Eurodéputés de droite et socialistes unis proposent audacieusement le droit de pétition (avec beaucoup de conditions)

mercredi 29 décembre 2010.
 

Parmi les rapports de la dernière session du parlement européen figurait celui présenté en commun par messieurs Lamassoure (PPE, droite) et Gurna (Socialiste, PSE). Ce touchant duo s’est mis en charge de donner un contenu concret et un mode d’emploi à la fabuleuse nouvelle soi disant « avancée démocratique » que serait le droit de pétition contenu dans le traité de Lisbonne. On se souvient peut-être que cette nouveauté figurait avant déjà dans les traités précédents. Il suffisait alors de deux personnes pour lancer une pétition européenne. Le grand progrès est qu’il en faut désormais un million pour être recevable. Pour autant la démarche n’offre rien de plus qu’auparavant. Mais une magnifique usine à gaz est instituée. Je la décris parce que je m’attends à un nouveau concert d’auto célébrations sur la démocratie européenne. Nous en avons eu un avant goût sur place avec toutes sortes de phrases ronflantes sur le « grand pas » franchi vers la démocratie des citoyens et bla bla bla.

En fait, de quoi s’agit-il ? L’initiative citoyenne c’est le nom du droit de pétition d’autrefois. La proposition de la droite et des sociaux démocrates se base sur l’article 11.4 du Traité sur l’UE et l’article 24 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE contenus dans le Traité de Lisbonne. Bonjour la clarté. Bon. L’article 24 énonce le droit et dit qui va le mettre en œuvre. "Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d’une initiative citoyenne au sens de l’article 11 du traité sur l’Union européenne, y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir". De son côté l’article 11. 4. Dit quelle est la finalité de ce droit d’initiative si merveilleux. "Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités." Je ne souligne pas les mots. Je fais le pari que mes lecteurs perçoivent tout de suite l’enfumage que dégagent des phrases de ce type. Les trouvailles pour la mise en œuvre concrète sont à la hauteur de la plaisanterie initiale.

Voyons de près.

Que propose la Commission Barroso à propos de ce droit de pétition ? Elle commence par indiquer que « l’instrument » doit rester facile à utiliser. Heureusement qu’elle le dit ! Au vu des innombrables formalités qu’elle propose de remplir on peut largement en douter ! Vous voulez proposer une initiative citoyenne ? Le casse-tête commence. Vous devez être un citoyen européen en âge de voter ou une personne morale établie dans l’UE. Facile. Vous devez commencer par enregistrer votre proposition d’initiative auprès de la Commission en fournissant tous les objectifs, et en indiquant les sources de financements et de soutien envisagés. Tous vos signataires devront être des citoyens européens en âge de voter. Si vous recueillez 300 000 signataires provenant d’au moins trois Etats membres vous pouvez demander à la Commission qu’elle vous dise si elle estime votre initiative recevable ou pas. La Commission a deux mois pour vous répondre. Si l’initiative est "contraire aux valeurs de l’UE" elle sera rejetée. Pareil si elle ne rentre pas dans le cadre des traités et des compétences de la Commission. Inutile donc de faire une pétition contre le traité de Lisbonne, la concurrence libre et non faussée ou l’une quelconque des merveilles de « l’Europe qui protège ».

Vous avez passé cette étape ? Il va falloir maintenant obtenir 1 million de signataires. Pas n’importe lesquels ! Ils doivent être issus d’au moins un tiers des Etats membres. Evidemment il faut aussi un nombre minimal de signataires pour chaque Etat membre. Par exemple 55 500 en France, 16 500 en Belgique, 72 000 en Allemagne, 40 500 en Espagne… Vous avez réussi ça ? Vous êtes très forts ! Et bien maintenant il faut encore que les autorités compétentes des Etats membres certifient tous les soutiens obtenus sur leur territoire dans un délai de 3 mois. Ce n’est pas le plus simple. Mais si tout cela est fait, la Commission a 4 mois pour examiner l’initiative et remettre ses conclusions. Ça peut être une fin de non recevoir. En effet, il n’y a aucune obligation côté Commission. Aucune. Mais si elle le veut, et seulement si elle le veut, la Commission peut alors entreprendre une action législative. Dont le contenu dépend uniquement d’elle. Formidable avancée, non ?

