faire éclater l’intersyndicale sont restés sous le boisseau. De plus, un accord minimum, au moins sur le plan des principes, a pu voir le jour. Ainsi le communiqué CFDT, CGT, FSU, Solidaires, UNSA du 6 mai 2010 affirmait :

« Concernant les retraites, elles rappellent que l’emploi “en quantité, en qualité et qualifié, reconnu et valorisé” doit devenir une priorité dans les entreprises et les administrations pour redonner du sens au travail, à la société toute entière. C’est une source de financement incontournable pour assurer le devenir et la pérennité de notre système de retraites par répartition basé sur la solidarité intergénérationnelle. Une plus juste répartition des richesses, la réduction des inégalités, l’égalité entre les Femmes et les Hommes au travail s’imposent aussi pour garantir à tous un bon niveau de vie à la retraite. L’âge légal de départ en retraite à 60 ans doit être maintenu. La pénibilité du travail doit être reconnue et ouvrir des droits à un départ anticipé à la retraite ».

Un deuxième débat a porté sur la place à donner à la question des retraites dans l’appel aux mobilisations lancées par l’intersyndicale. Alors qu’il était clair que le président de la République en faisait un enjeu central de sa politique et que cette question était au coeur des plans d’austérité dans tous les pays européens, la majorité de l’intersyndicale a longtemps considéré que c’était un sujet parmi d’autres. Le compromis s’est donc fait pour des appels à la mobilisation sur un triptyque emplois/salaires/retraites. Il a fallu attendre le 31 mai 2010, alors que les mesures phares du projet gouvernemental étaient déjà largement connues, pour qu’un communiqué de l’intersyndicale soit enfin centré sur la question des retraites. Une des raisons de cette attitude tient au fait que certaines organisations pensaient qu’il serait possible d’éviter un affrontement, dont elles ne voulaient pas, avec le pouvoir sur ce sujet espérant que le gouvernement se déciderait à ouvrir des négociations.

Une dynamique de confrontation

Dans le prolongement de ce débat, un troisième a porté sur la stratégie. Solidaires a été la seule organisation nationale à défendre une stratégie de construction d’une grève générale reconductible et interprofessionnelle, la seule qui selon nous était à la hauteur des enjeux pour gagner. Deux points de vue se sont confrontés dans l’intersyndicale. Le premier était porté par Solidaires et la FSU qui sur la base de l’analyse que l’attitude du gouvernement rendait l’affrontement inévitable, visait à en construire les conditions.

Ainsi, nous avons d’abord insisté sur le fait qu’il fallait créer une dynamique de mobilisation en ne répétant pas l’erreur de 2009 qui avait vu l’intersyndicale programmer des journées très espacées. Il fallait au contraire, en s’appuyant sur le succès d’une journée, rebondir très vite pour permettre d’amplifier la mobilisation et créer ainsi, journée après journée, un climat de crise sociale dans le pays.

De l’importance du rythme

Ce débat s’est cristallisé après le succès historique du 7 septembre. Alors que le gouvernement pensait que cette journée marquerait le début de la fin pour le mouvement, pas loin de 3 millions de personnes manifestaient dans toute la France. Le vote de la loi à l’Assemblée nationale étant prévu pour la mi-septembre, Solidaires proposa qu’une nouvelle journée, le samedi ou en semaine, ait lieu avant cette échéance, pour profiter de la dynamique créée par la réussite du 7 septembre. Bien qu’appuyé par la FSU, cette idée fut refusée par les autres organisations syndicales qui préférèrent la date du 23 septembre, ce qui amena Solidaires à ne pas signer le communiqué commun (accepté au final par la FSU). Il aura fallu attendre l’après 2 octobre, après donc le vote à l’Assemblée nationale, pour que se suive une série de journées de mobilisations rapprochées.

Au-delà du problème du rythme des journées nationales de grèves et de manifestations, une seconde question se posait. Une suite de journées, même massivement suivies, suffiraient-elles à faire céder le président de la République  ? Au vu de l’intransigeance affichée et de l’enjeu du dossier, il était clair que la réponse à cette question était négative. D’où le fait que Solidaires ait mis dans le débat parmi les salarié-e-s la question de la grève reconductible. Celle-ci ne se décrète pas par le haut et doit être décidée directement par les salarié- e-s concernés. Mais il est du rôle des organisations syndicales de poser cette question aux salariés, ce que l’intersyndicale s’est refusée à faire.

Élargissement et radicalisation

Lors des rares discussions sur ce sujet dans l’intersyndicale, des arguments ont été invoqués, notamment par la CGT, pour refuser cette perspective : celui du refus de la grève par procuration et la mise en avant d’une opposition factice entre élargissement et radicalisation. La CGT indiquait qu’elle était opposée au fait que seuls certains secteurs démarrent en grève reconductible, un départ en grève devant se faire, pour cette organisation, tous en même temps. Cet argument s’appuie sur une crainte qui n’est pas sans fondement, celle que les secteurs les plus avancés restent isolés et s’épuisent. Il méconnaît cependant la logique d’un départ en grève reconductible. Une telle grève diffère fondamentalement d’une grève de 24 heures, non seulement par sa durée, mais par les conditions de son déclenchement. Autant une grève interprofessionnelle de 24 heures n’est concevable que « tous ensemble », autant une grève reconductible ne peut partir que des secteurs les plus organisés et les plus mobilisés.

