L’ambition du Parti de Gauche (Lignes d’horizon 1)

jeudi 6 janvier 2011.
 

Nous commençons aujourd’hui la mise en ligne quotidienne de textes dont le nom de rubrique sera Réflexion ouverte.

La contribution ci-dessous constitue l’introduction d’un travail discuté pour le deuxième congrès du PG

Notre époque va vers de grands bouleversements. La crise du capitalisme et le désastre écologique se combinent, aiguisant les tensions et les conflits à l’échelle de la planète. La mondialisation libérale, ce nouvel âge du capitalisme, a débouché sur une impasse. La société humaine tout entière est à la croisée des chemins. Cette crise de civilisation ne peut pas être résolue par une cure de moralisation ou de régulation du capitalisme. Une nouvelle émancipation, un nouvel âge du socialisme, est ainsi à l’ordre du jour, qui dépasse non seulement le capitalisme lui même et le productivisme, mais touche la conception que nous avons du progrès humain. C’est à cette ambition que nous voulons contribuer.

Dans ce contexte, le « mouvement ouvrier », les « gauches » sont sorti sévèrement ébranlés du siècle passé. L’idéal républicain issu des Lumières et de la Révolution française n’est pas accompli.

La grande espérance révolutionnaire de dépassement du capitalisme qui avait émergé comme réponse à la barbarie de la première guerre mondiale a sombré dans le cauchemar du stalinisme et de ses variantes. Les tentatives de transformation par les réformes progressives ont vu leurs protagonistes sociaux-démocrates finir dans la gestion du capitalisme libéral. Malgré nombre de conquêtes sociales et démocratiques arrachées au fil de ces combats, les idées qui avaient symbolisé la volonté du changement social ont perdu la force d’entraînement que l’adhésion de dizaines de millions de femmes et d’hommes de par le monde leur donnait. Les mots eux-mêmes qui servent à les désigner ont été dévalorisés. Du coup, face à des droites qui ont trouvé un nouvel élan dans la contre-révolution libérale-conservatrice de ces dernières décennies, la désorientation qui domine encore à gauche freine les exigences de refondation.

Et pourtant, la crise actuelle du capitalisme fait taire les propagandistes de la « fin de l’Histoire ». Le libéralisme n’a pas débouché sur la nouvelle ère de prospérité promise. Les foyers de tensions et de guerres se sont étendus. Le désastre écologique et climatique avance. Il met en cause la légitimité même du système dans les esprits les plus éloignés de la politique. Et puis, chacun le constate : tandis que la richesse et les biens produits augmentent, l’exploitation perdure et les inégalités se creusent, la souffrance au travail se développe, les fléaux sanitaires se multiplient.

Les ressources des sciences et des techniques se sont accrues, mais elles tendent à être de plus en plus asservies aux objectifs mutilants de la marchandisation généralisée. Ces paradoxes interpellent nombre de consciences. La compréhension qu’un certain nombre de ressources de la planète non seulement ne sont pas renouvelables mais en cours d’épuisement, la perception d’une nouvelle extinction des espèces et la perte accélérée de biodiversité, la sensibilisation au réchauffement climatique avec toutes ses conséquences pour la vie sur la planète et la mesure des impasses du capitalisme et du productivisme ont accru la disponibilité des esprits et des coeurs pour imaginer d’autres modèles de société pour le futur.

La réflexion programmatique fondatrice de notre parti veut donc prendre à bras le corps les défis ainsi posés à l’humanité. C’est cette ambition qui est attendue de l’action politique de nos jours. Nous voulons dire notre vision de l’avenir, en cerner les grands enjeux, dessiner les contours d’un projet de société, indiquer les leviers pour y parvenir, et, enfin, définir une stratégie pour atteindre ces objectifs. Nous savons que notre projet ne peut pas être le produit d’une élaboration en vase clos. Mais c’est notre devoir de faire des propositions claires et argumentées. Bien sûr elles devront faire l’objet de débats et de confrontations avec diverses histoires et cultures politiques, avec les expériences issues du mouvement social dans sa richesse et sa diversité. Rien n’est plus indispensable que le débat que nous voulons engager pour penser ensemble l’avenir.

Car nous sommes nombreux à voir que la sortie de crise visée par les pilotes actuels du capitalisme ne peut qu’aggraver la situation et les tensions. Nous ne pouvons croire ni aux discours sur la « moralisation » de la globalisation financière grâce à une « nouvelle gouvernance », ni partager l’illusion d’un « capitalisme vert ». Ceux qui en parlent n’en veulent pas réellement.

