L’Intifadha de Sidi Bouzid est spontanée mais elle a hissé très haut la bannière de la résistance

mercredi 29 décembre 2010.
 

L’Intifadha de Sidi Bouzid a démarré en réaction au suicide du jeune Mohammed Bouazizi qui s’est immolé par le feu après s’être vu interdire par les services municipaux d’exercer une activité marginale mettant sa famille à l’abri de la faim,-alors qu’il est lui-même chômeur et titulaire de diplômes scientifiques-, au prétexte que son activité n’était pas légale. Cet événement a été suivi deux jours plus tard du suicide d’Houssine Felhi qui s’est jeté d’un pylône et est mort sur le champ. L’étincelle de la colère s’est propagée aux villes voisines (Meknessy, Menzel Bouzaiene, Jelma, Rgueb, Souk El Jadid, Sebbala).

La vague de protestation se caractérise, du fait de la répression, par son caractère violent ; dans la plus part des cas il s’agit d’affrontements directs de la jeunesse révoltée et vindicative avec les forces de la police qui poursuit dans la voie de la répression et qui en vient à tirer à balles réelles sur les protestataires, comme cela a été le cas à Menzel Bouzaïene, tir qui a fait une victime, le jeune Lotfi Laamari, martyr de cette ville.

L’intifadha des citoyens de Sidi Bouzid et son extension très rapide aux villes voisines, qui en dépendent administrativement, -ainsi que le niveau de la répression qui a accueilli ces protestations- ont été à l’aube d’une vague de soutien qui a submergé la plupart des villes du pays. Il s’agit de protestations, qui, si elles n’ont pas encore l’intensité de celle de Sidi Bouzid, y sont du moins candidates et dans nombre de villes comme Kasserine, Jendouba, Le Kef, Gafsa, Feriana, Tala, Jbiniana et d’autres comme celles villes du bassin minier.

L’immolation de Mohammed Bouazizi et l’électrocution d’Houssine Felhi ne sont que la goutte qui a fait déborder le vase, dans un océan de colère accumulée face aux politiques du pouvoir. Les raisons en sont nombreuses et variées et n’attendaient que l’étincelle pour exploser.

Dans une région considérée comme la plus pauvre des villes de l’intérieur, le fait d’être un bastion du parti au pouvoir ne l’empêche pas d’être la région au plus fort taux de chômage des diplômés, d’être la dernière région en terme de chiffres observés de développement régional, ou encore d’être en tête de la liste des régions en terme de taux de pauvreté, de marginalisation, d’exclusion et d’injustice. La région a pâti depuis l’époque bourguibienne de cette injustice, approfondie après le coup d’Etat du 7 novembre et qui s’est renforcée avec la crise qui a frappé la société à cause de la politique d’ajustement structurel des liens avec l’économie de marché, ces politiques imposées par les banques mondiales et les associés européens.

Les causes de l’Intifadha, de façon générale, ont à voir avec le fait que le pouvoir a persévéré dans la voie de la restriction des libertés politiques pour le citoyen ; cela a été concomitant de l’échec des politiques en place et ce à tous les niveaux, qui s’est approfondi notoirement dans la dernière décennie, surtout dans les régions de l’intérieur.

L’absence de perspectives politiques et sociales, le renforcement du joug répressif du pouvoir et la confiscation des moindres droits élémentaires du citoyen, l’approfondissement de la paupérisation, de la marginalisation, du chômage et des disparités régionales dans le développement, l’acharnement du pouvoir à couvrir cette injustice par des rafistolages dépassés et formels, sont à l’origine des diverses explosions sociales des trois dernières années en Tunisie dans les régions les plus pauvres et marginalisées, comme la région du bassin minier, la région de Ben Guerdane et la région de Sidi Bouzid.