Ceux-ci, à un moment donné, et parce que les circonstances s’y prêtent, peuvent entraîner les salarié-e-s des autres secteurs d’autant plus facilement qu’une impulsion unitaire y incite, même si évidemment il n’existe aucune garantie absolue en la matière. Toute stratégie contient nécessairement une part d’incertitude et vouloir l’éliminer avant d’agir ne peut que mener à la paralysie. Par ailleurs, si on veut que tout le monde parte en grève en même temps, cela ne peut que se faire par un appel national… que la majorité de l’intersyndicale refusait de lancer.

Enfin un autre point de divergence est apparu alors que se multipliaient les opérations de blocage organisées unitairement au niveau local et les grèves reconductibles dans certains secteurs.

L’intersyndicale a refusé, de soutenir explicitement ces mouvements, ce qui a amené Solidaires à ne pas signer le communiqué du 21 octobre. De plus, ce communiqué parle du « respect des biens et des personnes », ce qui sonnait comme une condamnation des actions de blocages alors que celles-ci se développaient.

Le bilan global de l’intersyndicale est donc contradictoire. D’une part, l’unité syndicale a été la condition indispensable du caractère massif d’un mouvement qui dure. Elle a embarrassé le pouvoir et a fortement redonné de la crédibilité à un syndicalisme historiquement divisé. D’autre part, le refus affirmé de la majorité de l’intersyndicale d’aller vers un affrontement, les divergences entre organisations l’ont empêché de promouvoir une stratégie efficace pour gagner. Cette contradiction, qui risque de perdurer dans l’avenir, pose la question de la stratégie de Solidaires.

La stratégie de Solidaires

Une stratégie se définit par rapport à ses objectifs, et en fonction de la réalité, dont les moyens dont dispose une organisation pour mettre en oeuvre cette stratégie. L’objectif de Solidaires était double. D’une part, empêcher une nouvelle régression en matière de retraite.

Au vu du contenu du projet de loi, cet objectif s’est traduit pour nous par l’exigence de son retrait. D’autre part, nous ne nous satisfaisons pas de la situation actuelle en matière de retraite, d’où notre exigence d’une véritable réforme des retraites qui passait, entre autres, par revenir sur les mesures Balladur et la loi Fillon de 2003. Il s’agissait donc d’objectifs ambitieux, qui, pour être réalisés, devaient s’appuyer sur une mobilisation de très haut niveau.

Plusieurs obstacles se dressaient devant nous pour la mise en oeuvre de cette perspective. Le premier renvoyait au fond du dossier. Face à la propagande gouvernementale, il fallait être capable d’envoyer un message clair pouvant être porté le plus largement possible. Compte tenu des divisions syndicales sur le sujet, il était impossible qu’un tel message fut porté par l’intersyndicale et ce d’autant plus que pendant toute une période, la question des retraites n’a été pour elle qu’une question parmi d’autres.

La bataille des idées

L’appel initié par Attac et la fondation Copernic « Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites » a permis de lever en partie cet obstacle. Certes, le nombre de signatures syndicales n’était pas satisfaisant : engagement fort de Solidaires, moindre de la part de la FSU (la secrétaire générale n’a pas signé l’appel), peu de signatures CGT. Cependant, cet appel a été largement signé par des intellectuel- le-s, un grand nombre d’économistes largement reconnus dans leur milieu et par un large éventail de personnalités de forces politiques de gauche et écologistes. La qualité des signataires et leur nombre traduisant la conscience del’enjeu de société de la bataille sur les retraites.

Cet appel a permis de cadrer d’emblée les axes de notre bataille : le refus de la fatalité démographique et le partage de la richesse produite. Il a représenté un outil utile à la mobilisation en montrant, au moins à une partie de la population, qu’une autre politique était possible.

Le second obstacle résidait dans la nécessité d’engager le plus rapidement possible un travail de mobilisation citoyenne, visant à mettre la question des retraites au centre du débat public. Le rythme et la pluralité des thèmes avancés lors des journées de grèves et de manifestations de l’intersyndicale ne contribuaient que très partiellement à le faire.

L’appel Attac- Copernic allait permettre de dépasser en partie ces limites. En effet, sur la base de l’appel, des collectifs unitaires locaux, à géométrie variable, ont commencé à se mettre en place et un travail de mobilisation citoyenne a pu être ainsi engagé qui s’est traduit par des centaines de réunion publiques, commencées dès avant l’été, certaines prenant la forme de meeting unitaires, d’autres de réunions centrées sur l’analyse du projet. Ces éléments ont indéniablement contribué à la prise de conscience des enjeux et à préparer les esprits à la nécessité de la mobilisation, même si ces réunions n’ont en général réuni que la frange militante large. Au plan syndical Solidaires et FSU se sont investis nationalement dans cette campagne, rejointes parfois par la CGT locale.