Leurs actes en témoignent. Comment accepter que pour toute réponse aux défis de l’histoire, les possédants aient pour seul projet de restaurer les profits évaporés, en accentuant la surexploitation du travail et des ressources de la planète ? Comment supporter leur volonté de poursuivre la casse des services publics et d’étendre sans cesse la sphère de la marchandisation, dans le seul but de conquérir de nouveaux marchés avec leurs nouvelles opportunités de profit ? Comment admettre que la démocratie, la souveraineté populaire, l’esprit même de la République, soient mis à mal par les dénis de souveraineté populaire, la restriction délibérée des libertés publiques, la criminalisation croissante des mouvements sociaux ?

Face à ces défis, des résistances s’organisent, des luttes se mènent, de nouvelles perspectives se cherchent partout dans le monde. Des avancées et des reculs ici et là ponctuent le moment que nous vivons. Mais, pour l’heure, aucune dynamique d’ensemble ne se dessine. Pour nous, la tâche de notre temps est de faire naître une nouvelle gauche, capable de faire la synthèse du meilleur des traditions du mouvement ouvrier, de l’écologie politique, des combats républicains et des mouvements sociaux, comme le féminisme et l’alter-mondialisme, afin d’entrer de plain-pied dans notre siècle avec une ambition raisonnée.

Dans cet esprit, notre vision s’organise autour du mot qui la résume, à tous les niveaux d’échelle de la réalité, de l’individu à la société toute entière :

EMANCIPATION

L’émancipation de l’être humain est un projet global, il s’oppose point pour point à celui des libéraux. Car eux visent au contraire à dégager les forces aveugles du marché de toute contrainte politique, ou démocratique. Dans l’émancipation, le point de départ et d’arrivée est la personne humaine. C’est elle qu’il s’agit de rendre auteur de sa propre émancipation vis-à-vis des servitudes de l’ignorance, de l’exploitation et de l’inégalité sociale, du règne de l’argent et de l’égoïsme, des dominations culturelles et symboliques, du communautarisme et du racisme, du mercantilisme et du consumérisme. Nous parlons d’une nouvelle émancipation, parce que nous voulons la situer dans les réalités nouvelles de notre époque, qui ajoutent aux dominations du passé celles qui sont particulières au nouvel âge du capitalisme et du productivisme dans lequel nous vivons. Notre société de l’émancipation doit viser le « mieux être pour tous » et « la vie dans la dignité » pour chacun.

Dans notre pays, le nouvel âge du capitalisme et la déferlante néolibérale posent des défis particuliers. En effet l’histoire de notre pays s’est confondue avec celle de la naissance de la République et de son évolution, de la place particulière de l’État et des services publics, des grandes mobilisations et conquêtes ouvrières, du pacte social et démocratique qui s’est construit au fil des luttes, des guerres et des révolutions. L’application implacable du programme libéral sous la férule de Nicolas Sarkozy menace l’identité républicaine du pays quand elle veut disloquer le socle qui la constitue. L’ultra personnalisation de la 5ème République, l’abaissement de l’idée républicaine réduite au maintien de l’ordre, la remise en cause du principe de laïcité, la dislocation des liens sociaux, la diffusion d’une culture de masse de l’égoïsme, ont rendu confuse l’idée républicaine elle-même aux yeux du plus grand nombre.

Rien ne semble parvenir à enrayer cette offensive. Si elles l’ont freinée, les mobilisations sociales ne parviennent toutefois pas à fissurer le front du patronat et du gouvernement contre les acquis sociaux. La ratification du Traité de Lisbonne par les élites contre les peuples remet lourdement en cause la souveraineté populaire. La gauche dans sa diversité reste incapable d’incarner une alternative crédible. Le Parti socialiste qui la domine aujourd’hui s’oriente vers un renoncement décisif quand il veut se mettre au diapason de la social-démocratie internationale avec ses alliances au centre. L’exemple de l’Italie montre à quelle autodissolution cela conduit. Pourtant, l’ampleur des mobilisations sociales de ces dernières années et la conscience politique révélée par la victoire du Non au référendum de 2005 montrent qu’il existe de grandes potentialités pour ouvrir une autre voie.

Il y a urgence à faire surgir une alternative qui propose un nouvel horizon et permette de remobiliser les classes populaires, de plus en plus gagnées par le désengagement électoral.