Une Intifadha spontanée mais qui a hissé très haut la bannière de la résistance

L’intifadha de Sidi Bouzid qui a démarré de façon spontanée semble aujourd’hui capable de continuer et de résister face à la répression noire à laquelle elle fait face ainsi qu’au niveau de la réalisation des revendications portées par les masses insurgées, surtout après que le pouvoir ait annoncé par un message clair qu’il n’avait pas de solution sinon la répression et la poigne de fer. Divers éléments retiendront l’attention de l’observateur : on a une opposition au pouvoir qui se radicalise, lequel pouvoir n’a que la répression et des solutions formelles à opposer aux revendications des masses et qui ne traiteront pas les origines des problèmes de même que les promesses fulgurantes ne parviendront pas à faire cesser la protestation. Et quand bien même le pouvoir parviendrait à l’éteindre maintenant, il ne pourrait l’empêcher de reprendre, non seulement à Sidi Bouzid, mais dans toutes les régions marginalisées et paupérisées.

Le premier élément important dans l’intifadha de Sidi Bouzid est la rapidité de l’extension du mouvement de protestation, puisqu’en trois jours, il a englobé la plupart des villes avoisinantes du centre du gouvernorat d’où a jailli l’étincelle initiale de l’Intifadha. C’est une donnée nouvelle par rapport à la plupart des protestations antérieures, restées cantonnées, et qui ne s’étaient pas étendues. C’est un facteur sur lequel le pouvoir comptait toujours pour épuiser le mouvement, l’encercler, le réprimer ou le détruire de l’intérieur et imposer des solutions frelatées ou des promesses mensongères, à l’instar de ce qui s’est passé pour le bassin minier il y a deux ans ou à Ben Guerdane l’année passée.

Le second élément important également est la rapidité de la vague de soutien et de solidarité avec les citoyens révoltés de Sidi Bouzid et de dénonciation de leur répression par les appareils de police. Cette vague a secoué de nombreuses villes qui ont vu des mobilisations de soutien dont on ne peut croire qu’elles ne soient motivées que par le souci de solidarité. En réalité il s’agit de l’expression par ces masses de leur refus de la situation qui leur est faite. C’est une donnée nouvelle qui nous donne à croire que nous allons vers une accumulation débouchant sur une intifadha globale dans le pays. C’est un développement de la situation où jusqu’à ce jour, la situation évolue spontanément, sans direction politique ou locale, excepté des formes d’auto organisation embryonnaires de la résistance créées par des citoyens ici et là, et c’est particulièrement le fait de la jeunesse la plus à l’initiative, résistante, active et déterminée à poursuivre la mobilisation et affronter la violente répression qu’oppose le pouvoir à toutes les manifestations.

Quant au troisième élément important dans l’Intifadha de Sidi Bouzid en particulier et dans l’ensemble des mouvements qui ont eu lieu et se poursuivent, -même si c’est de façon discontinue-, c’est l’unité des slogans scandés par les protestataires dans toutes les manifestations, et les rassemblements ainsi que leur radicalité. A l’origine, il s’agissait de revendications ayant trait au droit à l’emploi et à l’équité dans le développement entre les régions, et nous entendons scander des slogans relatifs aux libertés démocratiques comme le droit de s’exprimer de manifester, la dénonciation de la corruption, la revendication du départ de Ben Ali et la chute du parti au pouvoir, tous slogans qui lient le social et le politique, et qui n’avaient pas cours dans les mobilisations précédentes.

Quant au quatrième élément important, c’est que le mouvement des masses a dépassé le programme du mouvement politique opposant en général de son extrême gauche à son extrême droite, qui ont été incapables sur des décennies de faire le lien entre les revendications sociales et les revendications politiques et de considérer que les revendications sociales étaient un levier pour les revendications politiques. C’est pourquoi ce mouvement politique est resté isolé des masses et incapable de s’ancrer en leur sein. Il est resté replié sur lui-même, ne dépassant pas dans son opposition le niveau de la lutte pour les droits, l’humanitaire et l’électoralisme.

Le cinquième élément est l’importance de la jeunesse en général et plus précisément celle des diplômés chômeurs et la capacité de ces derniers à résister et à poursuivre la mobilisation en dépit de la répression violente. C’est une catégorie dont les événements ont démontré l’importance face au pouvoir eu égard à sa base radicale et résistante.

