Pourquoi Ségolène Royal l’a-t-elle emporté ? (JJ Chavigné, FMDS)

lundi 27 novembre 2006.
 

Ségolène Royal l’a emporté sur Laurent Fabius. Pourtant, ce dernier proposait un certain nombre de mesures (augmentation de 100 euros du Smic, renationalisation d’EDF...) qui étaient beaucoup plus conformes aux aspirations de la société. Pourquoi, dans ces conditions, Ségolène Royale l’a-t-elle emporté ?

La première explication tient à l’existence des institutions de la Vème République qui ont pesé très lourd dans le débat interne du PS. L’élection présidentielle permet une personnalisation à l’extrême de la politique. C’est là une différence essentielle avec le vote pour le TCE : autant il était difficile de personnaliser le vote pour la Constitution européenne, autant il était facile pour les médias de personnaliser le choix d’un candidat à la présidentielle. Et ils ne s’en sont pas privés, avec la même absence de vergogne que lorsqu’ils faisaient campagne pour le oui mais avec beaucoup plus de succès.

La deuxième explication tient à l’évolution des débats au sein même du Parti Socialiste où la synthèse du Mans et l’adoption du projet socialiste ont ouvert un boulevard à la candidature de Ségolène Royal.

Lors du référendum interne, le " non " avait obtenu 42 % des suffrages malgré d’intenses manipulations dans certaines grosses fédérations.

Lors du congrès du Mans, la Motion 1 (celle de la direction du parti) enregistrait un nouveau recul et ne recueillait que 53 % des suffrages. Mais la synthèse du Mans a cassé net la progression de la gauche du Parti Socialiste. Elle reprenait l’essentiel de la Motion 1. La motions 2 et la motion 5 (Henri Emmanuelli, Benoît Hamon, Vincent Peillon) ne pesaient qu’à la marge dans la rédaction de cette synthèse. Le débat (ou plutôt le non-débat) sur le projet parachevait cette acceptation des thèses de la Motion 1. Or, la synthèse avait été acceptée par tous les dirigeants de la gauche du Parti Socialiste, à l’exception de Marc Dolez, Gérard Filoche et Arnaud Montebourg.

Quant au projet, il a été accepté par les mêmes, à l’exception[1] encore d’une fois de Marc Dolez et de Gérard Filoche qui s’était prononcé contre et de Arnaud Montebourg qui s’était abstenu et finalement l’a voté le 1er juillet...

Les dirigeants de gauche du parti disaient " notre candidat c’est le projet... " ils ne se sont pas battus sur le projet, ils ont été battus sur le candidat...

La politique a horreur du vide. A partir du moment où les principaux dirigeants de la gauche du parti avaient renoncé à occuper le terrain, ce terrain a été occupé par la droite du parti. Le débat politique n’a eu lieu ni au Mans, ni lors de l’élaboration du projet lorsqu’il était possible de discuter sur des idées et non sur des personnes. Le débat a eu lieu sur le plus mauvais terrain possible pour la gauche du parti : celui de la désignation du candidat à la présidentielle, là où le débat d’idées est le plus difficile et la personnalisation du débat la plus facile.

La troisième cause de la victoire de Ségolène Royal tient au vide politique béant apparu lors de la bataille contre le CPE. Tout au long de cette bataille, les dirigeants du Parti Socialiste se sont refusés à appeler à des élections législatives anticipées alors que ce problème était objectivement posé par la mobilisation de plus en plus massive confrontée à l’illégitimité de plus en plus flagrante du gouvernement.

Pire, à maintes reprises, François Hollande s’est porté au secours des institutions de la Vème République en affirmant que le problème du pouvoir n’était pas posé et qu’il fallait attendre les échéances institutionnelles. Et comme la politique a toujours horreur du vide, ce vide qui n’avait pas été comblé par les dirigeants de la gauche du parti (à l’exception, une nouvelle fois de Marc Dolez, de Gérard Filoche et de Jean-Luc Mélenchon), les médias se sont empressés de le combler dans le sens qui leur convenait le mieux : quatre grands hebdomadaires ont alors fait leur couverture avec une photographie de Ségolène Royal.

La quatrième cause trouve son origine dans l’image de Laurent Fabius qui n’a pas non plus été étrangère à la victoire de Ségolène Royal. Certes, Laurent Fabius avait eu le courage politique de se prononcer pour le " non " lors du référendum de 2005 et avançait un certain nombre de mesures sociales qui répondaient aux aspirations du salariat.

Mais l’image de Laurent Fabius, Premier ministre en 2004 ou ministre des Finances de Lionel Jospin n’avait pas disparu. Je me rappelle de la réponse d’un camarade d’une trentaine d’années à mon intervention en défense de la candidature de Laurent Fabius. " J’habite dans le quartier nord et lorsque les gens entendent dire que Fabius va augmenter le Smic et 100 euros, ils rigolent et affirment aussitôt qu’ils nous en reprendra 70 de l’autre main ". C’était injuste mais ne faisons donc pas comme si c’était deux conceptions chimiquement pures de la politique qui s’étaient affrontées dans le Parti Socialiste. Là aussi, les institutions de la Vème République ont pesé de tout leur poids et l’image qui restait collée à Laurent Fabius a pesé dans le débat.

La cinquième cause de la victoire de Ségolène Royal est liée à la volonté de nombreux adhérents du Parti Socialiste de gagner en 2007 et de changer la politique. Nous savons que le programme politique de Ségolène Royal (tel qu’il est aujourd’hui) rendra plus difficile qu’avec celui de Laurent Fabius le rassemblement des électeurs socialistes au 1er tour de l’élection présidentielle et le rassemblement de la gauche au second tour.

Nous savons également que Ségolène Royal donne l’apparence du changement politique pour surtout ne rien changer : ni les institutions de la Vème République, ni la main mise de l’appareil du PS (avec quelques éléphanteaux supplémentaires...) sur le Parti Socialiste. Mais l’important est que les adhérents du PS y aient cru. Tous les débats avec les adhérents l’attestent. Les médias leur ont répété que Ségolène Royal était la mieux placée pour battre Sarkozy. Les adhérents y ont cru. C’est tout à fait regrettable mais c’est ainsi et il ne faut pas confondre cette volonté de battre la droite et de changer la politique avec l’acceptation des 35 heures pour les enseignants, l’encadrement militaire de certains jeunes ou l’abandon de la carte scolaire. Il faut d’ailleurs remarquer que, très rapidement, sous la pression du débat dans le Parti Socialiste, Ségolène Royal a été amenée à modifier ces propositions.

Des camarades ont avancé une autre explication, celle de la transformation de la nature du Parti par les " adhérents à 20 euros ". Cette explication n’est pas convaincante. C’est une vue par trop " parisienne " de la situation où ces adhésions ont surtout renforcé la droite du parti et notamment DSK. Il n’en va pas de même en province où les nouveaux adhérents ont très souvent voté comme les anciens adhérents. Dans de nombreuses sections où la gauche du parti l’avait largement emporté lors du congrès du Mans et où il y avait peu de nouveaux adhérents, Ségolène Royal l’a largement emporté le 16 novembre.

Cette explication est même gênante. Quel membre du Parti Socialiste peut être contre le renforcement de son propre parti ? François Hollande souhaite que 100 000 nouveaux adhérents rejoignent le Parti Socialiste. Il a raison et nous devons nous apprêter à les accueillir plutôt qu’à faire la fine bouche.

Jean-Jacques Chavigné www.democratie-socialisme.org

Notes

Mélenchon s’est abstenu sur le projet, la Rédaction


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message