Les politiques et le mur de l’argent (marianne2007.info)

mardi 5 décembre 2006.
 

Au Parti socialiste comme à l’UMP, la " réhabilitation du travail " se trouve au coeur des discours sur fond de débat sur les 35 heures. Pourtant, les deux candidats devront se confronter à un problème bien plus épineux que la simple question de la durée légale du travail :

- celui de la dégradation des revenus du travail en faveur de ceux du capital.

" La France s’appauvrit parce que, quand une entreprise augmente sa valeur ajoutée, elle détruit de la valeur sociale et environnementale " affirmait Ségolène Royal lors du premier débat télévisé pour l’investiture du Parti socialiste. Du côté de l’UMP, le programme législatif fraîchement adopté propose de créer un " choc en faveur des revenus du travail ". Au moment où le Premier ministre Dominique de Villepin prépare discrètement la tenue d’une conférence sur les salaires en décembre.

Que s’est-il passé ?

Des économistes, comme Patrick Artus où comme le keynésien Liêm Hoang-Ngoc[1] s’accordent à dire que la répartition des profits entre travail et capital s’est creusée ces vingt dernières années avant de se stabiliser aujourd’hui. Mais ce partage de la valeur ajoutée reste aujourd’hui plus favorable aux détenteurs de capitaux que dans les années 70. Pendant que les salaires étaient à la peine dans les années 80, les banques, les petits actionnaires ou les grands fonds de pensions ont capté une bonne part des profits. " En 1984, la part des salaires représentait 70% de la valeur ajoutée. Elle est tombée à 60% en 1996 et est remontée autour de 63% aujourd’hui. Actuellement 85% des profits sont redistribués sous forme de dividendes ", résume Liêm Hoang-Ngoc, un économiste proche du courant Nouveau parti socialiste.

Pour Patrick Artus, cette " déformation " du partage entre les revenus du travail et du capital a surtout eu pour conséquence de réduire les investissements dans le secteur industriel et des nouvelles technologies. En exigeant des taux de rentabilité à deux chiffres, les fonds de pension anglo-saxons - propriétaires à 45% des entreprises du CAC 40 - reportent le risque financier sur les entreprises cotées. Ces dernières externalisent alors leurs activités coûteuses en main-d’oeuvre vers des PME, qui à leur tour multiplient les contrats précaires et modèrent les salaires faute de visibilité. "

Le théorème de Schmidt : "les profits d’hier sont les investissements d’aujourd’hui, qui sont les emplois de demain" est totalement faux. La vérité, c’est que les profits sont l’épargne d’aujourd’hui et le chômage de demain ", accuse Liêm Hoang-Ngoc.

Que faire ?

Du côté socialiste, on promet de rééquilibrer la part des salaires dans la valeur ajoutée par une augmentation du Smic et de l’ensemble des rémunérations. Mais la mesure la plus significative du projet consiste à remplacer les cotisations patronales par une contribution globale sur la valeur ajoutée. Ce qui reviendrait à instaurer une sorte d’impôt bis sur les sociétés pour alléger les charges des PME tout en ciblant les profits des entreprises du CAC 40. Une véritable évolution, quand on sait que cette mesure était en discussion depuis près de 15 ans au PS ! Toutefois, cette idée rencontre une forte hostilité des Strauss-kahniens, qui représentent aujourd’hui 20% du parti.

A l’UMP, Nicolas Sarkozy propose d’exonérer de charges sociales et d’impôt sur le revenu les heures supplémentaires " pour créer un choc en faveur des revenus du travail ". "Quatre heures de travail supplémentaires rémunérées 10% de plus et exonérées de charges sociales et fiscales, c’est 15% de salaire net en plus immédiatement " explique le projet législatif de l’UMP pour 2007. Une belle ristourne qui ferait probablement exploser le nombre d’heures sup’. Mais qui pénaliserait les 7 millions de travailleurs à temps partiels dont le salaire horaire et les heures complémentaires seraient toujours soumises à l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales. Au final, le choc en faveur des revenus se partagerait ainsi : beaucoup d’heures sup’ pour les pleins temps et le statu quo où le chômage pour les travailleurs pauvres.

Par ailleurs, le projet de l’UMP qui refuse d’opposer travail et capital, préconise le déblocage de la participation, qui doit permettre de distribuer 25 milliards d’euros aux salariés. Une mesure qui concernerait plutôt les salariés des grandes entreprises comme le note le député UMP Alain Joyandet. En effet, près de 6 millions de salariés travaillent dans des PME-PMI qui n’y ont pas accès. Pour pallier cette carence, Alain Joyandet propose l’idée d’une prime de partage des profits qui ne figure pas dans le programme UMP. " Cela permettrait au chef d’entreprise de faire un chèque à la fin de l’année en fonction des profits. Et il ne serait pas plus taxé qu’un actionnaire qui ne paye pas la sécu ni les cotisations patronales lorsqu’il encaisse sa plus-value " explique le parlementaire, qui est aussi chef d’entreprise.

Le mur de l’argent

Faut-il croire Nicolas Sarkozy lorsqu’il affirme " Les socialistes disent : faisons payer le capital ! Mais si le capital paye trop, il s’en ira " ?

François Morin[2], auteur d’un essai intitulé Le Nouveau mur de l’argent, confirme le chantage évident que les financiers exercent sur les gouvernements. Interrogé par Marianne2007.info, l’économiste est pessimiste sur la marge de manoeuvre des candidats : " Ils seront confrontés à un nouveau mur de l’argent à l’échelle mondiale qui risque de provoquer de graves crises tout en pressurant les salariés. Mon hypothèse, c’est que la confrontation est inévitable. Mais pour cela il faudrait que la campagne politique mette au centre cette évolution et pose le débat de la financiarisation de l’économie", explique François Morin.

" Aujourd’hui la richesse des Etats du monde entier (PIB) est estimée à 43 000 milliards de dollars. Or la richesse des marchés financiers est 23 fois plus importante. Face à des acteurs globaux, il est indispensable de proposer des dispositifs globaux plutôt que de raisonner dans le cadre d’un territoire national " conclut-il. Faute de quoi la nécessité d’un nouveau partage des profits risque fort de tomber dans le fossé de l’oubli.

A l’image de ce petit extrait d’un discours de François Hollande prononcé en 2005 : " La mondialisation d’aujourd’hui, c’est le mur de l’argent d’hier. (...) Les marchés imposaient déjà leur loi : le Cartel des gauches est tombé sous le coup du mur de l’argent, le Front populaire est tombé avec les dévaluations et la Banque de France résistant autant que possible pour mettre le gouvernement du Front populaire en situation d’échec.". Le premier secrétaire clôturait alors un colloque célébrant " 100 ans de socialisme ".

Notes

[1] A paraître : Vive l’impôt, Liêm Hoang-Ngoc, Janvier 2007, Grasset

[2] Le nouveau mur de l’argent, essai sur la finance globalisée, François Morin, 2006, Seuil

Octave Bonnaud


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