Arrivent là dessus, bras dessus bras dessous, nos députés de droite et du PS qui déposent un rapport. Que propose leur rapport ? Il consiste en une série d’amendements au texte de la Commission. Rien de plus. Parmi eux, quelques actes héroïques. L’abaissement du seuil pour lancer une initiative citoyenne : le rapport propose que les signataires admissibles proviennent d’au moins un cinquième de l’ensemble des États membres. Au lieu d’un tiers ! La terre tremble devant une telle audace. Puis le rapport estime que pour présenter une initiative, les organisateurs devraient se constituer en comité de citoyens composé d’au moins 7 membres résidant dans au moins 7 États membres. Rien de tout cela n’était exigé avant la grande avancée démocratique du traité de Lisbonne. Mais par contre les courageux osent braver la Commission. Soyons fous ! Ils proposent de supprimer le seuil des 300 000 citoyens issus de 3 Etats membres pour avoir le droit…de savoir si la démarche est valide. Wee ! Quelle audace ! Ils proposent que la Commission enregistre une proposition d’initiative dans les deux mois qui suivent sa réception, dès lors que des conditions sont remplies. Mais où vont-ils chercher tout ça ? Attention les conditions sont sérieuses. Première condition : le comité de citoyens a été constitué et les personnes de contact ont été désignées. Deuxième condition : il n’y a pas de divergences manifestes et substantielles entre les versions linguistiques de l’intitulé de l’objet et des objectifs de l’initiative proposée. Génial ! Ce n’est pas tout : il faut que l’initiative ne se trouve pas manifestement en dehors des compétences de la Commission, définies par les traités, pour proposer l’acte juridique demandé. Ach ! Jusqu’où iront-ils en audace ! Et ce n’est pas fini. Encore une condition : l’initiative proposée ne doit pas être « manifestement injurieuse, frivole ou vexatoire ». Donc pour la rigolade ce ne sera pas là. Mais le meilleur est pour la fin. L’ultime condition est que l’initiative proposée ne doit pas être manifestement contraire aux valeurs de l’Union telles qu’elles sont énoncées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne. " les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités (…) le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes". Et hop ! Bonne pétition les amis ! Je me suis abstenu. J’aurais volontiers voté contre pour montrer que je ne suis pas dupe d’une telle mascarade. Mais comme je sais que de nombreux amis très chers sont déjà en train de préparer des pétitions pour faire de l’agitation et de la conscientisation sur divers sujets, je me contente de m’abstenir, par camaraderie et pour ne pas décourager les bonnes volontés. Ce que je viens de vous présenter est le moyen pour moi de soulager tout le mépris que m’inspirent ceux qui prennent les autres pour des imbéciles et osent présenter des trouvailles de cette sorte comme des avancées de la démocratie.

Surtout quand la démocratie en Europe a subi un nouveau et terrible recul. Par twitt du président de je ne sais quoi Herman Von Rompuy, les branchés ont appris le contenu de l’accord intervenu entre les gouvernements européens. Le mécanisme d’intervention pour stabiliser les finances d’un Etat attaqué par les voyous banksters a été adopté. En effet, le dispositif précédent était provisoire et surtout totalement contraire au Traité de Lisbonne. En résumé les Etats seront dorénavant surveillés tout le temps et si leurs budgets ne correspondent pas aux normes libérales les Etats seront punis par des amendes. Des retraits de droits de vote au conseil ont même été envisagés. Si vous ne me croyez pas vérifiez vous-même. Tout ce que nous avions dit, en déposant la proposition de loi de Martine Billard sur la préservation de la souveraineté budgétaire, est ainsi confirmé. Comme c’est tout de même une sacrée modification du Traité, il faut la faire accepter par chaque pays. Mais auparavant les belles personnes ont décidé d’adopter la procédure « simplifiée » qui les dispensent de convoquer une « Convention européenne ». Et ils se sont jurés de ne convoquer aucun référendum dans aucun pays. Ce nouveau désastre sera approuvé comme d’habitude par les socialistes moins trois ou quatre bougons, la droite moins un ou deux isolés. Les Verts et le PRG exploseront littéralement de joie et d’enthousiasme dans une transe eurolâtre traditionnelle. La haine contre cette soi disant « Europe qui protège » va faire un bond en avant le premier jour où je ne sais quel Etat décidera de demander d’ajouter au malheur d’un peuple l’humiliation d’une amende et d’un retrait de son droit de vote parmi ses bourreaux.


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