Affrontement central avec le pouvoir

Pour Solidaires, il s’agissait de préparer un affrontement central avec le pouvoir. Affrontement que l’intransigeance du président de la République rendait inévitable.

Pour cela, nous avons mis en débat, parmi les salarié-e-s, l’idée de grèves reconductibles. De plus, nous avons essayé de faire en sorte que les journées de grèves et de manifestations décidées par l’intersyndicale soient un point d’appui pour permettre d’enclencher une dynamique de confrontation.

Malgré leurs limites - rythme trop espacé, pluralité des thèmes abordés -, les trois journées de grèves et de manifestations d’avant les vacances (23 mars, 27 mai, 24 juin), auxquelles il faut rajouter le 1er mai, ont permis une forte montée en puissance du mouvement. Cependant celleci n’a aucunement ralenti le rythme du gouvernement qui a fait adopter le 13 juillet son projet de loi en Conseil des ministres avec l’objectif d’un vote à la mi-septembre à l’Assemblée nationale.

Avec un appel à une nouvelle journée de grèves et de manifestations dès le 7 septembre, l’intersyndicale semblait prendre conscience que le temps était compté. Pour Solidaires, il était clair qu’il fallait alors accélérer le rythme des mobilisations pour essayer d’installer un climat de crise sociale avant le vote de l’Assemblée. D’où notre proposition sur la base du succès du 7 septembre, d’une nouvelle journée dans un délai très rapide. Le refus des autres organisations (sauf la FSU) et la décision d’attendre le 23 septembre nous a fait perdre un temps précieux et a permis que l’Assemblée Nationale puisse voter le projet de loi relativement tranquillement. Les rapports de forces au sein de l’intersyndicale ne nous ont donc pas permis d’en dépasser les limites, et ce d’autant plus que, si la question de la grève reconductible commençait à être discutée dans certains secteurs, aucun mouvement significatif n’a eu lieu à cette date. Il a fallu attendre la journée du 12 octobre pour que s’enclenchent des mouvements de grève reconductible, notamment à la SNCF et dans les raffineries et que se mettent en place des opérations de blocage décidées unitairement localement, alors même que le processus législatif touchait à sa fin.

Pour essayer de lever ces obstacles, nous avons participé, autour du 23 septembre, au lancement d’un appel de syndicalistes unitaires pour la grève générale, l’exigence d’une autre répartition des richesses et la nécessité pour les syndicalistes de lutte de s’organiser dans la durée au-delà des appartenances syndicales. Ce premier appel, dans une période où il n’y avait pas encore de mouvement reconductible, est resté trop limité. Cela nous a conduit à reposer la question quelque temps plus tard ; un nouvel appel a été lancé dans la semaine du 12 octobre, centré sur la nécessité d’un mouvement reconductible, et a été plus largement signé. Malgré les centaines de signataires (Solidaires, CGT, FSU, CFDT, FO, CNT, STC, UGTG, CDMT, LAB), ces appels ont été très peu utilisés alors qu’ils auraient pu être utiles pour peser sur la stratégie majoritaire dans l’intersyndicale.

Conclusion

Ce mouvement social a permis de tisser des liens interprofessionnels et intergénérationnels. Il a redonné de la légitimité à la lutte, à la grève, aux manifestations et aux actions de blocage… Cette force du mouvement social devrait se retrouver dans les combats futurs.

Ce mouvement a montré que le syndicalisme est un outil indispensable. Mais cet outil doit être amélioré, mieux adapté aux enjeux. Lieu de convergence, de débats et d’unité de l’ensemble des salarié-e-s, le syndicat doit être plus fort dans les entreprises où il existe, et nous devons en créer là où il n’y en a pas ou plus.

Ce mouvement montre l’importance du syndicalisme interprofessionnel  : coordination de l’information, appui et extension des luttes, connaissance des statuts de chacun pour mieux lutter contre la division qu’instaure le patronat, solidarité, décisions collectives à la base, … Pour permettre à plus de salarié-e-s de s’engager, il faut leur proposer de l’information et de s’investir concrètement dans l’action syndicale et dans les luttes. L’Union syndicale Solidaires voit actuellement la création de nouveaux syndicats, la mise en place de nouvelles structures interprofessionnelles locales. Développer la syndicalisation, c’est contribuer à nos prochaines victoires sociales !

Le mouvement social n’a pas réussi à bloquer la contre-réforme des retraites. En ce sens, le pouvoir a gagné. Mais les conditions de sa victoire font que celle-ci risque fort d’être une victoire à la Pyrrhus.

En effet, le gouvernement ressort totalement isolé et ce n’est pas la caricature de remaniement ministériel qui va changer cette situation. Le mouvement syndical, malgré des divergences est resté uni et son action a été massivement soutenue par la population. Des points fondamentaux ont été installés dans le débat public, comme le partage de la richesse produite, la question des inégalités hommesfemmes ou celle de la pénibilité du travail.

Ils ne disparaîtront pas. Au-delà même de la question des retraites, s’est cristallisé un refus global des politiques néolibérales menées depuis des années. Ce mouvement a posé plus fondamentalement la question des alternatives. Il appartiendra au mouvement syndical de participer à leur élaboration.


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