Yvon Quiniou « Les gens ont envie de réinventer la vieillesse »

dimanche 16 janvier 2011.
 

Pour le philosophe Yvon Quiniou, la mobilisation pour la défense des retraites rappelle, par certains aspects, le mouvement de Mai 68. Qu’il cède ou qu’il s’entête, le gouvernement a perdu, analyse-t-il.

Que révèle ce mouvement pour la défense des retraites  ? Quelle en est 
la dynamique profonde  ?

Yvon Quiniou. De mon point de vue, ce mouvement s’inscrit dans la continuité des grands mouvements sociaux de ces trente ou quarante dernières années, c’est-à-dire essentiellement décembre 1995, mais aussi, éventuellement, Mai 68. Il s’agit d’un mouvement qui porte au-delà de la question des retraites. Il y a un sentiment d’injustice générale par rapport à la situation économique, sociale et politique actuelle, renforcé bien entendu par la crise et les inégalités croissantes. La fracture de classes qui existe dans ce pays capitaliste redevient visible et produit des effets dans tous les domaines. Et donc, les gens se révoltent.

Pouvez-vous préciser 
la comparaison avec Mai 68  ?

Yvon Quiniou. Je vois apparaître des slogans qui vont au-delà des questions purement économiques, comme en Mai 68. Dans les cortèges, on entend des mots d’ordre à caractère civilisationnel, humaniste. Les gens prennent conscience du fait que ce qui est en train d’être remis en cause, c’est la question du troisième âge, de la vie au moment de la retraite. On a le sentiment que le capitalisme est en train de nous bouffer ce que pourrait être une vieillesse digne de ce nom. Les gens ont envie de réinventer la vieillesse en partant suffisamment tôt à la retraite pour mener réellement une vie hors travail. Les capitalistes, eux, ont une vision purement économiciste et considèrent que seul ce qui produit du profit a de l’intérêt. Pour eux, la production marchande doit envahir tous les domaines de l’existence. C’est bien cette vision du monde qui est contestée aujourd’hui. Ce qui est revendiqué, c’est la possibilité de pouvoir vivre hors de la tyrannie du traail contraint. Cela me fait penser à ce que dit Lucien Sève dans son livre intitulé l’Homme  ?, à savoir que vivre après soixante ans, c’est une manière de réinventer sa vie dans le cadre d’une activité libre, d’épanouissement individuel.

N’y a-t-il pas aussi la revendication d’une autre organisation, d’un autre partage du travail  ? On observe que les jeunes rentrent dans le mouvement en réclamant aussi un emploi, la fin de la précarité 
et du chômage…

Yvon Quiniou. Tout à fait. Précisément, reculer l’âge de la retraite, c’est aggraver le problème du chômage. Les jeunes se sentent les victimes futures, au niveau de l’emploi, des mesures gouvernementales. En même temps, les revendications par rapport au travail ne sont pas que quantitatives, mais bien qualitatives. Il se manifeste l’envie de mener une vie dans le travail, mais aussi hors du travail, qui soit de qualité. En lien avec cette aspiration, on observe une vraie gaieté dans les manifestations. Ce qui m’impressionne également, c’est le retour du chant de l’Internationale. Les gens que je rencontre dans les manifestations et qui l’entonnent me disent que c’est un chant qui ne mourra jamais, que l’idée communiste est en train de renaître.

Face à l’obstination 
du gouvernement et du chef de l’État, comment réagir  ?

Yvon Quiniou. Pour ma part, je pense que le gouvernement est battu dans tous les cas. S’il cède, alors cela prouvera que le mouvement social peut l’emporter. On verra, rétrospectivement, par l’abandon de la réforme des retraites, que c’était bien un projet injuste. S’il ne cède pas, cela aura pour effet d’accumuler du mécontentement, ce qui contribuera à ouvrir encore davantage un boulevard à la gauche, mais à une gauche digne de ce nom, pour les élections de 2012.

D’autres résistances se développent en Europe, contre les politiques d’austérité, notamment en Espagne, au Portugual, en Italie… Ne doit-on pas viser une coordination de ces différents mouvements  ?

Yvon Quiniou. Il faut se battre en effet au niveau européen, tout simplement parce qu’aujourd’hui, le capitalisme est au minimum européen. Les attaques contre les acquis sociaux ont lieu à ce niveau, dans tous les régimes qui se déclaraient socio-démocrates et qui sont en fait en train de devenir sociolibéraux. Autant l’Europe peut faire problème en tant qu’organisation capitaliste, autant elle ne doit pas faire problème comme lieu de résistance au capitalisme.

(*) Dernier ouvrage paru  :
l’Ambition morale de la politique  : changer l’homme  ?, Éditions L’Harmattan, 2010.

Entretien réalisé 
par Laurent Etre


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