L’objectif, c’est le dépassement du capitalisme et la mise en oeuvre d’un changement radical de société. Nous voulons conquérir une majorité électorale pour le changement. Nous voulons construire une perspective de nouvelle majorité à gauche, appuyée sur la mobilisation populaire consciente. C’est assez dire le rôle que nous voulons voir jouer à l’éducation, et plus encore à l’éducation populaire ; un de ses piliers est l’émancipation de l’individu, nourri par la culture qu’il devra se réapproprier. Nous voulons le faire avec une grande ambition sur des propositions de rupture avec le modèle libéral productiviste. Par la bataille idéologique et politique autour de ces propositions, nous voulons rassembler un bloc social majoritaire de toutes celles et ceux qui aspirent à un réel changement et un véritable progrès humain. Pour nous, la première condition, c’est une dynamique à gauche, pour changer les rapports de forces internes à la gauche. Nous voulons battre la domination social-libérale et faire prévaloir l’ambition d’une rupture transformatrice.

Le moyen, c’est d’abord le rassemblement de l’autre gauche ; la méthode, l’articulation de son projet et de son action avec les luttes et le mouvement social. La stratégie, c’est la remobilisation des électeurs pour rendre ce changement de gauche possible. La tactique, c’est de s’engager de façon autonome au premier tour des élections pour chercher à passer en tête de la gauche, tout en posant pour règle intransigeante le désistement ou le rassemblement au deuxième tour pour battre la droite.

Le Parti de Gauche est un levier décisif et essentiel pour entreprendre cette refondation/reconstruction à gauche. Nous ne prétendons pas y parvenir seuls. Nous croyons dans le potentiel de dynamisme de la société civile. Nous voulons le faire avec tous les courants politiques et les forces citoyennes, associatives et syndicales qui partagent cette ambition. Notre visée est de constituer avec eux un Front durable, présent dans les luttes et les mobilisations, représenté par des candidatures ou des listes communes à chacun des rendez vous du suffrage universel. Dans la perspective de notre réflexion programmatique fondatrice, nous voulons débattre de tous les éléments, qu’ainsi nous versons à la réflexion collective. Notre objectif dans ces échanges est d’approfondir notre compréhension du moment que nous vivons et d’élargir le champ de nos propositions. C’est l’objet de ce texte.

COMPRENDRE

Le Parti de Gauche veut être un « parti creuset ».

C’est pourquoi, il se revendique comme l’héritier, conscient et critique, de toute la diversité des idées et des cultures qui ont contribué à formuler l’idéal émancipateur qu’a porté le socialisme au fil de l’histoire. Pour nous, comme pour ceux qui nous ont précédés dans cette lutte séculaire, il s’agit d’accomplir la même promesse : celle d’une égale émancipation globale pour toutes les femmes et tous les hommes.

Le Parti de Gauche n’est pas un parti dogmatique. S’il se réclame d’un héritage, il inscrit aussi sa réflexion dans le cadre d’une critique rationnelle argumentée de la réalité qui est celle de son temps et sur laquelle il veut agir pour la transformer. Il la soumet au débat pour qu’elle soit améliorée.

Cette critique veut être rigoureuse et radicale. Elle englobe tous les aspects des aliénations et des impasses où le capitalisme, le libéralisme économique et le modèle productiviste conduisent les sociétés humaines. Elle vise à nous libérer de l’ordre qui s’installe : global, celui-ci n’excepte aucun lieu et le monde est son domaine ; totalitaire, il vise à étendre son empire à chacun des compartiments de l’activité humaine — la vie elle-même est désormais un champ ouvert à la marchandisation — et il refuse toute entrave à une expansion qu’il veut sans limite. C’est pourquoi, usant d’un mot qui tout à la fois désigne sa forme et sa pente politique, on le nommera un ordre globalitaire.

Le monde a donc changé, profondément. La période que nous vivons est ainsi celle d’un nouvel âge du capitalisme. C’est ce monde là qu’il s’agit de comprendre : celui de ce nouvel état et de la crise du capitalisme contemporain, celui aussi de la crise écologique, qui modifie profondément les conditions d’un projet de transformation de la société, et cela dans le contexte particulier que l’on désigne comme celui de la mondialisation(1).

Cette crise est systémique, car tout à la fois économique (2), écologique (3), sociale (4), alimentaire (5), culturelle (6), idéologique (7) et géopolitique (8). Le monde est ainsi entraîné dans une impasse sans précédent. Au demeurant, le combat pour éviter ces impasses s’est trouvé totalement entravé par le défaut de cela même qui aurait pu nous en protéger : l’Union Européenne. Elle aurait dû être la solution, elle est devenue le problème. Tel est le résultat du dévoiement néolibéral de sa construction (9).

Tel est le contexte, profondément nouveau, dans lequel s’inscrivent les principaux axes de travail sur lesquels le Parti de Gauche veut construire un programme de ruptures écologiques et sociales pour le XXIe siècle.


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