La peur comme fondement d’un pouvoir autoritaire et répressif

dimanche 16 janvier 2011.
 

Les citoyens d’aujourd’hui sont-ils prêts à payer le prix de leur liberté pour leur sécurité ?

Thomas Hobbes, philosophe anglais du XVIIe siècle, est le premier à avoir théorisé l’insécurité qu’il a placée au fondement des relations de pouvoir. Dans son œuvre, l’insécurité prend la forme de « la guerre de tous contre tous ». Cette guerre ne désigne pas seulement la guerre civile, le chaos, qui précéderait la constitution d’un État de droit. On se souvient des images atterrantes de la population irakienne affamée pillant les hôpitaux ou les écoles lors de la chute de Saddam Hussein ou, plus récemment, des crimes perpétrés lors des récentes élections en Afghanistan.

La violence désigne d’abord l’état d’insécurité qui constitue une guerre permanente dans tout État civilisé. Pour illustrer l’idée que l’insécurité se vit au quotidien, Hobbes prend l’exemple du voyageur qui s’apprête à quitter son domicile. Celui-ci n’oublie jamais de fermer sa maison à clé, car il sait bien qu’il y a une guerre permanente qui se mène entre les voleurs et les volés et qu’une fois absent son voisin aura toujours la possibilité de le dépouiller. Ce qui caractérise la guerre ou l’insécurité, ce ne sont donc pas les champs de bataille, les cadavres, la violence physique, mais c’est la peur.

La peur, c’est d’abord un système de représentations. Terrorisme, délinquance, précarité, pandémie… la peur est aujourd’hui notre principal point de vue sur le monde. Que cette peur ait ou non un fondement dans la réalité, à partir du moment où notre système de représentations intègre la possibilité de la violence, cette possibilité déterminera notre comportement et donnera une réalité à l’insécurité. Notre gouvernement travaille à donner corps à cette possibilité en désignant des ennemis contre lesquels la population devrait se mobiliser (le virus H1N1, les polygames, les drogués…), façonnant ainsi notre monde comme un régime d’exceptions. Car l’insécurité joue à deux niveaux : non seulement je l’appréhende comme une menace à l’encontre de ma personne, mais ma personne en tant qu’individualité est aussi, toujours, une menace à l’encontre de l’ordre social lui-même. C’est pour cela que, pour Hobbes, il s’agit d’une guerre permanente de l’appareil d’État contre la population, qui impose la nécessité d’un pouvoir autoritaire, répressif et policier.

Le film de Christopher Nolan, Batman the Dark Knight, montrait la dimension irrationnelle de la peur. Il montrait que ceux qu’il faut craindre, ce ne sont pas les professionnels du crime. Ceux-ci agissent rationnellement et trouvent un intérêt dans le maintien de l’ordre et des institutions (par exemple le système bancaire) qui sont nécessaires pour mener à bien leurs affaires, même si elles sont illégales. « La guerre, c’est mauvais pour les affaires », dit le Parrain de Francis Ford Coppola. C’est peut-être aussi pour cela qu’une partie de la droite a choisi de se désolidariser d’un gouvernement va-t-en-guerre. Ceux qu’il faut craindre, ce sont les citoyens ordinaires qui, sous l’emprise de la passion (la peur, la souffrance, la vengeance, le ressentiment ou même l’indifférence), parce qu’ils auraient alors l’illusion de sauver leur peau, sont capables du pire. S’ils franchissent cette fragile limite qui sépare le bien du mal, l’acceptable de l’inacceptable, alors il n’y a plus de société humaine possible. Aujourd’hui, la tentation est grande de franchir le pas.

C’est pour cela, pour se préserver en quelque sorte d’eux-mêmes, que les citoyens de Hobbes se voient dans la nécessité de comprendre que leur intérêt réside avant tout dans la sécurité, que la vie et l’obéissance sont préférables à la mort. Ils choisiront de se donner un monarque absolu dont la fonction sera de garantir cette sécurité quel qu’en soit le prix. Ils renonceront à tous leurs droits, et notamment au droit de décider pour eux-mêmes. Il semblerait que notre président soit un fervent lecteur de Hobbes.

Mais les temps ont bien changé. Les citoyens d’aujourd’hui ne sont plus disposés à payer le prix de leur liberté pour leur sécurité. Sécurité à laquelle on accole depuis peu le mot de « tranquillité », comme si le seul usage du mot « sécurité » suscitait la suspicion et n’était plus en lui-même aussi rassurant que cela. À défaut de résultats dans le domaine économique et social, le gouvernement français donne dans la surenchère en matière de politique sécuritaire afin de démontrer son utilité par sa présence sur le terrain, ainsi que son improbable efficacité. Cet été, nous avons passé un cap. Soudainement, de façon inexplicable, les discours xénophobes de la présidence et de certains représentants de la majorité gouvernementale ont atteint leurs limites. La population française, qui jusque-là restait indifférente au sort des sans-papiers, à la stigmatisation des jeunes issus de l’immigration, semble s’être réveillée sur le sort fait aux Roms. On ne peut alors que songer au roman de José Saramago, la Lucidité, magnifique réflexion sur le sens et la fonction du politique.

Serions-nous donc en passe de devenir lucides ?

Par Aline LOUANGVANNASY, Professeure de philosophie.


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