DELORS-DSK MEME COMBAT !

jeudi 30 décembre 2010.
 

L’heure est grave, les euro-béats ressortent Jacques Delors de sa retraite. Celui-ci analyse la crise européenne, avec son compère Helmut Schmidt, ex-chancelier allemand, dans Le Monde du 8 décembre 2010. C’est affligeant, et même inquiétant si l’on peut raisonnablement imaginer que l’un et l’autre sont encore influents au sein de leur parti socialiste respectif.

Je ne dis pas que je suis en désaccord avec tout ce qu’ils disent. Ainsi, de ces propos de Jacques Delors : « Ce n’est pas aux banquiers qui ont reçu des Etats, comme prêts ou garanties, 4 589 milliards d’euros de dicter aux gouvernements leur comportement. Entendre les conseillers des banques nous intimer l’ordre de réduire les déficits publics puis, lorsque cela est en bonne voie, s’alarmer de la panne de croissance qui pourrait en résulter est une double peine insupportable ! ». Fort bien.

Pour le reste, ce ne sont que contradictions, analyses étonnamment simplistes et propositions antidémocratiques.

Le plus manifeste des simplismes de Jacques Delors, c’est son appel à combattre « le capitalisme financier » et à défendre "l’autre" capitalisme, "celui de la production des biens et services, de la vraie création de richesses".

Comme si capitalisme financier et capitalisme industriel étaient séparables et antinomiques. Le capitalisme est un et indivisible. La forme prise par le capitalisme aujourd’hui, dans le monde entier, n’est que le résultat d’une lente mais inéluctable évolution. A force d’accumulation de capitaux et de concentration des entreprises, depuis des décennies, les capitalistes retirent plus de profits du travail de l’argent placé sur les marchés spéculatifs, que de ceux générés par l’activité industrielle. A supposer qu’il y ait deux capitalismes, leur imbrication est tellement inextricable qu’il est vain de les séparer et, qui plus est, de les opposer.

Ce mode de fonctionnement, cette évolution sont consubstantielles au capitalisme. Je n’arrive pas à croire que les sieurs Delors et Schmidt ne le sachent pas. Alors, pourquoi nient-ils cette évidence ? Parce qu’ils ne veulent pas toucher au système capitaliste. Ils préfèrent faire croire qu’il existerait un bon et un mauvais capitalismes. Il est vrai qu’à un stade antérieur de son développement, quand il était purement industriel, le capitalisme n’était pas que négatif. Aujourd’hui, il est devenu intrinsèquement néfaste pour les peuples.

La plus manifeste des contradictions, c’est que Jacques Delors fustige les banques tout en restant un ardent défenseur des concepts de « concurrence libre et non faussée » et de « libre circulation des capitaux ». Ces deux concepts sont le fil rouge du Traité de Lisbonne.

J’en viens maintenant au fonctionnement de l’Europe, tel qu’envisagé par Jacques Delors, pour la sortir de la crise.

Pour Jacques Delors, des sanctions sont indispensables contre les Etats laxistes. « Les sanctions les plus logiques, dit-il, seraient de priver des fonds d’aide structurelle – pour partie et provisoirement – les pays qui ne pratiqueront pas une politique saine. »

Jacques Delors ne dit pas ce qu’il entend par « politique saine », mais je crains le pire, si je m’en rapporte au virage de la rigueur qu’il a fait prendre à la gauche en 1983. Dont elle n’est d’ailleurs toujours pas sortie. A juste titre, Jacques Delors considère que « les 16 membres de la zone euro n’ont pas été capables d’une vraie coopération. Ils ne réalisent pas qu’ils ont un bien commun à gérer : l’euro".

Il omet de dire, sciemment ou pas, que si le principe de la coopération est admis dans le traité de Lisbonne, l’article 20 du TUE (Traité de l’Union Européenne) (ex-article I-44 du TCE rejeté par 55 % des Français le 29 mai 2005) en limite considérablement les possibilités. Neuf pays, au moins, doivent souhaiter cette coopération renforcée. Et elle doit ensuite être adoptée à l’unanimité des Etats membres, selon l’article 329 du TFUE (Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne) (ex-III-419 du TCE). TUE et TFUE constituent le Traité de Lisbonne.

Jacques Delors regrette qu’il n’existe pas un pacte de coordination économique entre les pays européens. Il regrette aussi une focalisation excessive sur les indicateurs d’inflation et de déficits.

Que dit le Traité de Lisbonne ?

La possibilité de la coordination économique y est certes prévue aux articles 2 et 5 du TFUE. Mais l’ami Jacques Delors oublie de dire qu’elle est largement obérée par de multiples interdictions d’harmonisations, notamment en matière de :

-  lutte contre les discriminations (article 19 du TFUE),

-  politique de l’immigration (article 79 du TFUE),

-  fiscalité (article 113 du TFUE),

-  politique de l’emploi (article 149 du TFUE),

-  politique sociale (article 153 du TFUE),

-  politique commerciale (article 207 du TFUE).

Il est vrai que les initiateurs du traité de Lisbonne, en bons libéraux, ont concocté l’article 151 du TFUE. Dans cet article, il y est écrit en toutes lettres que c’est le « fonctionnement du marché qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux ». Plus fort encore, ils ont concocté l’article 60 du TFUE. Il y est écrit : « Les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire ». Pas d’inquiétude, les spéculateurs peuvent continuer à gagner de l’argent en dormant, sans aucune entrave.

Quant à son regret d’une focalisation excessive sur les indicateurs d’inflation et de déficits, Jacques Delors fait l’âne pour avoir du son. La lutte contre l’inflation est dévolue exclusivement à la Banque centrale européenne. C’est même sa mission principale (article 127 du TFUE). La BCE, totalement indépendante (article 282 du TFUE), n’a aucune mission sur la baisse du chômage, à l’inverse de la banque fédérale des USA.

Mais le clou du spectacle, si je peux m’exprimer ainsi, c’est que Jacques Delors, après avoir pondu des constatations que la gauche anticapitaliste ne renierait pas, fait des propositions qui pourraient signifier un fonctionnement encore plus antidémocratique de l’Europe.

Donc Jacques Delors, bien qu’il regrette le manque de coopération, de coordination, d’harmonisations au niveau de l’Europe, bien qu’il regrette qu’elle soit trop focalisée sur la lutte contre l’inflation, il ne propose pas de modifier les textes européens pour remédier à tous ces manques. Pas du tout. Il propose l’inverse. Il ne faut pas toucher au Traité de Lisbonne sur ces points, mais il faut le modifier pour favoriser des transferts de souveraineté des Etats vers les dirigeants non élus de l’Europe.

Ce disant, Jacques Delors emboîte le pas à Dominique Strauss-Kahn. Ce dernier ne propose-t-il pas de transférer à une autorité budgétaire européenne indépendante, comme l’est la Banque Centrale Européenne, le pouvoir d’établir le cadre budgétaire de chaque Etat et de leur allouer des ressources depuis un budget central ? En attendant d’en arriver là, DSK propose de renforcer les pouvoirs de la Commission de Bruxelles, composée de technocrates non élus.

DSK, Delors même combat !

Le 22 décembre 2010

Robert Mascarell croit plus en l’existence de la lutte des classes qu’en celle de dieu, mais est habité par Zeus le temps d’un rôle.

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