Les failles d’un système scolaire encore plus inégalitaire que la société

mercredi 2 février 2011.
 

Par AZIZ DJELLAB, Sociologue, Professeur des universités à Lille-III (*)

Attendue avec impatience par les médias et par le ministère de l’Éducation nationale, l’enquête Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), menée dans 65 pays (1), vient de livrer son verdict  : le système scolaire français est de plus en plus inégalitaire et l’origine sociale continue à influencer plus fortement les écarts entre élèves. Cela signifie que, contrairement à des pays comme le Canada, le Japon ou la Finlande, le système scolaire français est plus inégalitaire que les inégalités sociales observées à l’échelle du pays (l’origine sociale explique 28% des écarts observés, alors qu’au Japon elle n’entre en compte « que » pour 14%  !). Ayant lieu tous les trois ans, les classements Pisa reposent sur le passage d’épreuves pour près de 470 000 élèves âgés de quinze ans. Trois domaines sont évalués  : la culture scientifique, la culture mathématique et la compréhension de l’écrit. En 2000, le pourcentage des élèves les moins performants dans le domaine de la compréhension de l’écrit était de 15%  ; il atteint les 20% en 2009. Pendant la même période, on observe que la part des élèves les plus performants passe de 8,5% à 9,6%. Le niveau des meilleurs s’améliore dans une moindre proportion tandis que celui des plus en difficultés s’aggrave. Cette aggravation est plus perceptible chez les élèves issus de l’immigration, même si les performances de ceux qui sont issus de la seconde génération s’améliorent. La compréhension de l’écrit est le thème majeur de l’enquête Pisa. La France y enregistre un recul important avec un creusement des écarts entre filles et garçons, les premières réussissant nettement mieux que les seconds. Dans le domaine des mathématiques, le classement des jeunes Français est également en recul, comparé à l’évaluation Pisa 2003. Il passe de 511 points en 2003 à 497 en 2009 et se situe dans la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Comme dans la compréhension de l’écrit, la part des élèves les plus faibles augmente, passant de 16,6% en 2003 à 22,5% en 2009. Au niveau de la culture scientifique, et avec 498 points, la France se situe légèrement en dessous des pays de l’OCDE (avec 501 points en moyenne). À l’heure où l’on s’interroge sur la baisse des vocations scientifiques, ce résultat pose question.

On s’accorde à souligner que les enquêtes Pisa évaluent des compétences et non des connaissances, même si cette distinction subtile est discutable (comprendre un texte, n’est-ce pas faire appel à des connaissances langagières et lexicales qui relèvent aussi de connaissances acquises  ?). Il n’en reste pas moins que le tableau dressé par cette enquête est plus que préoccupant et amène à réfléchir non seulement sur les raisons d’un tel recul du système scolaire français mais aussi sur les leçons à en tirer pour l’améliorer. Ce classement évalue in fine plusieurs années passées à l’école et interroge sur la capacité du système scolaire à se réformer. Or les débats de ces dernières années se sont focalisés sur l’égalité des chances, sur la méritocratie, avec l’invocation récurrente de l’élitisme républicain. Qu’on le veuille ou non, celui-ci ne fonctionne plus, et si l’on a cherché à promouvoir l’individualisation des parcours de réussite, cela semble s’effectuer au détriment des plus faibles. Le sort des élèves le plus en difficulté dénote clairement que le système scolaire français peine à remédier aux lacunes et à imaginer des pratiques pédagogiques plus appropriées. On a beau mettre en place l’accompagnement personnalisé, différentes variantes de « suivi individualisé », cela ne semble guère efficace dès lors que l’école innove « dans la marge » et moins au sein de son enseignement « ordinaire ». Le cas de l’Allemagne nous apprend qu’il est possible de revoir les structures de l’enseignement, de repenser les mécanismes du « tri » scolaire en vue d’améliorer les compétences des élèves. Ce pays enregistre une progression dans l’enquête Pisa. De même, un pays comme la Corée, qui ne pratique pas le redoublement, enregistre de meilleurs résultats que la France où cette pratique soulève très vite les passions dès qu’on la remet en cause. Mais pour repenser le système scolaire et les pratiques pédagogiques, comme l’importance de la préscolarisation (en pointant les meilleures performances des élèves ayant fréquenté au moins un an la classe de maternelle, l’enquête Pisa apporte un sérieux démenti à tous ceux qui ont considéré que la préscolarisation est une sorte d’occupation peu utile aux apprentissages scolaires), il convient aussi de prendre au sérieux la formation des enseignants. Le métier de professeur s’apprend et on imagine mal, au vu des manières dont s’est effectuée la « réforme de la formation des maîtres », que les élèves les plus en difficulté puissent construire des compétences dans les domaines évalués, sans bénéficier d’un enseignement bien au fait de la didactique, des mécanismes d’apprentissage et des démarches pédagogiques les plus innovantes. Un contexte d’enseignement tel que le lycée professionnel permet de voir comment les difficultés de compréhension et parfois l’absence de mobilisation intellectuelle des élèves ne sont pas irréversibles à condition de mettre en œuvre des stratégies pédagogiques inventives et de lutter contre le fatalisme qu’une enquête comme celle de Pisa pourrait paradoxalement conforter.

(1) Publiée par l’Organisation de coopération 
et de développement économique (OCDE)

(*) Auteur de Sociologie du lycée professionnel, 
Presses universitaires du Mirail, 2009.

AZIZ DJELLAB


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