Les perspectives de l’Intifadha

Même si l’Intifadha de Sidi Bouzid a éclaté spontanément et s’est élargie dans une situation et un rapport de forces dégradé évidemment en faveur de la dictature, ainsi qu’en l’absence totale de direction capable d’organiser les mouvements, de les unifier et de les faire progresser jusqu’à la satisfaction des revendications des masses, on est autorisé cependant à dire qu’il y a des possibilités sur lesquelles on peut parier pour dépasser cette faiblesse inhérente à toutes les mobilisations si les militants actifs, les syndicalistes radicaux et tous ceux à qui a incombé d’organiser les mouvements qui ont eu lieu dans les sièges de l’Union Générale Tunisienne du Travail en dépit de l’opposition de la bureaucratie, ainsi que les jeunes diplômés chômeurs, la jeunesse étudiante et lycéenne, constituent des comités de l’Intifadha en tous lieux dont la mission sera d’organiser les mouvements de les unifier, de les poursuivre et de les coordonner avec d’autres régions.

Nous le disons car nous savons que lorsque explosent des intifadhas ou des protestations nombre de problèmes qui étaient de simples idées portées par ceux qui en avaient une conscience avancée se transforment en questions pratiques brulantes posées par une masse importante et ils requièrent des solutions pratiques et non des paroles ou des slogans.

Tous les indicateurs mettent en exergue l’élément absent dont les conséquences seront négatives dans la poursuite du mouvement et sa radicalisation, c’est l’organisation. Il est possible de dépasser ce point comme nous l’avons indiqué. Et nombre de signes indiquent que les protestataires n’ont plus confiance ni dans les cadres officiels dont ils savent qu’ils sont responsables de toutes les politiques d’injustice, ni dans l’opposition politique dont ils savent qu’elle ne se préoccupe pas d’eux et les délaisse à chaque fois que la barre est mise haut, tant au plan social que dans la radicalité.

Travailler à réaliser cette tâche aujourd’hui poussera vers l’avant toutes les activités politiques de l’opposition démocratique et des structures de la société civile en soutien à l’Intifadha. Elles se trouveront alors enclines à radicaliser leur solidarité et ne se contenteront plus de pondre un communiqué de dénonciation et de revendication mais passeront au niveau supérieur, celui de la mobilisation et du mouvement sur le terrain.

L’émergence d’une structure de direction de l’Intifadha dans chaque région radicalisera l’action de ces comités qui se sont auto proclamés comités de soutien et dont nous n’avons pas entendu ou vu jusqu’à aujourd’hui qu’ils aient pris une initiative concrète dans le sens d’un appui réel à l’Intifadha si ce n’est des communiqués et des déclarations médiatiques qui s’en tiennent à l’analyse et l’identification.

Les masses peuvent à tout moment se dégager de la peur du pouvoir et des appareils de répression de l’Etat. Elles le feront lorsqu’elles auront confiance dans leurs propres forces et se seront unifiées autour de leur revendication. Cette conscience dont les masses ont besoin, elles ne la trouveront ni dans les livres ni dans les communiqués, c’est une conscience qui s’acquiert dans la pratique de terrain, dans la rue, en arrachant leurs droits, et c’est ce qui est train de se produire.

Ce moment qui sépare la conscience de la pratique, il faut le radicaliser en dépassant l’obstacle de l’organisation car c’est par elle seulement que les masses pourront se muer en un bloc compact difficile à détruire ou à faire s’agenouiller, même si son activité devait décliner ou s’éteindre à cause de la répression, ce ne serait que passager et rapidement, elle reprendrait, l’audace serait à nouveau de plus en plus forte et plus forte que par le passé.

En conclusion, on peut dire que si cette tâche n’était pas réalisée, la situation serait candidate à la fin de l’Intifadha par la répression et le dernier discours du pouvoir constitue un message clair. Le choix de la répression est le seul pour lequel il puisse opter.

Béchir Hamdi

Sidi Bouzid

29 décembre 2010


HAMDI Béchir

* Traduction Luiza Toscane – ni revue ni corrigée par l’auteur de la version en arabe.


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